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SUR LA VRAIE VERTU. 57

Des amis vertueux ont confolé ma vie.
J'ai mérité leur zèle & leur fidélité;

J'ai fait quelques ingrats, & ne l'ai point été.

Certain Légiflateur, (b) dont la plume féconde,
Fit tant de vains projets pour le bien de ce monde,
Et qui depuis trente ans écrit pour des ingrats,
Vient de créer un mot qui manque à Vaugelas.
Ce mot eft bienfaisance, il me plaît, il raffemble,
Si le cœur en eft cru, bien des vertus enfemble.
Petits grammairiens, grands précepteurs des fots,
Qui pefez la parole, & mesurez les mots,
Pareille expreffion vous femble hazardée :
Mais l'univers entier doit en chérir l'idée.

NOTE S.

(a) L Es Convulfionnaires. (b)L'Abbé de Saint-Pierre. C'est lui qui a mis le mot de bienfaisance à la mode à force de le répéter. On l'appelle Lé

giflateur, parce qu'il n'a écrit que pour réformer le Gouvernement. Il s'eft rendu un peu ridicule en France par l'excès de fes bonnes intentions.

VARIANTES DU DISCOURS

SUR LA VRAIE VERTU.

AUx filles du quartier précbent la fin du Monde.

Je fais que ce faint œuvre a des charmes puissans :

Mais,

di-moi, n'as-tu point des devoirs plus prefans?

D'où vient que ton ami languit dans la mifère ?
Pourquoi lui refuser le plus vil nécessaire?

Chez toi, chez tes pareils, le feul riche est sauvé,
Et le pauvre inutile eft le feul reprouvé.
Ce Magiftrat, &c.

Peint mieux que vingt fermons la vertu véritable.
Ce beau nom de vertu fera-t-il accordé

Non

Au mérite farouche, à l'art toûjours fardé, A l'indolent Germont, dont la pitié difcrète Craint de parler pour moi quand Séjan m'inquiète, Au faible doux Cyrus tout le jour occupé Des propos d'un flatteur, & des foins d'un foupé? , je donne ce titre au cœur tendre & fublime, Qui prévient les besoins d'un ami qu'on opprime ; Je le donne à Normand, je le donne à Cochin, Dont l'éloquente voix protégea l'orphelin: Non pas à toi, Griffon, babillard mercénaire, Qui prodiguant en vain ta vénale colère, Et changeant un art noble en un lâche métier,

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N'a fait qu'un plat libelle, au-lieu d'un plaidoyer.

Tendre & folide ami, bienfaicteur généreux,

Qui peut te refufer le nom de vertueux ?
Joui de ce grand titre, ô toi, dont la sagesse
N'eft point le fruit amer d'une auftère rudeffe!
Toi, qui malgré l'éclat dont tu blesses les yeux,
Peux compter plus d'amis que tu n'as d'envieux !
Certain Législateur, &c.

* ( 59 ) **

LE TEMPLE DE L'AMITIÉ.

Au fond d'un bois à la paix confacré,

Séjour heureux de la cour ignoré,

S'élève un temple, où l'art & fes prestiges,
N'étalent point l'orgueil de leurs prodiges,
Où rien ne trompe & n'éblouït les yeux,
Où tout eft vrai, fimple, & fait pour les Dieux.
De bons Gaulois de leurs mains le fondèrent;
A l'amitié leurs cœurs le dédièrent.
Las! ils penfaient, dans leur crédulité,
Que par leur race il ferait fréquenté.
En vieux langage on voit fur la façade
Les noms facrés d'Orefte & de Pilade,
Le médaillon du bon Pyrritoüs,
Du fage Achate, & du tendre Nifus,
Tous grands héros, tous amis véritables.

Ces noms font beaux; mais ils font dans les fables.
Les doctes fœurs ne chantent qu'en ces lieux,
Car on les fiffe au fuperbe empirée.

On n'y voit point Mars & fa Cythérée;
Car la difcorde eft toûjours avec eux;
L'amitié vit avec très peu de Dieux.

A fes côtés fa fidelle interprète,
La vérité, charitable & difcrète,
Toujours utile à qui veut l'écouter,
Attend en vain qu'on l'ofe confulter:
Nul ne l'approche, & chacun la regrette.

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Par contenance un livre eft dans ses mains,
Qu font écrits les bienfaits des humains;
Doux monumens d'eftime & de tendreffe,
Donnés fans fafte, acceptés fans baffeffe,
Du protecteur noblement oubliés,
Du protégé fans regret publiés.
C'eft des vertus l'hiftoire la plus pure:
L'hiftoire eft courte, & le livre eft réduit
A deux feuillets de gothique écriture,
Qu'on n'entend plus, & que le tems détruit.

Or des humains quelle est donc la manie?
Toute amitié de leurs cœurs eft bannie:
Et cependant on les entend toûjours
De ce beau nom décorer leurs difcours.
Ses ennemis ne jurent que par elle:
En la fuyant chacun s'y dit fidèle;
Ainfi qu'on voit devers l'état Romain
Des indévots chapelet à la main.

De leur propos la déeffe en colère, Voulut enfin que fes mignons chéris, Si contens d'elle, & fi fûrs de lui plaire, Vinffent la voir en fon facré pourpris ; Fixa le jour, & promit un beau prix Pour chaque couple, au cœur noble, fincère, Tendre comme elle, & digne d'être admis, S'il fe pouvait, au rang des vrais amis. Au jour nommé viennent d'un vol rapide, Tous nos Français que la nouveauté guide; Un peuple immenfe inonde le parvis. Le temple s'ouvre, on vit d'abord paraître

DE L'AMITIÉ.

Deux courtifans par l'intérêt unis ;

Par l'amitié tous deux ils croyaient l'être.
Vint un courier, qui dit, qu'auprès du maître
Vaquait alors un beau pofte d'honneur,
Un noble emploi de valet grand-seigneur.
Nos deux amis poliment fe quittèrent,
Déeffe, & prix, & temple abandonnèrent,
Chacun des deux en fon ame jurant
D'anéantir fon très cher concurrent.
Quatre dévots, à la mine difcrète,
Dos en arcade, & miffel à la main,
Unis en DIEU de charité parfaite,
Et tous brûlans de l'amour du prochain,
Pfalmodiaient, & bâillaient en chemin.
L'un, riche abbé, prélat à l'œil lubrique,
Au menton triple, au col apoplectique,
Porc engraiffé des dixmes de Sion,
Oppreffé fut d'une indigestion.

On confeffa mon vieux ladre au plus vite;
D'huile il fut oint, afpergé d'eau bérite,
Dûment lefté par le curé du lieu,
Pour fon voyage au pays du BON DIEU.
Ses trois amis gaîment lui marmotèrent
Un Oremus, en leur cœur convoitèrent
Son bénéfice, & vers la cour trottèrent.
Puis chacun d'eux, dévotement rival,
En fe jurant fraternité fincère,

Les yeux baiffés, va chez le cardinal (*)

(*) Le Cardinal de Fleuri.

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