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L'ANTIGITON (a).

A Mademoiselle LE COUVREUR.

Du théatre aimable souveraine,
Belle Chloé, fille de Melpomène !
Puiffent ces vers de vous être goûtés!
Amour le veut, Amour les a dictés.
Ce petit Dieu, de fon aîle légère,
Un arc en main parcourait l'autre jour
Tous les recoins de votre fanctuaire;
Car le théatre appartient à l'Amour:
Tous fes héros font enfans de Cithère.
Hélas, Amour! que tu fus confterné,
Lorfque tu vis ce temple profané,
Et ton rival, de fon culte hérétique,
Etabliffant l'ufage antiphyfique,
Accompagné de ses mignons fleuris,
Fouler aux piés les myrtes de Cypris!

Cet ennemi jadis eut dans Gomore
Plus d'un autel, & les aurait encore,
Si par le feu fon pays confumé
En lac un jour n'eût été transformé.
Ce conte n'eft de la métamorphofe,
Car gens-de-bien m'ont expliqué la chofe
Très doctement; & partant ne veux pas

(a) Cette piéce eft auffi ancienne que la précédente. On l'imprima en 1712, comme

adreffée à la comédienne Duclos.

Mécroire en rien la vérité du cas.
Ainfi que Loth, chaffé de fon afyle,
Ce pauvre Dicu courut de ville en ville;
Il vint en Grèce, il y donna leçon
Plus d'une fois à Socrate, à Platon;
Chez des héros il fit fa réfidence,

Tantôt à Rome, & tantôt à Florence;
Cherchant toûjours, fi bien vous l'obfervez;
Peuples polis & par art cultivés.

Maintenant donc le voici dans Lutèce,

Séjour fameux des effrénés défirs,

Et qui vaut bien l'Italie & la Grèce,
Quoi qu'on en dife, au moins pour les plaifirs.
Là, pour tenter notre faible nature,
Ce Dieu paraît fous humaine figure:
Et n'a point pris bourdon de pélerin
Comme autrefois l'a pratiqué Jupin,
Quand, voyageant au pays où nous fommes,
Quittait les cieux pour éprouver les hommes,
Il n'a point l'air de ce pefant abbé,
Brutalement dans le vice abforbé,
Qui tourmentant en tout fens fon espèce,
Mord fon prochain, & corrompt la jeuneffe;
Lui, dont l'œil louche, & le mufle effronté,
Font friffonner la tendre volupté;

Et qu'on prendrait, dans fes fureurs étranges,
Pour un démon qui viole des anges.

Ce Dieu fait trop, qu'en un pédant craffeux, Le plaifir même eft un objet hideux.

D'un beau marquis il a pris le vifage,

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L'ANTIGITO N.

Le doux maintien, l'air fin, l'adroit langage;
Trente mignons le fuivent en riant;
Philis le lorgne, & foupire en fuyant.
Ce faux amour se pavane à toute heure,
Sur le théatre aux muses destiné,
Où par Racine en triomphe amené,
L'Amour galant choififfait fa demeure.
Que dis-je ? hélas ! l'Amour n'habite plus
Dans ce réduit. Défefpéré, confus,

Des fiers fuccès du Dieu qu'on lui préfère,
L'Amour honnête eft allé chez fa mère,
D'où rarement il defcend ici-bas.

Belle Chloé, ce n'eft que fur vos pas

Qu'il vient encor. Chloé, pour vous entendre,
Du haut des cieux j'ai vu ce Dieu defcendre;
Sur le théatre il vole parmi nous,

Quand fous le nom de Phèdre, ou de Monime,
Vous partagez entre Racine & vous

De notre encens le tribut légitime.
Que fi voulez que cet enfant jaloux
De ces beaux lieux déformais ne s'envole,
Convertiffons ceux qui devant l'idole
De fon rival ont fléchi les genoux:
Il vous créa la prêtreffe du temple :
A l'hérétique il faut prêcher d'exemple:
Prêchez donc vite, & venez, dès ce jour,
Sacrifier au véritable Amour.

LA

MORT

de Mademoiselle LE COUVREUR, fameuse actrice

Qu

Ue vois-je? quel objet! Quoi! ces lèvres charmantes, Quoi ! ces yeux d'où partaient ces flammes éloquentes, Eprouvent du trépas les livides horreurs !

Mufes, graces, amours, dont elle fut l'image,
O mes Dieux & les fiens, fecourez votre ouvrage.
Que vois-je? c'en eft fait, je t'embraffe, & tu meurs.
Tu meurs on fait déja cette affreuse nouvelle :
Tous les cœurs font émus de ma douleur mortelle.
J'entends de tous côtés les beaux arts éperdus,
S'écrier, en pleurant ; Melpomène n'eft plus.
Que direz-vous, race future,

Lorfque vous apprendrez la flétriffante injure,
Qu'à ces arts défolés font des hommes cruels ?
Ils privent de la fépulture

Celle qui dans la Grèce aurait eu des autels.
Quand elle était au monde, ils foupiraient pour elle;
Je les ai vu foumis, autour d'elle empreffés:
Si-tôt qu'elle n'eft plus, elle est donc criminelle;
Elle a charmé le monde, & vous l'en puniffez.
Non, ces bords déformais ne feront plus profanes, (a)
Ils contiennent ta cendre ; & ce trifte tombeau,
Honoré
par nos chants, confacré par tes manes
Eft pour nous un temple nouveau.
Voilà mon faint Denis; oui, c'est là que j'adore
Tes talens, ton efprit, tes graces, tes appas.
(a) Elle eft enterrée fur le bord de la Seine.

LA MORT DE MLLE. LE COUVREUR. 91

Je les aimai vivans, je les encenfe encore,

Malgré les horreurs du trépas,

Malgré l'erreur & les ingrats,

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Que feuls de ce tombeau l'opprobre deshonore.
Ah! verrai-je toûjours ma faible nation,
Incertaine en fes voeux, flétrir ce qu'elle admire,
Nos mœurs avec nos loix toûjours fe contredire,
Et le Français volage endormi fous l'empire
De la fuperftition?

Quoi! n'eft-ce donc qu'en Angleterre
Que les mortels ofent penfer?

O rivale d'Athène ! ô Londre! heureufe terre !
Ainfi
que des tyrans, vous avez fu chaffer

Les préjugés honteux, qui vous livraient la guerre.
C'est là qu'on fait tout dire, & tout récompenfer;
Nul art n'eft méprifé, tout fuccès a fa gloire.
Le vainqueur de Tallard, le fils de la Victoire,
Le fublime Dryden, & le fage Addiffon,
Et la charmante Ophils, & l'immortel Newton,
Ont part au temple de mémoire:

Et le Couvreur à Londre aurait eu des tombeaux
Parmi les beaux efprits, les rois & les héros.
Quiconque a des talens à Londre eft un grand-homme.
L'abondance & la liberté

Ont après deux mille ans chez vous reffufcité
L'efprit de la Grèce & de Rome.

Des lauriers d'Apollon, dans nos ftériles champs,
La feuille négligée eft-elle donc flétrie ?

Dieux ! pourquoi mon pays n'eft-il plus la patrie
Et de la gloire & des talens?

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