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la tribune par le président du conseil, pour démontrer la nécessité de la loi. Flus tard, il a déclaré avec une certaine insistance que le projet de loi ne visait pas la presse.

La vérité, c'est que l'article 1er de la loi du 28 juillet 1894, qui vise la propagande anarchiste réalisée par les moyens de publicité spécifiés à l'article 23 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, doit être considéré comme un article additionnel, un appendice des lois de 1884 et de 1893. Il fait, par suite, partie intégrante du code de la presse.

Quant à l'article 2, qui crée un délit nouveau, dont l'un des caractères est de ne pouvoir être commis par l'un des modes de publicité énumérés dans l'article 23 de la loi de 4884, il rentre dans le droit commun des matières criminelles.

On arrive ainsi à cette conclusion, très nettement mise en lumière par M. Garraud, que la loi de 1894 a un caractère mixte. Là se trouve l'explication des confusions qui se sont produites dans la discussion lorsqu'il s'est agi de la caractériser.

Aucune loi peut-être n'a été plus attaquée que la loi du 28 juillet 1894 sur les menées anarchistes. Les socialistes l'ont qualifiée de loi scélérate. Elle a eu du moins cet effet salutaire de prouver aux anarchistes que la société était prête à se défendre. Elle a agi par voie comminatoire et d'une manière préventive, en cherchant à paralyser chez les anarchistes ce qu'ils appellent « le courage du geste ».

Depuis la promulgation de cette loi, plus d'une année s'étant écoulée sans qu'il se fût présenté une seule occasion de l'appliquer, on pouvait croire à la disparition du mouvement anarchiste; c'était trop se hâter. Le récent attentat d'Aniche, où le meurtrier, com.me déjà cela s'était passé à l'église de la Madeleine, fut victime de son acte et expia le crime en le commettant; la lettre explosible envoyée au baron de Rothschild avec « prière de faire suivre » et qui éclata dans les mains du secrétaire chargé de « dépouiller le courrier»; enfin, tout dernièrement, la bombe déposée rue Laffitte, à l'hôtel du célèbre banquier et dont on a pu arrêter le porteur, un certain Léon Boutheille, élève et admirateur d'Émile Henry; tous ces événements accumulés en moins de deux mois, démontrent clairement que l'anarchie n'a rien appris, n'a rien oublié et que la loi du 28 juillet 1894 n'est pas près de tomber en désuétude.

Propositions Denoix et Marcel Barthe, concernant la responsabilité de la presse.

Il ne s'écoulera plus une seule année, désormais, sans que quelques modifications à la loi sur la presse du 29 juillet 1881 ne soit proposée à la Chambre ou au Sénat.

Mentionnons donc, en terminant, les deux dernières manifestations de la Chambre et du Sénat au sujet de la presse.

A la Chambre, c'est M. le député Denoix, qui a déposé, à la séance du 22 décembre 1894, une proposition sur le régime de la presse. Cette proposition a été l'objet, à la séance du 31 janvier 1895, d'un rapport sommaire de M. de Lasteyrie, au nom de la Commission d'initiative, concluant à la prise en considération.

M. de Lasteyrie, dans son rapport, a fait une analyse très exacte du projet Denoix, après l'avoir résumé en ces mots : liberté absolue de la presse et responsabilité absolue de l'écrivain.

Voici les passages essentiels de cette analyse:

<< M. Denoix ne songe à toucher à aucun des articles de la loi de 1881 qui ont fait disparaître toute entrave à la libre expression de la pensée. Mais il juge que le législateur n'a peut-être pas rendu suffisamment effective la responsabilité des écrivains, et il n'est pas le premier à soutenir cette opinion.

<< Vous vous rappelez, en effet, qu'en 1889, le Sénat, après l'équipée boulangiste, frappé des écarts déplorables auxquels la presse s'était livrée pendant cette malheureuse période, avait voté diverses modifications à la loi de 484. Vous vous rappelez qu'ici même, des collègues appartenant à la presse vous avaient demandé de donner aux pouvoirs publics des moyers plus efficaces de faire porter la responsabilité de leurs écrits à ces hommes pour qui la presse n'est plus qu'une entreprise de diffamation, de mensonge et de chantage. Et vous ne pouvez avoir oublié en quels excellents termes le garde des sceaux d'un de nos derniers ministères radicaux, M. Guyot-Dessaigne, soutenait ici même la néces ité de reviser certains articles de la loi de 1884. C'est de ces précédents que M. Denoix s'est inspiré...

« L'article 27 de la loi du 29 juillet 1884 ne punit le délit de fausses nouvelles, même s'il y a mauvaise foi, que dans le cas où la paix publique aura été troublée. M. Denoix propose de ne pas maintenir cette restriction, dont plusieurs exemples tout récents n'ont que top montré les inconvénients.

« La loi de 1884 a établi comme juridiction normale de la presse la cour d'assises. Mais elle a reservé aux tribunaux correctionnels la connaissance de certains delits determinés, qu'elle énumère dans le second paragraphe de l'article 45. L'honorable M. Denoix ajoute à cette énumération les délits prévus par les articles 27, 30, 31 et 33, paragraphe premier, de la loi de 1881, c'est-à-dire lts délits de diffamation et d'injures.

« L'article 46 de la loi de 1881 ne permet pas, en cas de diffamation, une action civile indépendamment de l'action publique. Notre honorable collègue demande l'abrogation de cette disposition.

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<< Enfin les articles 63 et 64 de la loi de 1881 dérogent en faveur de la presse aux règles de notre droit en matière de récidive et de circonstances atténuantes. M. Denoix propose l'abrogation de ces dispositions, c'est-à-dire le retour au droit commun. >>

Plus récemment encore, dans les premiers jours d'avril 1893, M. Marcel Barthe a déposé au Sénat une proposition ayant pour objet « de remplacer l'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse par des dispositions garantissant d'une manière plus efficace l'honneur, la dignité, la considération et la sûreté personnelle du Président de la République ». L'article unique de la proposition est ainsi conçu :

« L'article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est remplacé par les dispositions suivantes :

« Sont déférées à la Haute Cour de justice, instituée par l'article 12, paragraphe 3, de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, et organisée par la loi du 10 avril 1889, les offenses, les menaces contre la personne du Président de la République et les provocations à son renversement commises par l'un des moyens énoncés dans l'article 23 et dans l'article 28 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

« Les délits ci-dessus énumérés seront poursuivis à la requête du procureur général de la Cour de cassation ou par le procureur général de la Cour d'appel de Paris; ils seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 100 à 5,000 francs, ou de l'une de ces deux peines seulement. »

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Nous ne croyons pas nous tromper en affirmant que le projet de M. Marcel Barthe n'a aucune chance de succès. Il serait vraiment excessif de mettre en mouvement la solennelle et imposante juridiction de la Haute Cour de justice pour punir d'une amende tout journaliste qui se permettrait d'offenser le Président de la République.

Si les modifications à la loi sur la presse continuent à suivre la progression de ces dernières années, elles entraîneront nécessairement, dans un bref délai, une refonte complète de la législation sur la presse, ne serait-ce que pour coordonner, en les revisant, les lois diverses qui ont été votées successivement, sans aucun lien

commun.

La législation sur la presse ressemble étrangement à la toile de Pénélope. Il faut savoir en prendre son parti et suivre, en cette matière peut-être plus qu'en toute autre, les mouvements de l'opinion publique.

ΕΝ

LOIS SUR LA PRESSE

VIGUEUR EN FRANCE EN 1895

PREMIÈRE PARTIE

Lois et décrets sur la propriété littéraire, la contrefaçon, les publications concernant les remèdes secrets, les livres d'église, les manuscrits des archives et bibliothèques publiques, les loteries, les poids et mesures, les brevets d'invention, les écrits produits en justice, les annonces judiciaires et l'état de siège.

Loi des 19 et 24 juillet 1793 relative aux droits
de propriété littéraire.

ARTICLE PREMIER.

Les auteurs d'écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de la République, d'en céder la propriété en tout ou en partie.

ART. 2.

Leurs héritiers ou cessionnaires jouiront du même droit durant l'espace de dix ans après la mort des auteurs (abrogé par la loi du 14 juillet 1866).

ART. 3.

Les officiers de paix seront tenus de faire confisquer, à la réquisition et au profit des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs et autres, leurs héritiers ou cessionnaires, tous les exemplaires des éditions imprimées ou gravées sans la permission formelle et par écrit des auteurs.

ART. 4.

Tout contrefacteur sera tenu de payer au véritable propriétaire une somme équivalente au prix de trois mille exemplaires de l'édition originale.

ART. 5.

Tout débitant d'édition contrefaite, s'il n'est pas reconnu contre

facteur, sera tenu de payer au véritable propriétaire une somme équivalente au prix de cinq cents exemplaires de l'édition originale. ART. 6.

Tout citoyen qui mettra au jour un ouvrage, soit de littérature ou de gravure, dans quelque genre que ce soit, sera obligé d'en déposer deux exemplaires à la Bibliothèque nationale ou au Cabinet des estampes de la République, dont il recevra un reçu signé par le bibliothécaire; faute de quoi il ne pourra être admis en justice pour la poursuite des contrefacteurs.

ART. 7.

Les héritiers d'un auteur d'un ouvrage de littérature ou de gravure, ou de toute autre production de l'esprit ou du génie qui appartiennent aux beaux-arts, en auront la propriété exclusive pendant dix années.

Décret du 1er germinal an XIII sur la propriété littéraire
des ouvrages posthumes.

Les propriétaires, par succession ou à autre titre, d'un ouvrage posthume ont les mêmes droits que l'auteur, et les dispositions des lois sur la propriété exclusive des auteurs et sur la durée leur sont applicables, toutefois à la charge d'imprimer séparément les œuvres posthumes, et sans les joindre à une nouvelle édition des ouvrages déjà publiés et devenus propriété publique.

Loi du 14 juillet 1866 sur la propriété littéraire.

La durée des droits accordés par les lois antérieures aux héritiers, successeurs irréguliers, donataires ou légataires des auteurs, compositeurs ou artistes, est portée à cinquante ans, à partir du décès de l'auteur. Pendant cette période de cinquante ans, le conjoint survivant, quel que soit le régime matrimonial, et indépendamment des droits qui peuvent résulter en faveur de ce conjoint du régime de la communauté, a la simple jouissance des droits dont l'auteur prédécédé n'a pas disposé par acte entre vifs ou par testament. Toutefois, si l'auteur laisse des héritiers à réserve, cette jouissance est réduite au profit de ces héritiers, suivant les proportions et distinctions établies par les articles 913 et 915 du Code Napoléon. Cette jouissance n'a pas lieu lorsqu'il existe, au moment du décès, une séparation de corps prononcée contre ce conjoint; elle cesse au cas où le conjoint contracte un nouveau mariage. Les droits des héritiers à réserve et des autres héritiers ou successeurs, pendant cette période de cinquante ans, restent d'ailleurs réglés conformément aux prescriptions du Code Napoléon.

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