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IAMBE III.

QUE promet l'avenir? Quelle franchise auguste;
De måle constance et d'honneur

Quels exemples sacrés, doux à l'âme du juste;
Pour lui quelle ombre de bonheur;

Quelle Thémis, terrible aux têtes criminelles;
Quels pleurs d'une noble pitié;

Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles;
Quels beaux échanges d'amitié,

Font digne de regrets l'habitacle des hommes?

La Peur blême et louche est leur dieu1.

Le désespoir?...-le fer! Ah! lâches que nous sommes!
Tous, oui, tous! Adieu! Terre, adieu!

Vienne, vienne la Mort! Que la Mort me délivre!
Ainsi donc, mon cœur abattu

Cède au poids de ses maux? Non, non, puissé-je vivre!
Ma vie importe à la vertu.

Car l'honnête homme enfin, victime de l'outrage,
Dans les cachots, près du cercueil,

1. Voyez plus bas, même volume, parmi les mélanges en prose, l'article intitulé de la Peur. (Note de l'Éditeur.)

1

Relève plus altiers' son front et son langage,
Brillant d'un généreux orgueil.

S'il est écrit aux Cieux que jamais une épée
N'étincellera dans mes mains,

Dans l'encre et l'amertume une autre arme trempée
Peut encor servir les humains.
Justice, Vérité, si ma bouche sincère,
Si mes pensers les plus secrets

Ne froncèrent jamais votre sourcil sévère;
Et si les infâmes progrès,

Si la risée atroce, ou (plus atroce injure!)
L'encens de hideux scélérats,

Ont pénétré vos cœurs d'une longue blessure,
Sauvez-moi; conservez un bras

Qui lance votre foudre, un amant qui vous venge.
Mourir sans vider mon carquois!

Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans leur fange
Ces bourreaux barbouilleurs de lois,

Ces tyrans effrontés de la France asservie,
Égorgée!... O mon cher trésor!

O ma plume! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie!
Par vous seuls je respire encor.

Quoi! nul ne restera pour attendrir l'histoire
Sur tant de justes massacrés 1;

1. C'est surtout pendant les mois de messidor et de thermidor 1793 que le tribunal révolutionnaire envoya le plus de victimes à la mort.

Le Moniteur fidèle, en ses pages sanglantes,

Pour consoler leurs fils, leurs veuves, et leurs mères; Pour que des brigands abhorrés

Frémissent aux portraits noirs de leur ressemblance;
Pour descendre jusqu'aux enfers

Chercher le triple fouet, le fouet de la vengeance,
Déja levé sur ces pervers;

Pour insulter leurs noms, pour chanter leur supplice!
Allons, étouffe tes clameurs;

de haine, affamé de justice!

Souffre, ô cœur, gros de haine,

Toi, Vertu! pleure si je meurs!

Par le souvenir même inspire la terreur,
Et dénonce à Clio leur stupide fureur.

MARIE-JOSEPH CHÉNTER, Discours sur la calomnie.

(Note de l'Éditeur.)

IAMBE IV.

' COMME un dernier rayon, comme un dernier zéphire, Anime la fin d'un beau jour,

Au pied de l'échafaud j'essaie encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour!

Peut-être avant que l'heure, en cercle promenée,
Ait posé sur l'émail brillant,

Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant,

Le sommeil du tombeau pressera mes paupières !
Avant que de ses deux moitiés

Ce vers que je commence ait atteint la dernière,
Peut-être en ces murs effrayés

1. Ces vers sont les derniers du malheureux André Chénier. Il les composa dans la matinée du 7 thermidor, peu d'instans avant de marcher au supplice.

Voyez le récit de ses derniers momens dans la notice imprimée în tête du présent volume. (Note de l'Éditeur.)

Le messager de mort, noir recruteur des ombres, Escorté d'infâmes soldats,

Remplira de mon nom ces longs corridors sombres!

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