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L'Amour croît par l'exemple, et vit d'illusions.
Belles, étudiez ces tendres fictions

Que les poètes saints, en leurs douces ivresses,
Inventent dans la joie aux bras de leurs maîtresses:
De tout aimable objet Jupiter enflammé;

Et le dieu des combats par Vénus désarmé,
Quand, la tête en son sein mollement étendue,
Aux lèvres de Vénus son âme est suspendue,
Et dans ses yeux divins, oubliant les hasards,
Nourrit d'un long amour ses avides regards;
Quels appas trop chéris mirent Pergame en cendre;
Quelles trois déités un berger vit descendre,
Qui, pour briguer la pomme, abandonnant les Cieux,
De leurs charmes rivaux enivrèrent ses yeux;
Et le sang d'Adonis, et la blanche Hyacinthe,
Dont la feuille respire une amoureuse plainte;
Et la triste Syrinx, aux mobiles roseaux;

Et Daphné, de lauriers peuplant le bord des eaux;
Herminie, aux forêts révélant ses blessures;
Les grottes de Médor, confidentes parjures;
Et les ruses d'Armide, et l'amoureux repos
Où, sur des lits de fleurs, languissent les héros;
Et le myrte vivant aux bocages d'Alcine.
Les Grâces dont les soins ont élevé Racine
Aiment à répéter ses écrits enchanteurs,

Tendres comme leurs yeux, doux comme leurs faveurs.
Belles, ces chants divins sont nés pour votre bouche!
La lyre de Le Brun, qui vous plaît et vous touche,

Tantôt de l'élégie exhale les soupirs,
Tantôt au lit d'amour éveille les plaisirs.
Suivez de sa Psyché la gloire et les alarmes:

I

Elle-même voulut qu'il célébrât ses charmes,

Qu'Amour vînt pour l'entendre; et dans ces chants heureux
Il la trouva plus belle et redoubla ses feux.

Mon berceau n'a point vu luire un même génie !
Ma Lycoris pourtant ne sera point bannie.
Comme eux aux traits d'amour j'abandonnai mon cœur;
Et mon vers a peut-être aussi quelque douceur.

1. Ce poème posthume n'a point été terminé; divers fragmens en ont été publiés dans l'édition des œuvres de Le Brun qu'a donnée le savant Ginguené. (Note de l'Éditeur.)

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I.

A LE BRUN,

ET AU MARQUIS DE BRAZAIS'.

LE BRUN, qui nous attends aux rives de la Seine,
Quand un destin jaloux loin de toi nous enchaîne;
Toi, Brazais, comme moi sur ces bords appelé2,
Sans qui de l'Univers je vivrais exilé,
Depuis que de Pandore un regard téméraire
Versa sur les humains un trésor de misère,
Pensez-vous que du Ciel l'indulgente pitié
Leur ait fait un présent plus beau que l'amitié?

Ah! si quelque mortel est né pour la connaître,
C'est nous,
âmes de feu, dont l'Amour est le maître.
Le cruel trop souvent empoisonne ses coups:
Elle garde à nos cœurs ses baumes les plus doux.

1. Voyez la Notice au sujet du marquis de Brazais.

2. André Chénier était alors en garnison à Strasbourg, sous-lieutenant dans le régiment d'Augoumois. Il touchait à sa vingtième année. (Note de l'Éditeur.)

Malheur au jeune enfant, seul, sans ami, sans guide,
Qui, près de la beauté, rougit et s'intimide;
Et, d'un pouvoir nouveau lentement dominé,
Par l'appât du plaisir doucement entraîné,
Crédule, et sur la foi d'un sourire volage,

A cette mer trompeuse et se livre et s'engage!
Combien de fois, tremblant et les larmes aux yeux,
Ses cris accuseront l'inconstance des Dieux !
Combien il frémira d'entendre sur sa tête
Gronder les aquilons et la noire tempête;
Et d'écueil en écueil portera ses douleurs,
Sans trouver une main pour essuyer ses pleurs!
Mais heureux dont le zèle, au milieu du naufrage,
Viendra le recueillir, le pousser au rivage;
Endormir dans ses flancs le poison ennemi;
Réchauffer dans son sein le sein de son ami;
Et de son fol amour étouffer la semence,
Ou du moins dans son cœur ranimer l'espérance!
Qu'il est beau de savoir, digne d'un tel lien,
Au repos d'un ami sacrifier le sien;
Plaindre de s'immoler l'occasion ravie;
Être heureux de sa joie et vivre de sa vie!

Si le Ciel a daigné d'un regard amoureux
Accueillir ma prière et sourire à mes vœux,
Je ne demande point que mes sillons avides
Boivent l'or du Pactole et ses trésors liquides;
que le diamant, sur la pourpre enchaîné,

Ni

Pare mon cœur esclave au Louvre prosterné;
Ni même, vœu plus doux! que la main d'Uranie
Embellisse mon front des palmes du génie;
Mais que beaucoup d'amis, accueillis dans mes bras,
Se partagent ma vie et pleurent mon trépas;
Que ces doctes héros dont la main de la gloire
A consacré les noms au temple de Mémoire,
Plutôt que leurs talens, inspirent à mon cœur
Les aimables vertus qui firent leur bonheur;
Et que de l'amitié ces antiques modèles
Reconnaissent mes pas sur leurs traces fidèles.
Si le feu qui respire en leurs divins écrits.
D'une vive étincelle échauffa nos esprits;

Si leur gloire en nos cœurs souffle une noble envie;
Oh! suivons donc aussi l'exemple de leur vie:
Gardons d'en négliger la plus belle moitié;
Soyons heureux comme eux au sein de l'amitié.
Horace, loin des flots que tourmente Cythère,
Y retrouvait d'un port l'asile salutaire;
Lui-même au doux Tibulle, à ses tristes amours
Prêta de l'amitié les utiles secours.

L'amitié rendit vains tous les traits de Lesbie;

I

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1. Voyez son ode ad Albium Tibullum, ode xxxIII,

lib. I:

Albi, ne doleas plus nimio, memor

Immitis Glyceræ, etc.

( Note de l'Éditeur.)

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