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Ainsi donc, sans coûter de larmes à personne, A mes goûts innocens, ami, je m'abandonne.

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Mes regards vont errant sur mille et mille objets.
Sans renoncer aux vieux, plein de nouveaux projets,
Je les tiens; dans mon camp partout je les rassemble,
Les enrôle, les suis, les pousse tous ensemble..
S'égarant à son gré, mon ciseau vagabond
Achève à ce poème ou les pieds ou le front;
Creuse à l'autre les flancs, puis l'abandonne, et vole
Travailler à cet autre ou la jambe ou l'épaule.
Tous, boiteux, suspendus, traînent; mais je les vois
Tous bientôt sur leurs pieds se tenir à la fois.
Ensemble lentement tous couvés sous mes ailes,
Tous, ensemble quittant leurs coques maternelles,
Sauront d'un beau plumage ensemble se couvrir,
Ensemble sous le bois voltiger et courir.
Peut-être il vaudrait mieux, plus constant et plus sage,
Commencer, travailler, finir un seul ouvrage;
Mais quoi! cette constance est un pénible ennui.
<< Eh bien! nous lirez-vous quelque chose aujourd'hui ? »
Me dit un curieux, qui s'est toujours fait gloire
D'honorer les Neuf Sœurs, et toujours, après boire,
Étendu dans sa chaise et se chauffant les piés,
Aime à dormir au bruit des vers psalmodiés.
<«<--Qui, moi? Non. Je n'ai rien. D'ailleurs je ne lis guère.
Certe, un tel nous lut hier une épître!... et son frère
<«<Termina par une ode où j'ai trouvé des traits!...
« Ces messieurs plus féconds, dis-je, sont toujours prêts;

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<< Mais moi, que le caprice ou le hasard inspire, « Je n'ai jamais sur moi rien qu'on puisse vous lire. <«<-Bon! bon ! Et cet HERMÈS, dont vous ne parlez pas, «Que devient-il?- Il marche, il arrive à grands pas. Oh! je m'en fie à vous. - Hélas, trop, je vous jure. <«<-Combien de chants de faits?-Pas un, je vous assure.

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Comment?» Vous avez vu sous la main d'un fondeur
Ensemble se former, diverses en grandeur,
Trente cloches d'airain, rivales du tonnerre?
Il achève leur moule enseveli sous terre,
Puis par un long canal, en rameaux divisé,
Y fait couler les flots de l'airain embrasé;

Si bien qu'au même instant cloches, petite et grande,
Sont prêtes, et chacune attend et ne demande
Qu'à sonner quelque mort, et du haut d'une tour
Réveiller la paroisse à la pointe du jour.

Moi, je suis ce fondeur: de mes écrits en foule
Je prépare long-tems et la forme et le moule;
Puis sur tous à la fois je fais couler l'airain.
Rien n'est fait aujourd'hui, tout sera fait demain.

Ami, Phoebus ainsi me verse ses largesses.
Souvent des vieux auteurs j'envahis les richesses.
Plus souvent leurs écrits, aiguillons généreux,
M'embrasent de leur flamme; et je crée avec eux.
Un juge sourcilleux, épiant mes ouvrages,
Tout-à-coup à grands cris dénonce vingt passages
Traduits de tel auteur qu'il nomme; et, les trouvant,

Il s'admire et se plaît de se voir si savant.
Que ne vient-il vers moi? je lui ferai connaître
Mille de mes larcins qu'il ignore peut-être.
Mon doigt sur mon manteau lui dévoile à l'instant
La couture invisible et qui va serpentant
Pour joindre à mon étoffe une pourpre étrangère.
Je lui montrerai l'art, ignoré du vulgaire,
De séparer aux yeux, en suivant leur lien,
Tous ces métaux unis dont j'ai formé le mien.
Tout ce que des Anglais la muse inculte et brave,
Tout ce que des Toscans la voix fière et suave,
Tout ce que les Romains, ces rois de l'univers,
M'offraient d'or et de soie est passé dans mes vers.
Je m'abreuve surtout des flots que le Permesse,
Plus féconds et plus purs, fit couler dans la Grèce.
Là, Prométhée ardent, je dérobe les feux
Dont j'anime l'argile, et dont je fais des Dieux.
Tantôt chez un auteur j'adopte une pensée,
Mais qui revêt chez moi, souvent entrelacée,
Mes images, mes tours: jeune et frais ornement.
Tantôt je ne retiens que les mots seulement;
J'en détourne le sens; et l'art sait les contraindre
Vers des objets nouveaux qu'ils s'étonnent de peindre.
La prose plus souvent vient subir d'autres lois,
Et se transforme, et fuit mes poétiques doigts.
De rimes couronnée, et légère et dansante,
En nombres mesurés elle s'agite et chante.
Des antiques vergers ces rameaux empruntés

Croissent sur mon terrain, mollement transplantés.
Aux troncs de mon verger ma main avec adresse
Les attache; et bientôt même écorce les presse.
De ce mélange heureux l'insensible douceur
Donne à mes fruits nouveaux une antique saveur.
Dévot adorateur de ces maîtres antiques,
Je veux m'envelopper de leurs saintes reliques;
Dans leur triomphe admis, je veux le partager;
Ou bien de ma défense eux-mêmes les charger.
Le critique imprudent, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile;
Et ceci (tu peux voir si j'observe ma loi),
Montaigne, il t'en souvient, l'avait dit avant moi.

III.

AU MEME.

LAISSE gronder le Rhin et ses flots destructeurs,
Muse; va de Le Brun gourmander les lenteurs.
Vole aux bords fortunés où les champs d'Élysée
De la ville des lis ont couronné l'entrée;
Aux lieux où sur l'airain Louis ressuscité,
Contemple de Henri le séjour respecté,
Et des jardins royaux l'enceinte spacieuse.
Abandonne la rive où la Seine amoureuse,
Lente, et, comme à regret quittant ces bords chéris,
Du vieux palais des rois baigne les murs flétris',
Et des fils de Condé les superbes portiques".

1. Le Brun occupait à cette époque un logement très-médiocre et même très-incommode au Louvre, où le gouvernement avait suivi l'ancien usage de loger gratuitement des gens de lettres et des artistes. Plus tard on lui en accorda un plus convenable qu'il conserva jusqu'à sa mort. C'est à l'occasion de ce dernier logement qu'il composa l'ode II du livre IV de ses poésies, intitulée : Mes souvenirs ou les Deux rives de la Seine. (Note de l'Éditeur.)

2. L'hôtel de Conti où naquit Le Brun. Ce bâtiment est devenu depuis l'hôtel de la Monnaie. (Note de l'Éditeur.)

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