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LAPLACE, SANCHEZ ET Cie, ÉDITEURS
3, RUE SEGUIER, 3

848 M720 F77

Oricat 3-22-45 REF

PRÉFACE

L'œuvre d'Edouard Fournier est variée autant qu'immense. L'infatigable curiosité de ce chercheur explorait les points les plus divers de notre histoire nationale, sans que la folle du logis cessât de hanter son cerveau de poète; il savait l'y faire vivre en paix avec la raison et la science. En dehors de ses travaux d'éditeur, théâtres du Moyen-Age et de la Renaissance, théâtre du grand siècle et théâtre moderne, Edouard Fournier a marqué sa prédilection pour les travaux historiques par des publications considérables, où l'archéologie, l'érudition pure et l'anecdote alternent ou se succèdent sans se nuire ni s'absorber.

A travers tant de figures diverses se dessinant sur les perspectives lointaines de nos annales, il en est une, demeurée colossale et dominante à l'horizon, qui, plus longtemps qu'aucune autre, captiva l'attention d'Edouard Fournier : c'est Molière. Jamais, pour ainsi dire, il ne la perdit de vue, essayant, dès le début, de reconstituer le roman du grand comique à travers les légendes suspectes, les contes absurdes ou calomnieux, comme aussi les enthousiasmes à faux, moins supportables peutêtre que les dénigrements systématiques. Au fond des amères diatribes d'un Louis Veuillot contre l'immortel auteur de Tartuffe, on discerne un sentiment de justice littéraire plus profond à l'égard du génie de Molière que dans les plates admirations d'un Etienne ou d'un Auger.

deux

Cette espèce de fascination que Molière exerce encore, siècles après sa mort, sur la littérature française, et qui paraît s'accroître en raison inverse des distances, Edouard Fournier la ressentit plus vivement que nul autre de ses contemporains.

*

Il y a vingt ans que notre regretté confrère publiait sous ce titre le Roman de Molière, un petit livre qu'il donnait comme le prélude et d'avance la pièce justificative d'un ouvrage plus complet Molière au théâtre et chez lui, qu'il préparait, mais qui n'a pas vu le jour.

Les motifs de ce changement de résolution, il ne les a pas expliqués; mais je les devine. Par suite de ces coïncidences, aussi fréquentes dans le domaine de l'érudition que dans celui des sciences, en la même année où paraissait le Roman de Molière, ingénieusement construit sur les traditions acceptées jusque-là faute d'éléments de critique et de contrôle, Eudore Soulié publiait ses Recherches sur Molière et sur sa famille. Soixante-quinze documents authentiques, entièrement inédits, venaient éclairer d'un jour nouveau la personne de Molière, de ses parents, de ses alliés et des principaux collaborateurs de sa vie domestique ou littéraire. C'était, quarante ans après les découvertes de Beffara, une révolution plus considérable et plus profonde encore dans le moliérisme. Et voilà qu'au lendemain des Recherches d'Eudore Soulié, Jal y vint apporter un supplément de premier ordre en publiant l'état civil presque complet de la famille Béjart.

Tout était à recommencer. Edouard Fournier se le tint pour dit. Il suspendit son travail entrepris sur les anciens vestiges. Armé de la patience, qui est l'outil le plus sûr de l'érudition, il examina tranquillement les découvertes inattendues d'Eudore Soulié de cette nouvelle initiation; naquit la série de notices qu'il dissémina un peu partout, dans les journaux et les revues, et qu'une main pieuse réunit aujourd'hui.

Appelé par une conformité d'études, aussi par les souvenirs d'une longue confraternité, à caractériser en une courte préface la valeur de ces intéressants essais, où la biographie renouvelée cède le pas à la critique littéraire, j'ai tenu à indiquer la nuance qui sépare, dans l'œuvre moliéresque d'Edouard Fournier, la partie biographique dont il puisait les éléments hors de lui-même, et les aperçus critiques dont le solide mérite lui appartient tout entier.

La différence est grande, en effet, entre ce que le dix-huitième siècle crut savoir d'après Grimarest et ses copistes, et ce que nous en savons réellement aujourd'hui. Il s'en faut,

cependant, que les éléments nouveaux aient été coordonnés et mis en œuvre avec assez de suite pour substituer de toutes pièces la vérité aux fables anciennes, qui trop longtemps eurent cours. Cela s'explique. Les révélations se sont produites si rapidement, par « déballage », si j'ose m'exprimer ainsi, qu'on n'a pas encore eu le temps de les mettre à profit et de les enchaîner pour édifier sur elles une vie de Molière, je ne dis pas complète et définitive, hélas! nous n'en sommes pas là! mais rectifiée quant aux faits et aux dates, dans la limite de ce que nous connaissons enfin, grâce à Beffara, à Eudore Soulié et à Jal.

-

On peut entrevoir que ce travail nécessaire, lorsqu'il s'accomplira, ne laissera rien subsister des légendes accréditées par l'ignorance, la légèreté ou l'intrépidité mensongère des anciens biographes.

Je connais l'objection, car il y a des objections même contre les laborieuses recherches de l'érudition désintéressée. C'est que les documents ne nous instruisent que des choses extérieures, et qu'ils ne nous font pas pénétrer dans l'intimité même du grand homme objet de notre culte, dans son esprit et dans son cœur. L'intuition pure et simple, venant et soufflant d'où elle veut, ne relevant que d'elle-même, garde des préférences et livre bataille contre les faits les mieux constatés ou en faveur d'erreurs nouvelles. Ces combats purement littéraires, attentivement suivis par un public de fidèles, ont l'avantage de maintenir une sorte d'équilibre instable entre l'étroite rigueur du fait et les entraînements de l'imagination, si facilement dérivée, comme un ballon sans lest, vers les régions illimitées de la fantaisie.

Il n'en demeure pas moins évident que la fixation de certaines dates, que la détermination de certains problèmes spéciaux, résultant de la confrontation de quelques paperasses poudreuses, ont leur retentissement immédiat dans le domaine des sentiments et des idées, où, d'ailleurs, les abstracteurs d'hypothèses ne se confinent pas toujours.

Si l'on voulait se rendre compte de l'effet de dissolution instantanée, produit par l'apparition d'un document nouveau, sur l'atmosphère aux couleurs chatoyantes des rêves aventureux, il suffirait de s'arrêter à un point entre dix, par exemple celui-ci.

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