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fans ne s'en orgueilliffent, que des affranchis trop nombreux ne devinffent plus puiffans que les anciens Citoyens. Dans ces cas l'égalité entre les Citoyens [a], peut être ôtée dans la Démocratie pour l'utilité de la Démocratie. Mais ce n'eft qu'une égalité apparente que l'on ôte : car un homme ruiné par une Magiftrature, feroit dans une pire condition que les autres Citoyens, & ce même homme qui feroit obligé d'en négliger les fonctions, mettroit les autres Citoyens dans une condition pire que la fienne, & ainfi du reste.

ART. VI. Les Loix doivent entretenir la frugalité dans la Démocratie.

Il ne fuffit pas dans une bonne Démocratie que les portions de terres foient égales, il faut qu'elles foient petites, comme chez les Romains. « A Dieu ne »plaife, difoit Curius à fes Soldats [b] » qu'un Citoyen eftime peu de terre, ce » qui eft fuffifant pour nourrir un homme.»

Comme l'égalité des fortunes entretient la frugalité, la frugalité maintient l'égalité des fortunes. Ces chofes, quoi

[a] Solon exclut des charges tous ceux du quatriéme cens.

[b] Ils demandoient une plus grande portion de la terre conquife. Plutarque, Euvres morales, Vie des anciens Rois & Capitaines.

que différentes, font telles qu'elles ne peuvent fubfifter l'une fans l'autre; chacune d'elles eft la caufe & l'effet ; fi l'une fe retire de la Démocratie, l'autre la fuit toujours.

Il eft vrai que lorfque la Démocratie eft fondée fur le commerce, il peut fort bien arriver que des particuliers y ayent de grandes richeffes, & que les mœurs n'y foient pas corrompuës. C'eft que l'efprit de commerce entraîne avec foi celui de frugalité, d'oeconomie, de modération, de travail, de fageffe, de tranquil lité, d'ordre & de régle. Ainfi tandis que cet efprit fubfifte, les richeffes qu'il produit n'ont aucun mauvais effet. Le mal arrive, lorfque l'excès des richeffes détruit cet efprit de commerce; on voit tout-àcoup naître les defordres de l'inégalité qui ne s'étoient pas encore fait fentir.

Pour maintenir l'efprit de commerce, il faut que les principaux Citoyens le faffent eux-mêmes; que cet efprit regne feul, & ne foit point croifé par un autre ; que toutes les Loix le favorifent; que ces mêmes Loix, par leurs difpofitions, divifant les fortunes à mefure que le commerce les groffit, mettent chaque Citoyen pauvre dans une affez grande aifance

pour pouvoir travailler comme les autres;

& chaque Citoyen riche dans une telle médiocrité, qu'il ait befoin de fon travail, pour conferver ou pour acquerir.

C'est une très-bonne Loi dans une République commerçante que celle qui donne à tous les enfans une portion égale dans la fucceffion des peres. Il fe trouve par là que quelque fortune que le pere ait faite, fes enfans toujours moins riches que lui, font portés à fuir le luxe, & à travailler comme lui. Je ne parle que des Républiques commerçantes; car pour celles qui ne le font pas, le Légiflateur a bien d'autres réglemens à faire [a].

Il y avoit dans la Grece deux fortes de Républiques. Les unes étoient militaires, comme Lacédémone; d'autres étoient commerçantes, comme Athenes. Dans les unes on vouloit que les Citoyens fuffent oififs; dans les autres on cherchoit à donner de l'amour pour le travail. Solon fit un crime de l'oifiveté, & voulut que chaque Citoyen rendit compte de la maniere dont il gagnoit fa vie. En effet, dans une bonne Démocratie où l'on ne doit dépenser que pour le néceffaire, chacun doit l'avoir; car de qui le recevroit-on? [a] On y doit borner beaucoup les dots des femmes.

ART. VII. Moyens de favorifer le principe de la Démocratie.

On ne peut pas établir un partage égal des terres dans toutes les Démocraties. Il y a des circonftances où un tel arrangement feroit impraticable, dangereux, & choqueroit même la conftitution. On n'eft pas toujours obligé de prendre les voies extrêmes. Si l'on voit dans une Démocratie que ce partage, qui doit maintenir les mœurs, n'y convienne pas, il faut avoir recours à d'autres moyens.

Si l'on établit un Corps fixe qui foit par lui-même la régle des mœurs, un Senat où l'âge, la vertu, la gravité, les fervices donnent entrée, les Senateurs expofés à la vue du peuple comme les fimulacres des Dieux infpireront des fentimens qui feront portés dans le fein de toutes les Familles.

Il faut fur tout que ce Senat s'attache aux Inftitutions anciennes, & faffe enforte que le Peuple & les Magistrats ne s'en départent jamais.

II y a beaucoup à gagner, en fait de mœurs, à garder les coûtumes anciennes. Comme les Peuples corrompus font rarement de grandes chofes, qu'ils n'ont guére établi de Sociétés, fondé de Villes,

donné des Loix, & qu'au contraire ceux qui avoient des moeurs fimples ou aufteres ont fait la plupart des établiffemens; rappeller les hommes aux maximes anciennes, c'eft ordinairement les ramener à la vertu.

De plus, s'il y a eu quelque révolu tion, & que l'on ait donné à l'Etat une forme nouvelle, cela n'a guére pu se faire qu'avec des peines & des travaux infinis, & rarement avec l'oifiveté & des mœurs corrompuës. Ceux mêmes qui ont fait la révolution ont voulu la faire goûter & ils n'ont guére pu y réüffir que par de bonnes Loix. Les Inftitutions anciennes font donc ordinairement des corrections, & les nouvelles des abus. Dans le cours d'un long Gouvernement on va au mal par une pente infenfible, & on ne remonte au bien que par un effort.

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On a douté fi les Membres du Senat, dont nous parlons, doivent être à vie, ou choifis pour un temps. Sans doute qu'ils doivent être choifis pour la vie, comme cela fe pratiquoit à Rome [a], à Lacédémone [b] & a Athenes même. Car il

[a] Les Magiftrats y étoient annuels, & les Senateurs pour la vie.

[b] Lycurgue, dit Xenophon, de Republ. Lacedemon. voulut "qu'on élut les Senateurs parmi les vieillards, pour qu'ils ne fe négligeaffent pas même à la fin

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