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AVERTISSEMENT.

A

Près tant de Critiques fur cet Ouvrage célébre, il est juste de donner à fon illuftre Auteur les éloges qu'il mérite. Des Auteurs ont prononcé au hazard, fans entrer dans aucun examen, & se sont imaginés qu'on devoit recevoir leurs fentimens comme autant d'Oracles; d'autres ont oppofé des autorités à des raifonnemens, & femblent avoir fenti eux-mêmes qu'ils étoient trop foibles pour combatre en armes égales.

L'Auteur de L'ESPRIT DES LOIX s'eft défendu contre ces Critiques, la Défenfe qui fuit fait connoître le peu de folidité de ces Ecrits. Dans

chaque chofe, dit M. TousSAINT, il faut voir l'efprit, la lettre tue; tel entreprend la cenfure d'un Ouvrage, qui n'a pas fçu le lire avec: intelligence..

DISCOURS

SUR L'ESPRIT DES LOIX,

L

Par M. DE LA BEAUMELLE.

E Sujet de ce Livre eft l'examen du rapport que les Loix doivent avoir avec la conftituti de chaque Gouvernement, les mœurs, le climat, la Religion & le commerce.

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Ce plan embraffe tous les objets qui intereffent la Société ; c'est ; pour le genre humain que M. DE MONTESQUIEU écrit ; quelle entreprise ! quel courage pour la tenter, & quelle force de génie pour la faire réüffir avec fuccès! ce Préfi dent en étoit feul capable.

Ce fujet avoit été traité par quelques grands hommes; mais que l'on compare leurs Ouvragesavec celui-cy, on fera furpris de l'étendue de. terrein que M. DE MONTESQUIEU a défriché; après eux. Le vrai dans leurs Ecrits eft enveJoppé de nuages, d'où échappent de temps en temps quelques rayons; celui-cy eft à comparer à un jour pur & ferein, d'abord embelli, enfuite. échauffé de tous les rayons d'un beau Soleil.

Oui, l'Esprit des Loix eft le plus beau Livre qui ait encore été fait de main d'homme: la preniere fois que je l'ai lu on prit mes éloges pour l'effet de l'enthoufiafme, où une premiere lecture m'avoit jetté; on me renvoya à une feconde : je: Fai faite, & je fuis toujours dans les mêmes fentimens.

Parcourez toutes les Bibliothèques anciennes & modernes, vous n'y trouverez (fi vous en excep

tex

l'Ecriture Sainte, ) aucun Ouvrage auffi fen fé, auffi utile & auffi profond que l'eft celui de l'Esprit des Loix; aucun où il y ait plus de beauté & moins de défaut, des principes plus lumineux, & des conféquences mieux tirées, des vuës auffi grandes, & de deffein mieux conduit. Non la preffe n'a jamais roulé fur un meilleur Livre..

D'abord on le recherche, on le relit avec délices, on le reprend avec plaifir, on y revient avec goût; cet Ouvrage eft à comparer à une belle femme dont on jouit toujours avec tranfport, qu'on revoit avec plaifir, qu'on quitte avec peine, qui s'embellit à mesure qu'on la contemple, & qui attache d'autant plus qu'on est plus près de s'en féparer.

Prefque tous les Livres me paroiffent d'une longueur affreufe: celui-cy me femble d'une briéveté exceffive. Un Auteur qui paffe le premier Tome me donne ordinairement de l'humeur. Celui de l'Esprit des Loix, en finiffant au troisième, m'a fait de la peine: il avoit tant d'autres chofes à dire, pourquoi les taire ? N'étoit-il pas sûr de mon attention?

La plupart des Ecrivains font folides, mais pefans; légers, mais plus folides; judicieux fans efprit, ou fpirituels fans jugement; celui-cy eft exempt de ces défauts.

Il joint à la jufteffe du bon fens la fécondité de l'imagination, à la force du génie le brillant de l'efprit, à la profondeur du raisonnement l'étendue des connoiffances. On voit en lui l'homme de goût, de Société, d'Etat, & ce que j'eftime encore plus l'ami, le réformateur du genre humain. Ah quel homme que la mort nous a enlevé! (a).

(a) M. le Préfident DE MONTESQUIEU eft mort à Paris le 10 Février 1755.

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Prefque tous les Auteurs donnent dans le trivial, faute de génie, ou dans le faux, manque de difcernement Les premiers font des Peintres médiocres qui calquent les deffeins des grands Maîtres, qu'ils font le mieux qu'ils peuvent ; les feconds avec tous les talens néceffaires pour exceller, font de mauvais Peintres. M. DE MONTESQUIEU a l'art de s'éloigner du trivial, & de s'approcher du vrai.

Le grand nombre d'idées neuves qu'il a femées dans fon Ouvrage, réfulte des principes fimples & généraux; il a trouvé le fecret d'être original, en s'appropriant les réflexions de tous les temps & de tous les lieux; il crée, pour ainsi dire, les pensées d'autrui, ou du moins leur donne une nouvelle vie en les mettant dans un nouveau jour. Les Sçavans paffent leur trifte vie à faire peu de chofe avec les Livres Grecs & Latins ; M. DE MONTESQUIEU les a lus en homme de goût, & ne les cite qu'en Philofophe : les premiers perdent en efprit de réfléxion, ce qu'ils acquierent en connoiffance; à mefure que leur mémoire fe remplit, leur raison se rétrécit le fecond n'a lu que pour mieux réfléchir, & ne se fert de fon immenfe fçavoir que pour mieux raifonner. Le Phyficien fait des expériences pour détruire les caufes des phénoménes; ce Préfident n'a lu que pour raffembler des faits qui puffent lui fervir de matériaux pour bâtir son systême politique.

Bayle, peut être auffi beau génie, mais certainement moins grand homme que M. DE MONTESQUIEU; le premier employe toute fon érudition à établir le Scepticifme, à plaider contre la certitude, à embrouiller les matieres; on voit qu'à chaque inftant il feuillete fes recueils; le fecond n'employe fa prodigieufe lecture, qu'à prou

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