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pourroit être bon par interêt ou par honneur : le fecond feroit infailliblement le premier esclave de quelques Tyrans fes Maîtres & fes fujets.

Revenons à M. DE MONTESQUIEU. Qu'on le place pour un moment fur le thrône , pourquoi non La Grece lui eût érigé des Autels? Ne le remplira-t-il pas avec fageffe & dignité ? Ne ferat-il pas du bonheur de fes peuples fon unique objet Dès lors n'exécutera-t-il pas en leur faveur fon fyftême? Ne leur donnera-t-il pas de bonnes Loix? Ne corrigera-t-il pas les abus des anciennes? Ne préviendra-t-il pas les inconvéniens des nouvelles? Ne portera-t-il pas par tout une main fecourable? Quelque peuple qu'il eut à gouverner il en auroit tiré tout le parti.

Tout eft bien, me dira-t-on peut-être, laiffons aller le monde comme il va : les Auteurs ne le réformeront point.

Tout va bien vieux préjugé auffi ridicule que celui de ceux qui prétendent que tout va mal. Les hommes s'améliorent tous les jours; le monde va de mieux en mieux, il ne lui manque que d'être éclairé.

Nos mœurs, difoit Montaigne (a), font extrêmement corrompuës, & panchent d'une merveilleufe inclination vers l'empirement. De nos Loix & ufan

il y en a plufieurs barbares & monstrueufes; toutesfois pour la difficulté de nous mettre en meilleur état, & le danger de ce croulement, fi je pouvois planter une cheville à notre rouë, & l'arrêter en ce point, je le ferois de bon cœur.

Montaigne prédifoit mal, fi l'on avoit planté une cheville à la rouë de la fortune de la France ce Royaume ne feroit ni fi florissant, ni fi heureux, Quell edifférence entre ce que c'étoit que la

(a) Livre XI, Article xvI.

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France du temps du Montaigne, & ce qu'elle eft de nos jours; autrefois on la recherchoit aujourd'hui on la redoute; autrefois elle n'avoit qu'un commerce des plus bornés, aujourd'hui fes ports font pleins de navires; elle méprifoit les Sciences & les Arts, aujourd'hui elle cultive les uns avec fuccès, & excelle dans les autres ; autrefois perfécutrice, aujourd'hui elle est presque tolérante; elle étoit prefque toujours la dupe & la victime de la politique Espagnole; aujourd'hui fa politique fert de modele aux autres Nations; fes Loix de police étoient fi mauvaises, ou fi mal exécutées, que le defordre régnoit, où l'ordre le plus parfait régne aujourd'hui. Montaigne jugeoit que le pis de cet Etat, c'étoit l'inftabilité, & de ce que les Loix, n'ont plus que les vêtemens voient prendre aucune forme arrêtée; aujourd'hui la forme du Gouvernement eft fixée auffi bien que la nature en eft connue, & les Loix ont autant de stabilité, que les modes d'inconstance.

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Toutes ces améliorations, que Montaigne ne prévoyoit pas, & qui par conféquent étoient trèsdifficiles à prévoir, font dûës à cette fucceffion de grands hommes qui ont gouverné la France, Henri IV. Richelieu, Colbert, d'Orléans, &c.

Les Auteurs politiques donnent ordinairement dans l'un de ces deux excès; ils font paffionnés pour le Gouvernement Républicain, où ils n'ont des yeux que pour le Monarchique; leur plume eft efclave ou libre, venale ou trop hardie. Séduits par leur goût, leur efprit fe jette tour d'un côté, ils ne voyent ni l'avantageux du fyftême qu'ils combatent, ni le foible de celui qu'ils ont embraffé. Comment garderoient-ils un jufte milieu Infatués de leurs idées il leur eft prefqu'impoffible de ne pas donner dans l'extrême. Je feuilletois, il n'y a pas un mois, dit Montaigne,

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deux Livres Ecoffois, je combatant fur ce fujet. Le POPULAIRE rend le Roi de pire condition qu'un chartier le MONARCHIQUE quelques braffes au deffous de Dieu, en puiffance & fouveraineté (a).

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M. DE MONTESQUIEU a évité cet écueil, les Politiques anciens & modernes ont échoué. Il ne fe décide pour aucun Gouvernement, il examine & pefe les avantages, & les inconvéniens de tous ceux qui font connus; il en développe les objets, en préfente les divers principes, & en cherche les conféquences naturelles ; il ne fe paffionne que pour le bien public, il aime l'Etat Républicain, eftime le Démocratique, refpecte le Monarchique, & hait la tyrannie.

La liberté extrême n'eft point fon idole; quelque eas qu'il en faffe, il croit que quoique les Monarchies ne tendent qu'à la gloire des Citoyens, de l'Etat & du Prince de cette gloire il réfulte un efprit de liberté qui dans ces Etats peut faire da'uffi grandes chofes, & peut-être contribuer autant au bonheur que la liberté même. (b)

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Pour former un Gouvernement modéré, il faut combiner les Puiffances, les régler, les tempérer. les faire agir, donner, pour ainfi dire autant à l'une, pour la mettre en état de résister à une autre; c'eft un chef-d'œuvre de législation, que le hazard fait rarement, & que rarement on laisse faire à la prudence.

M. DE MONTESQUIEU avoit depuis longtemps femé dans fes Lettres Perfannes, le germe des principes qu'il développe avec tant de fuccès. C'eft à ces principes que tiennent toutes fes décifions, & ils font fi bien établis , que l'examen qu'on en fait en augmente l'évidence. Il eft fur

(a) Livre III, page 45. (b) Tome I, page 291.

prenant qu'ils ne fe foient pas présentés à ceux qui l'ont précédé dans cette carriere; tant il est vrai que les chofes les plus naturelles ne font pas cel les qui s'offrent le plus naturellement, & qu'en Morale comme en Phyfique, les découvertes les plus aifées ne font pas plutôt faites. Mais quel est l'Ecrivain qui les eût mifes dans un auffi beau jour ? Ils font à comparer à un marbre, dont il a fuivi toutes les veines, ou pour mieux dire, un mixte, dont il a décompofé toutes les parties.

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Le feul Gouvernement dont il a mauvaise opinion, c'est le Defpotique. Voici les principaux traits rapprochés du tableau qu'il en fait. Quelques perfonnes en ont été fcandalifées ici, (a) mais fans fujet; car rien ne fait plus d'honneur en Dannemark que ce qu'en dit M. de MonTESQUIEU.

I. Dans l'Etat Defpotique un feul, fans Loi & fans régle, entraîne tout par fa volonté & par fes caprices. (b)

Cette définition ne convient nullement au Dannemarck, où un feul gouverne, mais par des Loix fixes & établies.

II. Il réfulte de la nature du pouvoir defpotique, que l'homme feul qui l'exerce le faffe de même exercer par un feul. Un homme à qui fes cinq fens difent fans ceffe qu'il est tout & que les autres ne font rien, eft naturellement pareffeux, ignorant & voluptueux; il abandonne donc les affaires. Mais s'il les confioit à plufieurs, il y auroit des difputes entr'eux; on feroit des brigues pour être le premier Efclave le Prince feroit obligé de rentrer dans l'administration, il est donc plus fimple qu'il l'a

(a) A Copphenhague où M. DE LA BEAUMELLE étoit Profeffeur de Belles-Lettres & de Langue Françoife.

(b) Tome I, page 14.

bandonne à un Vifir qui aura d'abord la même puiffance que lui. L'établissement d'un Vifir eft dans cet Etat une Loi fondamentale. (a)

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Il en eft autrement en Dannemarck, où font établis les pouvoirs intermédiaires fubordonnés qui conftituent la nature de la Monarchie. Le dépôt des Loix, les coûtumes établies, les préceptes de la Religion, le but dans lequel le pouvoir arbitraire lui a été confié, l'exemple de fes prédéceffeurs, tout dit au Roi qu'il eft fait pour le Peuple, auffi s'applique-t-il aux affaires, & trouvet-il toujours le travail après le travail; il en prend connoiffance, en décide, & en laiffe l'exécution à fes Miniftres qui, partagés en divers départemens, se réuniffent pour former le Confeil d'Etat comme dans les Monarchies les mieux réglées; nous ne connoiffons point de Vifir; & le grand Chancelier, dont la Charge n'existe plus, n'eut jamais la milliéme partie du pouvoir d'un Bacha d'Egypte.

Les Puiffances intermédiaires dépendent du Prince, empruntent leur force de lui, font fubordonnées à fes ordres; tout fe rapporte au Roi, comme les rayons d'un cercle au centre; mais le pouvoir du Roi fe rapporte & doit fe rapporter au bonheur de fes Peuples: le Prince est un Etre placé entre le bien public & le Sujet.

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III. Comme il faut de la vertu dans une République, & dans une Monarchie de l'honneur il faut de la crainte dans un Gouvernement defpotique. Pour la vertu, elle n'y eft point nécessaire, & l'honneur y feroit dangereux; il faut que la crainte y abbate le courage, & y éteigne jufqu'au moindre fentiment d'admiration. Lorfque le Prince ceffe un moment de lever le bras, quand il ne peut anéantir

(a) Tome I, page 33.

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