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dit, que l'homme étoit un être borné, il a ajoûté : Un tel Etre pouvoit à tous les inftans oublier fon Créateur, Dieu l'a rappellé à lui par les Loix de la Religion. Or, dit-on, quelle eft cette Religion dont parle l'Auteur? il parle fans doute de la Religion naturelle, il ne croit donc que la Religion naturelle.

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Réponse. Je fuppofe encore un moment que cette maniere de raisonner foit bonne, & que de ce que l'Auteur n'auroit parlé là que de la Religion naturelle, on en pût conclure qu'il ne croit que la Religion naturelle, & qu'il exclut la Religion révélée. Je dis que dans cet endroit il a parlé de la Religion révélée, & non pas de la Religion naturelle: car s'il avoit parlé de la Religion naturelle, il feroit un idiot ce feroit comme s'il difoit un tel Etre pouvoit aisément oublier fon Créateur, c'est-à-dire, la Religion naturelle; Dieu l'a rappellé à lui par les Loix de la Religion natutelle de forte que Dieu lui auroit donné la Religion naturelle, pour perfectionner en lui la Religion naturelle. Ainfi, pour se préparer à dire des invectives à l'Auteur, on commence par ôter à fes paroles le fens du monde le plus clair, pour leur donner le fens du monde le plus abfurde, & pour avoir meilleur marché de lui, on le prive du fens commun.

VIII. Objection. L'Auteur a dit [4] en parlant de l'homme Un tel Etre pouvoit à tous les inftans oublier fon Créateur, Dieu l'a rappellé à lui par les Loix de la Religion: un tel Etre pouvoit à tous les inftans s'oublier lui-même ; les Philofophes l'ont averti par les Loix de la morale fait pour vivre dans la fociété, il pouvoit oublier les autres ; les Légiflateurs l'ont rendu à fes devoirs par les Loix poli

[a] Tome I, page 6.

tiques & Civiles. Donc, dit le Critique [4], felon ''Auteur, le gouvernement du monde eft partagé entre Dieu, les Philofophes & Législateurs? &c. Où les Philofophes ont-ils appris les Loix de la morale? où les Législateurs ont-ils vu ce qu'il faut prefcrire pour gouverner les Sociétés avec équité?

Réponse. Et cette réponse est très-aisée; ils l'ont pris dans la révélation, s'ils ont été affez heureux pour cela; ou bien dans cette Loi qui, en imprimant en nous l'idée du Créateur, nous porte vers lui. L'Auteur de l'Efprit des Loix at-il dit comme Virgile? Céfar partage l'Empire avec Jupiter. Dieu qui gouverne l'Univers, n'at-il pas donné à certains hommes plus de lumieres, à d'autres plus de Puiffance? Vous direz que l'Auteur a dit que, parce que Dieu a voulu que des hommes gouvernaffent des hommes, il n'a plus voulu qu'ils lui obéiffent, & qu'il s'eft démis de l'Empire qu'il avoit fur eux, &c. Voilà où font réduits ceux qui, ayant beaucoup de foibleffe pour raisonner, ont beaucoup de force déclamer.

pour

IX. Objection. Le Critique continuë : Remarquons encore que l'Auteur qui trouve que Dieu ne peut pas gouverner les êtres libres auffi bien que les autres, parce qu'étant libres, il faut qu'ils agif fent par eux-mêmes ( je remarquerai en paffant que l'Auteur ne fe fert point de cette expreffion, que Dieu ne peut pas ), ne remédie à ce defordre que par des Loix, qui peuvent bien montrer à l'homme ce qu'il doit faire, mais qui ne lui donnent pas de le faire: ainfi dans le fyftême de l'Autenr, Diew crée des êtres, dont il ne peut empêcher le defordre ni le réparer. Aveugle, qui ne voit pas que Dieu fait ce qu'il veut, de ceux mêmes qui ne font pas ce qu'il veut!

....

[a] Page 162 de la feuille du 9 Octobre 1749.

Réponse. Le Critique a déja reproché à l'Auteur de n'avoir point parlé du péché originel; 11 le prend encore fur le fait; il n'a point parlé de la Grace: c'eft une chose trifte d'avoir affaire à un homme qui cenfure tous les articles d'un Livre, & n'a qu'une idée dominante. C'est le conte de ce Curé de Village, à qui des Aftronomes montroient la Lune dans un Télefcope, & qui n'y voyoit que fon clocher.

L'Auteur de l'Esprit des Loix a cru qu'il devoit commencer par donner quelque idée des Loix générales, & du Droit de la Nature & des Gens; ce fujet étoit immenfe, & il l'a traité dans deux Articles il a été obligé d'obmettre quantité de chofes, qui appartenoient à fon fujet ; à plus 'forte raifon a-t-il omis celles qui n'y avoient point de rapport.

:

X. Objection. L'Auteur dit qu'en Angleterre l'homicide de foi-même étoit l'effet d'une maladie, & qu'on ne pouvoit pas plus le punir qu'on ne punit les effets de la démence. Un Sectateur de la Religion naturelle n'oublie pas que l'Angleterre eft le berceau de la Secte; il paffe l'éponge fur tous les crimes qu'il apperçoit.

Réponse. L'Auteur ne fçait point fi l'Angleterre eft le berceau de la Religion naturelle; mais il fçait que l'Angleterre n'eft pas fon berceau: parce qu'il a parle d'un effet physique qui fe voit en Angleterre, il ne penfe pas fur la Religion comme les Anglois, pas plus qu'un Anglois, qui parleroit d'un effet phyfique arrivé en France, ne penferoit fur la Religion comme les François. L'Auteur de l'Esprit des Loix n'eft point du tout Sectateur de la Religion naturelle; mais il voudroit que fon Critique fût Sectateur de la Logique naturelle.

Je crois avoir déja fait tomber des mains du

Critique les armes effrayantes dont il s'eft ferviz je vais à préfent donner une idée de fon Exorde, qui eft tel, que je crains que l'on ne penfe que ce foit par dérifion que j'en parle ici.

.....

Il dit d'abord, & ce font fes paroles, que le Livre de l'Esprit des Loix eft une de ces productions irrégulieres qui ne fe font fi fort multipliées, que depuis l'arrivée de la Bulle Unigenitus. Mais faire arriver l'Esprit des Loix, à caufe de l'arrivée de la Constitution Unigenitus, n'eft-ce pas vouloir faire rire? La Bulle Unigenitus n'est point la caufe occafionnelle du Livre de l'Esprit des Loix; mais la Bulle Unigenitus & le Livre de l'Esprit des Loix ont été les caufes occafionnelles qui ont fait faire au Critique un raisonnement fi puérile. Le Critique continuë : L'Auteur dit, qu'il a bien des fois commencé & abandonné fon Ouvrage.... Cependant quand il jettoit au feu fes premieres productions, il étoit moins éloigné de la vérité, que lorfqu'il a commencé à être content de fon travail. Qu'en fait-il? Il ajoûte: Si l'Auteur avoit voulu fuivre un chemin frayé, fon Ouvrage lui auroit coûté moins de travail. Qu'en fçait-il encore ? Il prononce enfuite cet Oracle : Il ne faut pas beaucoup de pénétration pour appercevoir que le Livre de l'Esprit des Loix eft fondé fur le fyftême de la Religion naturelle...... On a montré dans les Lettres contre le Poëme de Pope, intitulé : Essai fur l'Homme, que le fyftême de la Religion naturelle rentre dans celui de Spinofa; c'en est affez pour infpirer à un Chrétien l'horreur du nouveau Livre que nous annonçons. Je réponds, que non feulement c'en eft affez, mais même que c'en feroit beaucoup trop; mais je viens de prouver que le lyftême de l'Auteur n'eft pas celui de la Religion naturelle; & en lui paffant que le fyftême de la Religion naturelle rentrât dans celui de Spinofa

le fyftême de l'Auteur n'entreroit pas dans celui de Spinofa, puifqu'il n'eft pas celui de la Religion

naturelle.

Il veut donc infpirer de l'horreur, avant d'avoir prouvé qu'on doit avoir de l'horreur.

Voici les deux formules des raisonnemens répandus dans les deux écrits, auxquels je réponds. L'Auteur de l'Esprit des Loix eft un Sectateur de la Religion naturelle; donc il faut expliquer ce qu'il dit ici par les principes de la Religion naturelle; or fi ce qu'il dit ici eft fondé fur les principes de la Religion naturelle, il est un fectateur de la Religion naturelle.

L'autre formule eft celle-cy. L'Auteur de l'Efprit des Loix eft un fectateur de la Religion naturelle; donc ce qu'il dit dans fon Livre en faveur de la révélation n'eft 9 que pour cacher qu'il est un fectateur de la Religion naturelle; or s'il fe cache ainfi, il eft un fectateur de la Religión naturelle.

Avant de finir cette premiere partie, je ferois tenté de faire une objection à celui qui en a tant fait; il a fi fort effrayé les oreilles du mot de fectateur de la Religion naturelle, que moi, qui déFends l'Auteur, je n'ofe prefque prononcer ce nom, je vais pourtant prendre courage. Ses deux écrits ne demanderoient-ils pas plus d'explication

que celui que je défends? Fait-il bien, en parlant de la Religion naturelle & de la révélation, de fe jetter perpétuellement tout d'un côté, & de faire perdre les traces de l'autre ? Fait-il bien de ne diftinguer jamais ceux qui ne reconnoissent que la feule Religion naturelle, d'avec ceux qui reconmoiffent & la Religion naturelle & la Révélation? Fait-il bien de s'effaroucher toutes les fois que 1'Auteur confidére l'homme dans l'état de la Redigion naturelle, & qu'il explique quelque chofe

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