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Remonta dans le ciel comme un ange oublié,
De ces trois mille amours pas un qui l'ait noyé.

Elles t'aimaient pourtant, ces pauvres insensées
Que sur ton cœur de fer tu pressas tour à tour.....
Mais toi, spectre énervé, toi, que faisais-tu d'elles?
Ah! massacre et malheur! tu les aimais aussi.
Toi, croyant toujours voir, sur tes amours nouvelles,
Se lever le soleil de tes nuits éternelles;
Te disant chaque soir : Peut-être le voici,
Et l'attendant toujours, et vieillisant ainsi.

Demandant aux forêts, à la mer, à la plaine,
Aux brises du matin, à toute heure, à tout lieu,
La femme de ton âme et de ton premier vœu !
Prenant pour fiancée un rêve, une ombre vaine,
Et fouillant dans le cœur d'une hécatombe humaine,
Prêtre désespéré, pour y chercher ton Dieu.......

Tu mourus plein d'espoir dans ta route infinie,
Et te souciant peu de laisser ici-bas,
Des larmes et du sang aux traces de tes pas;
Plus vaste que le ciel et plus grand que la vie,
Tu perdis ta beauté, ta gloire et ton génie
Pour un être impossible et qui n'existait pas.

Et, le jour que parut le convive de pierre,
Tu vins à sa rencontre et lui tendis la main ;
Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin;
Symbole merveilleux de l'homme sur la terre,
Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre,
Abandonnant ta droite à celle du destin.

Que cette dangereuse théorie ne se pare point du grand nom de Mozart. Le Don Giovanni exprime admirablement la passion; il n'est pas destiné à la glorifier, et l'âme si profondément religieuse du grand artiste allemand désavouerait cette interprétation calomnieuse. L'homme qui disait un jour à un protestant de ses amis : « Ah! vous avez votre religion dans la tête et non dans le cœur, vous ne sentez pas comme nous ce que veulent dire ces mots : Agnus Dei qui tollis peccata mundi, dona nobis pacem; » le chrétien qui fondait en larmes en composant sur son lit de mort la Messe de Requiem, se révolterait tout entier contre un semblable blasphème. Non! cette théorie est essentiellement contemporaine; elle est la sœur de ces doctrines qui ont inspiré

ces étranges et dangereux livres d'Obermann, de Lélia; théories qui au premier aspect peuvent surprendre ou même séduire, mais qui aboutissent nécessairement à la négation de l'art et de la littérature, puisqu'elles réhabilitent et glorifient les nouveaux excès qui étouffent bien vite toute inspiration, puisqu'elles prennent pour le sceau du génie ce qui est fatalement destiné à l'anéantir. Sous mille formes diverses, ces idées se sont répandues dans la critique et ont infecté le roman. La prose, comme la poésie, s'est faite leur exacte et rigoureuse interprète; je n'en veux d'autre preuve que cette phrase, que je détache entre mille des œuvres d'une femme justement célèbre : « Je croirais assez à une gradation de forces dans les affections successives d'une âme qui se livre ingénûment comme la mienne. Je n'ai ja— mais travaillé mon imagination pour animer ou rallumer en moi le sentiment qui n'y était pas encore ou celui qui n'y était plus; je ne me suis jamais imposé l'amour comme un devoir, la constance comme un rôle; quand j'ai senti l'amour s'éteindre, je l'ai dit sans honte et sans remords, et j'ai obéi à la Providence qui m'attirait ailleurs. » Rien n'y manque ni l'affectation mensongère d'un sentiment élevé, ni la fausse couleur religieuse, ni l'erreur de la doctrine.

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Ces théories vivent autour de nous; maladroitement copiées sur les écarts de quelques grands esprits, elles peuplent de ridicules génies incompris les bas-fonds de la littérature. L'amour simple et naturel des lettres, tel qu'on le pratiquait au XVIIe siècle, est devenu pour un grand nombre une chimère surannée. Toute croyance amoindrit l'esprit qui l'accepte, comprime sa liberté, paralyse à jamais son essor. Prodiguer le dédain à tout ce que le vulgaire estime, faire parade de vaines souffrances morales et gloire de son scepticisme, placer le sublime dans quelques boutades déclamatoires, et la morale dans l'émancipation des instincts et la réhabilitation des sens; prendre en pitié ceux qui, acceptant franchement leur siècle, ont la faiblesse de travailler à le rendre meilleur; voilà le plus sûr chemin de l'immortalité. Et comme à toute doctrine il faut un héros, un modèle, on a évoqué de l'Espagne la vieille ombre de Don Juan; on lui a prêté une philosophie, à lui qui vécut au jour le jour dans ses passions jusqu'au moment où il fut saisi par la terrible et inexorable statue. Son spectre nous est apparu, mais comme l'ombre du vieux héros Troyen, quantum mututus ab illo Hectore. Tirso de Molina ne le reconnaîtrait plus, et

cependant lui seul l'a créé tel qu'il doit être. Nous l'avons déjà senti, en voyant la légende s'effacer et perdre de sa poésie à mesure qu'elle s'écartait de la donnée primitive. Et il en devait être ainsi. Cela peut sembler un paradoxe, mais la légende de Don Juan est essentiellement chrétienne, elle n'a pu naître, elle ne peut vivre qu'au sein du christianisme.

L'antiquité eût-elle pu concevoir et comprendre Don Juan? La femme avait-elle, dans la société antique, une assez haute et assez noble place pour que l'homme qui l'eût réduite au rôle de vil jouet de ses plaisirs méritât un châtiment providentiel? Évidemment non! Il faut, pour que la punition d'un Don Juan soit possible, que le christianisme ait rétabli l'égalité dans la famille, glorifié la pudeur, rendu inviolables les liens domestiques; il faut que là chevalerie, inspirée par lui, ait entouré la femme d'une sorte de culte; alors seulement le profanateur de ces lois si saintes pourra être frappé, et, si ses désordres passent toute mesure, alors seulement il sera digne que le ciel fasse sur lui un exemple de sa justice. Qu'on cesse donc de détourner la légende de Don Juan de sa véritable, de son unique interprétation; qu'on cesse d'en faire une sorte d'Évangile à l'usage de ceux qui prétendent allier une bizarre et coupable philosophie au dévergondage de l'esprit et des sens. Don Juan a fait un long chemin depuis qu'il est sorti des mains du vieux Tirso de Molina, mais tant de pérégrinations n'ont pu effacer le caractère indélébile qui lui a été imprimé dès l'origine. Ou il n'est rien, ou il est créé pour servir d'épouvantail au vice, au lieu d'être couronné par lui comme une sorte de pontife. Le bon sens populaire ne s'y est pas trompé; les lettrés seuls ont pu commettre l'étrange erreur d'abriter sous son manteau leurs singulières et perverses doctrines; pour les masses, en cela plus intelligentes que les conteurs et les poètes, la fable de Don Juan conservera sa moralité primitive, la terrible catastrophe qui la termine produira toujours le même effet sur les consciences; elle restera l'exemple éternel du châtiment inévitable qui vient venger l'oubli des lois morales.

G.-A. HEINRICH.

LA QUARANTAINE.

Cette eau-forte que la Revue offre à ses lecteurs, devient aujourd'hui un souvenir plein d'à-propos. Elle représente un des abords pittoresques, de notre ancienne ville. Hélas! ces bords de la Saône, si aimés des artistes et des rêveurs, riants comme une églogue, aux lignes accidentées, aux tons harmonieux, que sont-ils devenus, livrés aux envahissements prosaïques de l'industrie? On démolit ces belles fabriques, on a vulgarisé les Etroits. Ce n'est plus qu'un chemiu vicinal classé par un numéro d'ordre, macadamisé et qui n'inspirerait pas, tel qu'il est, la description de J. J. Rousseau. Les rossignols se sont enfuis, chassés par le bruit discordant des machines, leur fumée nauséabonde voile l'azur du ciel et les émanations chimiques ont terni les vives couleurs des bosquets. Oh! qu'il est mort au bon moment notre grand paysagiste Grobon qui affectionnait cette terre privilégiée ! heureux trépas ! Il n'a pas vu le pont tubulaire et sa colline éventrée. Encore quelques coups de pioche et de marteau, encore quelques années de progrès et le débordement de l'ardoise et du moellon sera complet; les balmes seront nivelées, les débris des grottes serviront à remblayer les quais; les tourelles de Choulans, dernier et ravissant vestige du temps passé, s'écrouleront pour faire place à quelque cottage à l'anglaise. Ce sera beau et correct comme notre civilisation positive sans cœur et sans avenir.

En 1474, Jacques Caille, d'une famille illustre dans nos fastes consulaires, père de Jean Caille, podesta de Milan pour le roi de France, et sa femme Huguette Balarin achetèrent du prieur de Saint-Irénée la chapelle de Saint-Laurentdes-Vignes située en cet endroit pour y recueillir les pestiférés. Le Chapitre de Saint-Jean et les Confréries de la ville contribuèrent par leurs largesses à l'établissement et à l'entretien de cette maison de charité. Le Saint-Siége accorda des indul

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