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qui doivent nous mettre en garde contre des jugements trop précipités.

Il est sans doute loisible à l'archéologue de faire choix d'une opinion, tout invraisemblable qu'elle puisse être, si cette opinion plaît à son esprit et peut flatter ceux auxquels elle s'adresse. Ainsi, un homme, qui jouit d'une certaine considération, est appelé, en raison de son expérience et de sa position, à porter un jugement sur la découverte de ruines ayant appartenu à un monument dont le véritable caractère était ignoré; il base son opinion sur la situation des lieux et sur l'examen de tous les objets qui ressortent de cette découverte et proclame que les restes des constructions mis au jour ont appartenu à un monument destiné à tel usage. Cette opinion est le plus souvent reçue sans contestation et elle l'est d'autant mieux qu'elle ne blesse aucun intérêt matériel.

La décision ainsi portée est adoptée généralement et passe pour incontestable jusqu'au moment où de nouvelles études viennent démontrer que le monument détruit avait un tout autre usage que celui qui lui avait été d'abord attribué.

Il s'agit ici du monument dont les ruines ont été retrouvées, il y a environ trente-cinq ans, au Jardin-des-Plantes de notre ville, à la suite de fouilles entreprises sous la direction d'Artaud, et auquel on a donné le nom de naumachie.

Nous respectons la mémoire d'un homme qui a rendu de véritables services à l'archéologie. Mais les savants les plus versés dans ce genre d'études peuvent commettre des erreurs, et personne ne nous blâmerait si nous arrivions à rectifier celles qui ont pu échapper à Artaud.

Notre unique but est de rendre à ce monument, interprété, selon nous, d'une manière très-hasardée, sa valeur historique, en lui donnant un nom et lui attribuant une destination qui nous paraissent mieux lui convenir.

La position des lieux, la nature des décombres, leurs dispositions nous amèneront peut-être à établir une opinion différente de celle qui a eu cours jusqu'à présent.

En passant en revue ce qui a été dit à ce sujet, nous ferons remarquer de nombreuses contradictions et l'absence complète de témoins venant à l'appui de l'explication donnée.

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Nous lisons, dans le Lyon souterrain d'Artaud, page 97: «En 1818, lorsque l'autorité municipale nous permit de « faire fouiller une partie du terrain de la naumachie, nous « reconnûmes la bouche du canal qui traversait le jardin de « l'Oratoire et amenait les eaux dans le bassin naumachique « à vingt pieds plus bas. Dans ce même réservoir, sur le « sol garni de deux rangs de carreaux, nous avons remarqué, du nord à l'est, un canal plus petit qui a dû recevoir << jadis toutes les sources des environs de la Croix-Rousse, « ensuite un émissoire, formant un troisième canal, se diri"geant vers la rue des Auges, pour se rendre sans doute « à celui des Terreaux vers la rue du Bessard. Dans un « Mémoire sur les fouilles de la naumachie de Lyon, nous «< avons parlé des objets qui y ont été trouvés, de plusieurs « médailles du haut, du moyen et du bas-empire, surtout « des inscriptions relatives aux députés gaulois qui avaient << leurs places désignées dans cet amphithéâtre; mais ce « que nous n'avons peut-être pas dit, c'est qu'en général le « pourtour du sol de cet édifice devait être voûté; nous en jugeons par les grottes inclinées qui supportaient les premiers rangs des gradins de la partie méridionale et par « le mouvement régulier du terrain qui est à l'est du terrain << naumachique.

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«Il serait à désirer que M. le Maire fit élever, au milieu « de cette enceinte circulaire, une colonne ou une fontaine << qui rappelât le souvenir de ce monument important, dont << il ne reste plus aucun vestige apparent. »

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Si nous récapitulons ce que dit Artaud dans le passage cité, nous verrons que rien dans ces découvertes ne peut se rapporter d'une manière spéciale à une naumachie.

En ce qui concerne les deux premiers canaux dont il parle, c'eût été une pauvre ressource pour alimenter un bassin aussi vaste que celui d'une naumachie. Nous avons vu les tristes résultats de toutes les recherches qui ont été faites dans le but d'obtenir des eaux à cette hauteur, sur les versants de la Croix-Rousse, pour le service des nouveaux quartiers qui s'y sont établis.

Quant à l'émissaire du canal de descente, il importe peu qu'il le fasse aboutir au grand canal de la rue du Bessard; il est plus certain que cet émissaire arrivait dans la première écluse du marché dit in kanabis qui se trouvait en face de cette rue.

Nous ne pouvons voir dans ce système de canalisation, qu'une précaution d'assainissement. On sait quels soins les Romains apportaient à leurs travaux pour atteindre ce but dans leurs constructions publiques et privées.

L'édifice dont nous parlons reposant sur un terrain d'alluvion, étant adossé à un versant, on doit croire que ces canaux avaient pour destination de donner un écoulement aux eaux pluviales et à celles émanant de l'humidité des terres.

Plus loin, Artaud nous dit que « dans un Mémoire sur «<les fouilles de la naumachie de Lyon, il a parlé des objets «< qui y ont été trouvés, de plusieurs médailles, du haut, << du moyen et du bas-empire, surtout des inscriptions << relatives aux députés gaulois qui avaient leurs places « désignées dans cet amphithéâtre. >>

La découverte de ces médailles de différentes époques n'est ici d'aucune valeur; ce sont, selon toute apparence, des médailles égarées; on en trouve partout et principalement dans les anciens lieux de grandes réunions.

Relativement aux inscriptions, il est vrai que plusieurs pierres épigraphiques furent découvertes dans ces fouilles. Deux de ces monuments portent les nos 199 et 200 et sont placés sous le portique XXIV; les inscriptions ne comportent chacune qu'une seule ligne divisée par compartiments; l'inscription n° 199 est divisée en quatre compartiments, séparés entre eux par un trait. Le premier contient l'initiale N et le chiffre 1; le second la syllabe DES; le troisième le mot LOCA, et le quatrième l'initiale N et le chiffre XX.

Ainsi, dans le premier compartiment, on est en droit de présumer que l'N et le chiffre 1 signifient numerus primus et que ces deux caractères étaient précédés des mots loca designata, puisque, dans le second compartiment, on lit la syllabe DES qui peut être considérée comme l'abréviation de designata, se rapportant au mot loca qui existe dans le troisième; enfin, dans le quatrième, l'initiale N et le chiffre XX indiquent le n° 20. D'après cette manière d'interpréter, nous aurions cette version: lieu désigné pour une place ou pour la première place, lieux désignés pour 20 places ou pour la 20me place.

La seconde inscription est également divisée en quatre compartiments; dans le premier nous trouvons les lettres ARV. et dans les trois autres la syllabe BIT. suivie de C qui figure là comme initiale. Nous devons reconnaître dans les trois lettres ARV. le commencement du mot ARVERNI, ancien nom des peuples de l'Auvergne et dans BIT. C celui des Bituriges Cubi, peuple du Berri, qu'on désignait par le surnom de Cubi pour les distinguer des Bituriges Vivisci.

Une troisième inscription nous montre, sur la même pierre, la syllabe TRI répétée deux fois avec un trait intermédiaire; comme pour les premières, nous devons penser que ce commencement de mot a trait aux noms de tribus

gauloises et peut être considéré comme appartenant à ceux des Tricastini ou des Tricorii, peuples de la Narbonnaise et de la Lyonnaise. Ce monument existe sous le portique LII, n° 506.

Une quatrième inscription, qui est restée jusqu'à présent à l'état de problème, se compose des deux syllabes réunies LAVOR; elles sont gravées sur un bloc volumineux en calcaire de fay, qui figure sous le portique LVIII, no 457.

Les caractères des inscriptions dont nous venons de parler sont d'un travail grossier et d'un mauvais style; ils sont gravés sur des blocs de la forme d'un parallelogramme, également en calcaire de fay,

On ne peut s'empêcher de reconnaître que les trois premières inscriptions découvertes dans les décombres de notre monument ont appartenu à un édifice public et que des places y étaient réservées pour des députations de tribus gauloises; mais la présence de ces inscriptions est loin de prouver l'existence d'une naumachie sur le lieu où elles ont été trouvées.

Une autre inscription composée des majuscules IPIMCORS, d'un style des plus barbares, a été découverte dans les derniers travaux exécutés par la Compagnie des eaux; elle est placée sous le portique XXVI. Elle est encore pour nous une énigme, et nous ne pouvons en tirer aucune indication qui puisse se rapporter au monument qui nous occupe.

Artaud s'exprime ainsi, en terminant son travail sur la naumachie : « Mais ce que nous n'avons peut-être pas dit, «< c'est qu'en général le pourtour du sol de cet édifice devait « être voûté; nous en jugeons par les grottes inclinées qui « supportaient les premiers rangs de la partie méridionale et << par le mouvement régulier du terrain qui est à l'est du terrain naumachique. »

lei Artaud, en citant les grottes inclinées qui supportaient

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