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prendre le degré de satisfaction des spectateurs, le plus ou moins de vivacité de leurs impressions favorables : l'affluence, grande ou médiocre, n'en est pas exactement la

mesure.

A la suite de la première représentation, donnée le dimanche 9 septembre, nous trouvons:

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Dimanche 30 [septembre]. Avare.... 477 10

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Après le mardi 9 octobre, où ce ne fut pas l'Avare que l'on joua, il y eut une interruption, et le théâtre rouvrit le 21. De cette date au 14 décembre suivant, on ne trouve plus notre comédie sur la scène du Palais-Royal : elle avait fait place à d'autres pièces, surtout à George Dandin, que l'on reprit; et ce fut seulement à la cour que, dans cet intervalle, on la représenta, pendant les fêtes de saint Hubert, qui firent appeler la troupe à Saint-Germain. Les comédiens y restèrent depuis le 2 jusqu'au 7 novembre, et y donnèrent l'Avare une fois, et trois fois le George Dandin, moins nouveau cependant, et déjà connu du Roi'. Il ne faut pas trop s'étonner si du côté où étaient les entrées de ballet et la musique de Lulli, ajoutons les plaisanteries les plus salées, se portaient les préférences de la

cour.

Dans les représentations à la ville que nous venons de noter d'après le Registre, la plus brillante recette, si nous laissons à part celle du premier jour, est la recette du dimanche 16 septembre. Nous croyons que cela s'explique par la présence au théâtre, ce jour-là, de Monsieur, frère du Roi, et de Madame.

1. Voyez au tome précédent la Notice de George Dandin, p. 494 et 495, et note 2 de cette dernière page.

On lit en effet dans la Lettre en vers à Madame, de Robinet, en date du 22 septembre :

Ces jours-ci, Monsieur et Madame

Ont fait leur demeure à Paris,
Où leur présence est assez rare;
Et le divertissant Avare1,
Aussi vrai que je vous le di,

Dimanche, en fut très-applaudi.

On a pu remarquer les recettes assez faibles des trois représentations d'octobre, les septième, huitième et neuvième, après lesquelles la pièce est arrivée au terme de sa première carrière.

Elle n'en commença une nouvelle que le 14 décembre suivant. De ce jour jusqu'à la fin de l'année 1668 elle reprit possession de la scène, mais alors n'y parut plus seule :

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On regrette de ne pas connaître ce Fin lourdaud, nommé aussi dans un autre Registre le Procureur dupé3, par qui l'Avare semble avoir eu besoin d'être soutenu, et qui en releva les recettes. L'auteur n'en est pas nommé, ce qui a pu donner quelque envie de croire que c'était Molière; mais, à cette date, quelle apparence, n'eût-il esquissé qu'une bagatelle, qu'il ait voulu garder l'anonyme? Le Fin lourdaud n'ayant pas été imprimé, il est à supposer qu'il n'était pas de très-grande valeur; c'est donc une singularité de le voir ramener aux

1. Comédie du Sieur de Molière. (Note marginale.)

2. C'était la cinquième représentation de cette petite pièce, jouée d'abord le 20 novembre précédent.

3. Voyez au tome I, p. 9, note 2.

4. Le titre cependant, que rend un peu plus significatif l'autre

représentations de l'Avare les spectateurs qu'elles n'attiraient plus assez, et de le trouver inscrit sur le Registre presque autant de fois que notre belle comédie jusqu'à la fin de 1672.

Dès les commencements de l'Avare, Robinet en parle avec de grands éloges et ne paraît pas douter de l'approbation que la pièce rencontre. Dans sa Lettre du 15 septembre 1668, où, pour la première fois, il l'annonce, il dit :

J'avertis que le Sieur Molière,

Donne à présent sur son théâtre,
Où son génie on idolâtre,
Un Avare qui divertit,

Non pas certes pour un petit,
Mais au delà ce qu'on peut dire ;
Car d'un bout à l'autre il fait rire.

Il parle en prose, et non en vers;
Mais, nonobstant les goûts divers,
Cette prose est si théâtrale,
Qu'en douceur les vers elle égale.
Au reste, il est si bien joué
(C'est un fait de tous avoué)
Par toute sa troupe excellente,
Que cet Avare que je chante
Est prodigue en gais incidents

Qui font des mieux passer le temps.

Nous avons vu tout à l'heure1 que dans sa Lettre de la semaine suivante, à l'occasion de la grande représentation du 16 septembre, le même Robinet constatait les applaudissements donnés par les Altesses « au divertissant Avare. » De même encore, rendant compte des fêtes de saint Hubert, célébrées à Saint-Germain, en novembre 1668, il n'oublie pas de

titre le Procureur dupé, ferait-il soupçonner quelque imitation de la vieille farce de Maitre Pathelin? On s'indignerait alors un peu moins du compagnon, de l'auxiliaire, qu'il fallut donner à notre comédie. Mais il est à remarquer que le Fin lourdaud, repris en 1678, n'eut pas le même succès qu'en ses premiers temps, et dut être presque aussitôt abandonné.

1. Voyez ci-contre, p. 6.

dire combien Molière avait fait rire la cour et le Roi lui

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Et dans son excellent Avare,

Que ceux de l'esprit plus bizarre
Ont rencontré fort à leur goût

Du commencement jusqu'au bout.

Qu'il y ait là une certaine banalité de louange, on peut le croire. Ce témoignage toutefois ne permet guère de douter que la pièce n'ait eu dès lors des appréciateurs; il écarte tout au moins l'idée d'une chute; et il n'est point, en cela, contredit par ce que nous apprend le Registre. Mais, à le bien examiner, il n'est pas absolument en désaccord non plus avec la tradition très-ancienne d'une certaine froideur du public dans les premiers temps. A propos de cette prose que Robinet est obligé de défendre et qu'avec beaucoup de raison il juge << si théâtrale », il ne dissimule pas qu'il y avait des « goûts divers » ; et le seul fait qu'il dise avoué de tous, c'est le remarquable jeu de toute la troupe. Il est donc très-vraisemblable qu'une partie du public se refusa, comme le duc que cite Grimarest, à être diverti par tant d'excellents traits comiques, sous prétexte que l'auteur avait manqué à la loi de toute vraie comédie, qui était d'être écrite en vers. On doit remarquer que Tallemant des Réaux, bien plus voisin de ce temps que Grimarest, confirme, non point ses étranges fantaisies chronologiques, mais ce qu'il dit du mauvais succès des premières représentations de l'Avare, puis d'un retour de fortune. C'est dans son Historiette du maréchal de Brezé et de Mlle de Bussy. Nous y lisons cette note 2 sur Mlle de Bussy: « Molière lui lisoit toutes ses pièces 3, et quand l'Avare sembla être tombé :

1. Dans sa Lettre du 10 novembre 1668, déjà citée en partie au tome précédent, p. 495.

2. Les Historiettes de Tallemant des Réaux (édition de MM. Monmerqué et Paulin Paris), tome II, p. 200.

3. Dans la Notice sur la Gloire du Val-de-Gráce, nous retrouverons Molière faisant chez Mlle de Bussy une lecture de ce poëme, à laquelle Robinet se montre fier d'avoir assisté voyez sa Lettre à Madame du 22 décembre 1668.

<< Cela me surprend, dit-il, car une demoiselle de très-bon goût << et qui ne se trompe guère m'avoit répondu du succès. » En effet la pièce revint et plut. » Un souvenir des commencements difficiles de l'Avare se rencontre aussi dans une anecdote du Bolæana', sur laquelle on s'appuierait plus hardiment, si l'on était assuré que Monchesnay l'ait tenue de bonne source, mais où l'on trouve, en tout cas, un nouvel écho de la tradition que, sous une autre forme, Tallemant a constatée. Il est naturel de placer cette anecdote au temps de la nouveauté de la pièce, que Racine ne dut pas être un des derniers à vouloir connaître, et pour laquelle il eût été certainement plus juste sans sa brouille récente avec Molière. Aux représentations de l'Avare, suivant le Bolæana2, « M. Despréaux fut des plus assidus. « Je vous vis dernièrement, lui dit Racine, à la pièce « de Molière, et vous riiez tout seul sur le théâtre. Je vous << estime trop, lui répondit son ami, pour croire que vous n'y « ayez pas ri, du moins intérieurement. » Très-bonne réponse, qui, dans son dernier trait, n'était pas sans malice, mais où il n'y a aucune protestation contre l'exactitude du fait observé par Racine. Il semble bien qu'alors le rire de la plupart des autres spectateurs fut aussi trop intérieur.

Revenons au Registre de la Grange où nous l'avons laissé, et suivons-y la fortune de notre comédie jusqu'à ce qu'elle ait cessé d'être jouée du vivant de Molière. Nous n'avons plus haut relevé que les représentations de 1668. Celles de 1669 commencent au 15 janvier :

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1. Elle est reproduite dans les Récréations littéraires (p. 1 et 2)

de Cizeron-Rival, qui n'a fait que copier le Bolæana.

2. Page 105.

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