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dité du favori et des siens : « Je n'ai jamais vu, disait-il, à un seul personnage tant de parents; ils arrivent à la cour par batelées sans qu'il y en ait un seul habillé de soie. » — « « Voyez, disait-il un jour au comte de Bassompierre en lui montrant Luynes entouré d'une suite nombreuse; il veut faire le roi, mais je saurai bien l'en empêcher; je lui ferai rendre gorge de ce qu'il m'a pris. » Des amis de cour avertissaient Luynes de ce langage; Luynes répondait avec une impertinence un peu dédaigneuse : « Il est bon que de temps en temps je donne au roi de petits chagrins; cela réveille l'amitié qu'il a pour moi. » Richelieu se tenait fort au courant de ces bruits de cour et n'avait garde de les traiter avec indifférence; il prenait grand soin de complaire au jeune connétable. « Monseigneur, lui écrivit-il en août 1621, je suis extrêmement aise d'avoir occasion de vous témoigner que je n'aurai jamais aucun bien que je ne sois très-content d'employer pour la satisfaction du roi et la vôtre. La reine m'avait fait l'honneur de vouloir que j'eusse l'abbaye de Redon; mais incontinent que j'ai su que le roi et vous, Monseigneur, la désiriez pour en disposer autrement, je l'ai remise de très-bon cœur pour qu'étant entre vos mains vous en gratifiiez qui il vous plaira; vous assurant, Monseigneur, que j'ai plus de contentement de vous témoigner en cela ce que vous reconnaîtrez en toute occasion de moi, que je n'en eusse eu par l'augmentation de 4,000 écus de revenu. La reine se porte fort bien, grâce à Dieu. Je crois qu'il sera très à propos que, de fois à autre, par ceux qui passent, vous lui mandiez des nouvelles du roi et des vôtres, ce qui lui donnera grande satisfaction'. »

Pendant que Richelieu faisait ainsi, envers le favori, acte de complaisance et de modestie, Marie de Médicis, dont il paraissait l'organe, tenait une autre attitude et un autre langage; elle se plaignait amèrement de la servitude et de la pénurie d'argent auxquelles elle était réduite à Blois; un complot à la fois aristocratique et domestique se trama autour d'elle pour l'en tirer; elle entra en relation secrète avec un grand seigneur mécontent et turbulent, le duc d'Épernon; deux serviteurs florentins, Ruccellaï et Vincenti Ludovici, furent leurs intermédiaires; on concerta qu'elle s'évaderait de Blois et se réfugierait à Angoulême, seigneurie du duc d'Épernon. Elle écrivit en même temps au roi pour réclamer de lui plus de liberté ; il lui répondit : « Madame, ayant su que vous aviez la volonté de visiter quelques lieux de dévotion, je m'en suis

1 Lettres du cardinal de Richelieu, t. I, p. 690.

réjoui. Je serai encore plus aise si vous prenez la résolution de vous promener et de voyager dorénavant plus que vous n'avez fait par le passé; j'estime que cela servira grandement à votre santé qui m'est extrêmement chère. Si les affaires me permettaient d'être de la partic, je vous y accompagnerais de bon cœur. » Marie lui répondit par des assurances formelles de fidélité et d'obéissance; elle promit devant Dieu et ses anges « de n'avoir aucune correspondance qui pût préjudicier au service du roi, de l'avertir de toutes les intrigues contraires à sa volonté dont elle aurait connaissance, et de n'avoir aucun dessein de retourner à la cour que lorsqu'il plairait au roi de le lui ordonner. » Il y eut, entre le roi, la reine mère, Albert de Luynes, le duc d'Épernon et leurs agents, un échange de lettres et de promessses vaines qui ne trompaient guère personne, et qui détruisaient entre eux toute confiance comme toute vérité; le duc d'Épernon protestait qu'il ne voulait nullement désobéir aux commandements du roi, mais qu'il croyait sa présence plus nécessaire au service du roi en Angoumois qu'à Metz; il se plaignait en même temps que « depuis deux ans il n'avait reçu de la cour que la simple paye de colonel à dix mois par an, ce qui le mettait hors d'état de vivre convenablement selon son rang. » Il partit de Metz à la fin de janvier 1619 en disant : « Je vais faire le coup le plus hardi que j'aie jamais fait de ma vie. »>

La reine mère sortit de Blois dans la nuit du 21 au 22 février 1619, par la fenêtre de son cabinet où l'on avait posé une échelle pour descendre sur la terrasse d'où une seconde échelle devait lui permettre de descendre jusqu'en bas; arrivée sur la terrasse, elle se sentit si fatiguée et si troublée qu'elle déclara qu'il lui serait impossible de se servir de la seconde échelle; elle aima mieux se faire traîner sur un manteau jusqu'au bas de la terrasse qui avait un peu de pente. Ses deux écuyers la conduisirent le long du faubourg jusqu'au bout du pont. Quelques officiers de sa maison la virent passer sans la reconnaître, et riaient de la rencontre d'une femme entre deux hommes, la nuit, et avec l'air un peu troublé : « Ils me prennent pour une bonne dame, » dit la reine. Arrivée au bout du faubourg de Blois, elle n'y trouva pas son carrosse qui devait l'y attendre; quand elle l'eut rejoint, une cassette y manquait qui contenait ses pierreries; il y en avait pour cent mille écus; la cassette était tombée à deux cents pas de là; on la retrouva; la reine mère monta dans son carrosse et prit la route de Loches où le duc d'Épernon l'attendait depuis la veille; il vint à sa rencontre avec cent cin

quante cavaliers. Personne, dans la maison de Marie de Médicis, ne s'était aperçu de son départ.

La rumeur fut grande quand on connut son évasion, et encore plus grande quand on sut dans quelles mains elle s'était mise. C'était la guerre civile, disait-on partout. Il y avait encore en France, à l'entrée du dix-septième siècle, deux guerres civiles possibles et même probables: l'une entre les catholiques et les protestants; l'autre entre ce qui restait de grands seigneurs féodaux ou quasi féodaux et la royauté. Laquelle des deux guerres allait commencer? on ne savait pas; de part et d'autre on hésitait; on faisait des démarches contradictoires. En apprenant l'évasion de sa mère, Louis XIII essaya d'abord de la séparer du duc d'Épernon : « Je n'aurais jamais imaginé, dit-il, qu'il y eût un homme qui, en pleine paix, eût l'audace, je ne dis pas d'exécuter, mais de concevoir la résolution d'entreprendre sur la mère de son roi...; afin de vous délivrer de la peine où vous êtes, Madame, j'ai résolu de prendre les armes pour vous mettre en possession de la liberté que vos ennemis vous ont ôtée. » Il fit marcher vers l'Angoumois des troupes et du canon: « Beaucoup de gens, dit le duc Henri de Rohan, enviaient la belle action du duc d'Épernon; mais peu voulaient se ranger sous son humeur altière, et chacun, croyant bien que tout aboutirait à une paix, ne se souciait pas de s'y embarquer pour en avoir la haine du roi et laisser aux autres l'honneur de l'entreprise. » Les troupes du roi étaient bien reçues partout où elles se présentaient; les villes leur ouvraient leurs portes. «Il faut, dit un contemporain, de bien fortes citadelles pour contraindre les villes de France d'obéir à leurs gouverneurs quand elles les voient désobéissants à la volonté du roi. » Plusieurs grands seigneurs se tinrent soigneusement à l'écart; d'autres se décidèrent à tenter de raccommoder le roi avec sa mère. On savait quel crédit conservait toujours auprès d'elle l'évêque de Luçon encore confiné dans son exil d'Avignon; on l'engagea à revenir; son confident le P. Joseph du Tremblay en fut d'avis; Richelieu se mit en route. Le gouverneur de Lyon le fit arrêter à Vienne en Dauphiné, et fut bien surpris de le trouver muni d'une lettre du roi qui ordonnait de le laisser passer librement partout. Richelieu était prêt à conseiller la réconciliation royale, et le roi s'y voulait employer aussi bien que les amis de la reine mère. A Limoges, l'évèque de Luçon fut obligé d'éviter avec soin le comte de Schomberg, commandant des troupes royales, qui n'était nullement au courant de la négociation. Quand il arriva à Angers, une nouvelle diffi

culté survint le plus osé des conseillers domestiques de la reine mère, Ruccellaï, avait pris l'évêque en haine et tenta de l'exclure du conseil intime; Richelieu le laissa faire, « certain, dit-il, qu'on reviendrait bientôt à lui. » Il était un de ces ambitieux patients qui savent compter sur le succès, même lointain, et l'attendre. Le duc d'Épernon le soutint; Ruccellaï battu quitta la reine mère, emmenant quelques-uns de ses plus chauds serviteurs. Quand les subalternes furent partis, on revint en effet à Richelieu; le 10 août 1619, il conclut à Angoulême, entre le roi et sa mère, un traité par lequel le roi promit de mettre en oubli tout ce qui s'était passé depuis Blois; la reine mère consentit à échanger son gouvernement de la Touraine contre celui de l'Anjou; le duc d'Épernon reçut de la ville de Boulogne cinquante mille écus en récompense de ce qu'il avait fait, et il écrivit au roi pour protester de sa fidélité. La reine mère hésitait encore à voir son fils; sur ses instances, elle fit enfin partir d'Angoulême l'évêque de Luçon pour préparer l'entrevue, et cinq jours après elle se mit elle-même en route, accompagnée par le duc d'Épernon, qui s'arrêta aux limites de son gouvernement, ne voulant pas s'engager plus près de cette cour si récemment réconciliée. Le roi reçut sa mère, selon les uns dans la petite ville de Cousières, selon d'autres à Tours ou à Amboise. Ils s'embrassèrent en pleurant. <«< Dieu, mon fils, dit la reine, que je vous trouve grandi! - Ma mère, j'ai crù pour votre service. » Les acclamations populaires accueillirent leur réconciliation; non sans quelques marques d'inquiétude du favori Albert de Luynes qui en était témoin. Après l'entrevue, le roi reprit la route de Paris, et Marie de Médicis retourna dans son gouvernement d'Anjou pour en prendre possession, promettant, dit-elle, de rejoindre ensuite son fils à Paris. Du Plessis Mornay écrivit à l'un de ses amis à la cour: « Si vous ne menez pas la reine avec vous, vous n'avez rien fait ; les défiances croitront par l'absence; les malcontents se multiplieront, et les bons serviteurs du roi n'auront pas peu de peine à vivre entre

eux. »

C'était en effet de vivre entre la mère et le fils qu'il s'agissait sans se donner à l'un ni à l'autre. Tâche difficile. Les courtisans y suffirent pendant trois mois ; de mai à juillet 1619 la cour et le gouvernement furent coupés en deux, le roi à Paris ou à Tours, la reine mère à Angers ou à Blois. Deux hommes éminents, Richelieu parmi les catholiques, Du Plessis Mornay parmi les protestants, leur conseillaient fortement et sans relâche de se réunir, de vivre et de gouverner ensemble:

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