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princes contre le roi sous prétexte du Mazarin. » La populace seule était favorable au parti des princes.

Cependant Turenne avait bon marché des généraux subalternes restés à la tête de l'armée factieuse; par ses habiles manœuvres, il avait couvert la marche de la cour, qui s'établit à Saint-Germain.

Condé rassembla ses forces campées autour de Paris: il voulait se fortifier au confluent de la Seine et de la Marne, espérant être soutenu par la petite armée que venait d'amener le duc Charles de Lorraine, toujours capricieux et coureur d'aventures. Turenne et le gros de ses troupes barraient le passage. Condé se rejeta sur le faubourg Saint-Antoine et s'y retrancha, au débouché des trois principales rues qui aboutissaient à la porte Saint-Antoine (maintenant la place de la Bastille). Turenne aurait voulu attendre des renforts et de l'artillerie, mais toute la cour était accourue sur les hauteurs de Charonne pour voir le combat; on le pressait; le maréchal donna l'ordre d'attaquer. L'armée frondeuse se battit avec fureur: « Je n'ai pas vu un prince de Condé, disait Turenne, j'en ai vu plus de douze! » Les soldats du roi étaient entrés dans les maisons, tournant ainsi les barricades; le maréchal de la Ferté venait d'arriver avec l'artillerie et balayait la rue Saint-Antoine. L'armée des princes allait être refoulée au pied des murs de Paris, lorsque le canon de la Bastille, répondant tout à coup aux décharges des troupes royales, vint foudroyer M. de Turenne; la porte Saint-Antoine s'ouvrit et les Parisiens en armes, bordant les rues, protégèrent la rentrée de l'armée rebelle. Mademoiselle de Montpensier avait pris le commandement de la ville de Paris.

Depuis huit jours, M. le duc d'Orléans était malade ou feignait de l'être; il refusait de donner aucun ordre; lorsque M. le prince commença son mouvement, le 2 juillet, au matin, il envoya prier Mademoiselle de ne le point abandonner. « Je courus au Luxembourg, dit-elle, et je trouvai Monsieur au haut du degré : « Je croyais vous voir au lit, dis-je; M. le comte de Fiesque m'avait dit que vous vous trouviez «< mal. » Il me répondit : « Je ne suis pas assez malade pour y être, <<< mais je le suis assez pour ne pas sortir. » Je le priai de monter à cheval pour aller au secours de M. le prince, ou, sinon, de se coucher et de faire le malade, mais je ne pus rien obtenir. Je le pressai jusqu'à lui dire « A moins d'avoir un traité avec la cour en poche, je ne com

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prends pas comment vous pouvez être si tranquille; mais en auriez« vous bien un pour sacrifier M. le prince au cardinal Mazarin? » Il ne

répondit point. Tout ce que je dis dura bien une heure pendant la quelle tout ce qu'on avait d'amis pouvait être tué, et M. le prince tout comme un autre, sans qu'on s'en souciât; il y avait même des gens de Monsieur dans une grande gaieté, espérant que M. le prince périrait; ils étaient amis du cardinal de Retz. Enfin Monsieur me donna une lettre pour messieurs de l'Hôtel, se remettant à moi de leur dire son intention. J'y fus aussitôt, assurant à ceux qui étaient là que, si le malheur voulait que les troupes ennemies battissent M. le prince, on ne ferait pas plus de quartier à Paris qu'aux gens de guerre. M. le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris pour le roi, me dit : « Vous sa« vez bien, Mademoiselle, que si vos troupes ne se fussent point appro<«< chées de cette ville, celles du roi n'y fussent pas venues et qu'elles ne « venaient que pour les chasser. » Madame de Nemours trouva cela mauvais et se mit à le quereller. Je rompis le discours. «< Songez, mon«sieur, que, pendant qu'on s'amuse à discuter sur des choses inutiles,

M. le prince est en péril dans vos faubourgs. » Elle entraîna le secours des troupes de M. le duc d'Orléans et se porta aussitôt en avant, rencontrant partout sur le chemin ses amis blessés ou mourants. « Comme je fus près de la porte, j'entrai dans la maison d'un maître des comptes. Aussitôt que j'y fus, M. le prince m'y vint voir; il était dans un état pitoyable; il avait deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mélés; son collet et sa chemise étaient pleins de sang, quoiqu'il n'eût pas été blessé, sa cuirasse était criblée de coups et il tenait son épée à la main ayant perdu le fourreau. Il me dit : « Vous voyez un homme au déses « poir, j'ai perdu tous mes amis MM. de Nemours, de la Rochefou«cauld et Clinchamps sont blessés à mort. » Je le consolai un peu en lui disant qu'ils étaient en meilleur état qu'il ne croyait. Puis je m'en allai à la Bastille où je fis charger le canon qui était tout pointé du côté de la ville; je donnai l'ordre qu'on tirât quand je serais sortie. J'allai de là à la porte Saint-Antoine; les soldats criaient : « Faisons mer<«< veille, nous avons une retraite assurée; Mademoiselle est à la porte

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qui nous fera ouvrir si nous sommes trop pressés. » M. le prince commanda qu'on marchat pour rentrer dans la ville; il me parut tout autre que le matin quoiqu'il n'eût changé de rien; il me fit mille compliments et remerciments de ce qu'il trouvait que je l'avais assez servi. Je lui dis : « J'ai une grâce à vous demander, c'est de ne rien témoigner «‹ à Monsieur de la faute qu'il a faite envers vous. >> Monsieur arrivait en même temps, qui embrassa M. le prince avec une mine aussi gaie

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que s'il ne lui eût manqué en rien. M. le prince avoua qu'il n'avait jamais été en une occasion si périlleuse. »

Le combat de la porte Saint-Antoine n'avait pas suffisamment compromis les Parisiens, qui commençaient à demander la paix à tout prix; la populace, dévouée aux princes, se mit à insulter dans les rues tous ceux qui ne portaient pas à leur chapeau un bouquet de paille, signe de ralliement de la faction; le 4 juillet, à l'assemblée générale de la ville, comme le procureur du roi proposait de conjurer Sa Majesté de revenir à Paris sans le cardinal Mazarin, les princes qui demandaient l'union des Parisiens avec eux se levèrent et sortirent, abandonnant l'assemblée aux fureurs de la foule réunie sur la place de Grève : « Main basse sur les Mazarins! criait-on; il n'y a plus à l'Hôtel de Ville que des Mazarins! » Le feu fut mis aux portes que défendaient les archers; à toutes les issues veillaient des forcenés plus de trente notables bourgeois furent massacrés; beaucoup moururent de leurs blessures, l'Hôtel de Ville fut pillé, le maréchal de l'Hôpital s'évada à grand'peine et le prévôt des marchands céda sa charge au conseiller Broussel. La terreur régnait dans Paris; il fallut traîner les magistrats au Palais de Justice pour ordonner, le 19 juillet, à soixante-quatorze voix contre soixanteneuf, que le duc d'Orléans serait nommé « lieutenant général du royaume, et le prince de Condé commandant de toutes les armées. » L'usurpation de l'autorité royale était éclatante, l'assemblée de ville vota des subsides, et Paris écrivit à toutes les bonnes cités de France pour leur annoncer sa résolution. Le chancelier Séguier eut la lâcheté d'accepter la présidence du conseil que lui offrait le duc d'Orléans; il se vengeait ainsi de la préférence que la reine avait témoignée naguères à Molé en lui confiant les sceaux. Au même moment les Espagnols entraient en France; toutes les places étaient démantelées ou dégarnies de troupes. Le roi, obligé de faire face à la guerre civile, avait abandonné ses frontières; Gravelines avait succombé le 18 mai, et l'archiduc avait entrepris le siége de Dunkerque. Sur les instances de Condé, il détacha un corps de troupes qu'il envoya sous les ordres du comte de Fuendalsagna, joindre le duc de Lorraine qui s'était rapproché de Paris. Partout le sort des armes semblait funeste au roi. «Nous perdimes cette annéelà Barcelone, la Catalogne et Casal, la clef de l'Italie, dit le cardinal de Retz. Nous vimes Brisach révolté, sur le point de retomber entre les mains de la maison d'Autriche. Nous vîmes les drapeaux et les étendards d'Espagne voltigeant sur le pont Neuf, les écharpes jaunes de Lorraine

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