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troupes, mal vu à la cour, inquiet des dispositions de l'Italie, agissait mollement; le roi envoya pour le remplacer le maréchal de Villeroi ; Catinat, aussi modeste que fièrement attaché à la gloire de son pays, acheva la campagne en simple volontaire.

Le roi de France et l'empereur cherchaient des alliés; les princes du Nord étaient absorbés par la guerre que faisait à ses voisins de Russie et de Pologne le jeune roi de Suède, Charles XII, héros de dix-huit ans, aussi irrésistible que Gustave-Adolphe dans son impétueuse vaillance, sans posséder les rares qualités d'autorité et de jugement qui avaient distingué le lion du Nord. Il adhéra à la Grande-Alliance, comme le Danemark et la Pologne, dont le nouveau roi, l'électeur de Saxe, avait été soutenu par l'empereur dans sa candidature et son abjuration du protestantisme. L'électeur de Brandebourg, récemment reconnu comme roi de Prusse sous le nom de Frédéric Ier, et le nouvel électeur de Hanovre s'empressaient au service de Léopold qui les avait secondés dans leur élévation. Seuls, en Allemagne, Maximilien, électeur de Bavière, gouverneur des Pays-Bas, et son frère, l'électeur de Cologne, embrassèrent le parti de la France. Le duc de Savoie, généralissime des forces du roi en Italie, avait pris le commandement de l'armée : « Mais dans ce pays-là, écrivait le comte de Tessé, il ne faut compter ni sur les places, ni sur les troupes, ni sur les officiers, ni sur les peuples. J'ai revu ce prince incompréhensible qui m'a reçu avec tous les témoignages de bonté, de franchise extérieure, et, s'il en était capable, je dirais d'amitié pour celui dont Sa Majesté s'est servie naguère dans l'ouvrage de la paix d'Italie. « Le roi est le maître de ma personne, de mes États, <«< m'a-t-il dit, il n'a qu'à commander, mais je suppose qu'il veut toujours mon bien et mon agrandissement. Quant à votre agrandis

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<<< sement, monseigneur, dis-je, en vérité, je ne vois guères d'étoffe « présentement; quant à votre bien, il faudra nous faire mieux voir « votre volonté, et je prends la liberté de vous répéter que ma prescience « ne va pas jusques-là. » Je lui rends la justice de croire qu'il ressent la meilleure partie de tout ce qu'il exprime pour Votre Majesté, mais ce cruel tempérament d'indécision et de remettre au lendemain ce qu'il pourrait faire le même jour n'est pas effacé et ne s'effacera pas. »

Le duc de Savoie n'était pas si indécis que le croyait M. de Tessé; il savait se servir habilement du mystère qui planait d'habitude sur ses résolutions. Un an ne s'était pas écoulé qu'il était ouvertement engagé dans la Grande-Alliance, poursuivant contre la France cet agrandisse

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ment qu'il avait naguère espéré d'elle et qui lui valut, par le traité d'Utrecht, le titre de roi. En attendant le jour de se déclarer, il venait de marier sa seconde fille, la princesse Marie-Louise-Gabrielle, au jeune roi d'Espagne, Philippe V.

<«< Jamais la tranquillité de l'Europe n'avait été aussi chanceiante qu'elle le fut au commencement de l'année 1702, dit la correspondance de Chamillard publiée par le général Pelet; on ne jouissait que d'un fantôme de paix, et l'on s'apercevait bien, de quelque côté qu'on envisageât les choses, qu'on était à la veille d'une guerre qui ne pouvait être que de longue durée, à moins que, par quelque événement imprévu, les maisons de Bourbon et d'Autriche n'en vinssent à un accommodement qui leur permit de se mettre d'accord sur la succession d'Espagne, mais il n'y avait nulle apparence de conciliation. »>

Louis XIV venait de faire un acte qui détruisit les dernières espérances de paix. Le roi Jacques II était mourant à Saint-Germain, le roi alla le voir; le malade ouvrit les yeux un moment quand on lui annonça que le roi' était là, et il les referma dans l'instant. Le roi lui dit qu'il était venu le voir pour l'assurer qu'il pouvait mourir en repos sur le prince de Galles et qu'il le reconnaîtrait roi d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse. Tous les Anglais qui étaient dans la chambre se jetèrent à genoux et crièrent : « Vive le roi!» Jacques II expira huit jours plus tard, le 16 septembre 1701, disant à son fils comme dernier conseil : « Je suis sur le point de quitter ce monde qui n'a été pour moi qu'une mer de tempêtes et d'orages. Le Tout-Puissant a jugé bon de m'y visiter par de grandes afflictions; servez-le de tout votre cœur et ne mettez jamais la couronne d'Angleterre en balance avec votre salut éternel. » Jacques II avait le droit de donner à son fils ce suprême avis; la seule grandeur de sa vie comme de son âme lui était venue de sa foi religieuse et de l'inébranlable résolution d'y rester fidèle à tout prix et à tout risque.

Revenu à Marly, dit Saint-Simon, le roi déclara à la cour ce qu'il venait de faire. Ce ne fut qu'applaudissements et que louanges. Le champ en était beau, mais les réflexions ne furent pas moins promptes si elles furent moins publiques. Le roi se flattait encore d'empêcher la Hollande et l'Angleterre, dont la première était si parfaitement dépendante, de rompre avec lui en faveur de la maison d'Autriche; il comptait par là de terminer bientôt la guerre d'Italie comme toute l'affaire de la suc

'Mémoires de Dangeau, t. VIII, p. 192.

cession d'Espagne et de ses vastes dépendances, que l'empereur ne pouvait disputer avec ses seules forces ni même avec celles de l'Empire. Rien n'était donc plus contradictoire à cette position et à la reconnaissance qu'il avait solennellement faite, à la paix de Ryswick, du prince d'Orange comme roi d'Angleterre. C'était offenser sa personne par l'endroit le plus sensible, toute l'Angleterre avec lui et la Hollande à sa suite, sans que cette reconnaissance donnât rien de solide à l'égard du prince de Galles. »

Guillaume III était a table dans son château de Dieren, en Hollande, lorsqu'il reçut cette nouvelle. Il ne prononça pas une parole, mais il rougit, enfonça son chapeau et ne put contenir son visage. Le comte de Manchester, ambassadeur d'Angleterre, quitta Paris sans prendre congé du roi autrement que par ce billet à M. de Torcy:

« Monsieur,

<< Le roi, mon maître, étant informé que Sa Majesté très-chretienne a reconnu un autre roi de la Grande-Bretagne, ne croit pas que sa gloire et son service lui permettent de tenir plus longtemps un ambassadeur auprès du roi, votre maître, et il m'a envoyé l'ordre de me retirer incessamment, dont je me donne l'honneur de vous avertir par ce billet. >>

<< Tous les Anglais, dit Torcy dans ses Mémoires, regardèrent unanimement comme une offense mortelle de la part de la France qu'elle prétendit s'arroger le droit de leur donner un roi au préjudice de celui qu'ils avaient eux-mêmes appelé et reconnu depuis plusieurs an

nées. »

Voltaire assure, dans le Siècle de Louis XIV, que M. de Torcy attribuait la reconnaissance du prince de Galles par Louis XIV à l'influence de madame de Maintenon, touchée des larmes de la reine, Marie de Modène. « Il n'avait point, disait-il, inséré le fait dans ses Mémoires, parce qu'il ne trouvait pas honorable pour son maître que deux femmes lui eussent fait changer une résolution contraire prise dans son conseil. » Peut-être le déplorable état de santé de Guillaume III et le penchant qu'on supposait chez la princesse Anne de Danemark à rétablir les Stuarts sur le trône, depuis qu'elle avait elle-même perdu le duc de Gloucester, dernier survivant de ses dix-sept enfants, influèrent-ils sur la malheureuse résolution de Louis XIV. La magnanimité et les illu

sions royales avaient pu l'engager à soutenir le roi Jacques II, renversé
et fugitif; nulle obligation de ce genre n'existait à l'égard d'un prince
qui avait quitté l'Angleterre à la mamelle et qui avait grandi dans l'exil.
Je me suis souvent rappelé tristement, pendant le cours de ma longue
vie, les vers de Racine dans Athalie, lorsque Joad invoque sur la reine
impie :

Cet esprit d'imprudence et d'erreur,
De la chute des rois funeste avant-coureur.

La reconnaissance du prince de Galles comme roi d'Angleterre fut, chez le roi Louis XIV, le signe le plus irrécusable de cet aveuglement fatal. Guillaume III avait payé cher l'honneur d'être appelé au trône d'Angleterre; plus d'une fois il avait été sur le point d'abandonner l'ingrate nation, qui reconnaissait si mal ses grands services; il avait pensé à retourner vivre au milieu de ses Hollandais, affectueusement attachés à sa famille comme à sa personne; l'insulte du roi de France rendit, en Angleterre, à son adversaire déjà mourant, toute la popularité qu'il avait perdue. Lorsque Guillaume revint de Hollande pour ouvrir un nouveau parlement, le 10 janvier 1702, les témoignages de sympathie lui furent prodigués dans tous les partis. « Je ne doute pas, dit-il, que les dernières démarches de Sa Majesté très-chrétienne et les dangers qui menacent toutes les puissances de l'Europe n'aient excité votre plus vif ressentiment. Le monde entier a les yeux fixés sur l'Angleterre; il en est temps encore, elle peut sauver sa religion et sa liberté, mais qu'elle mette à profit tous les instants, qu'elle arme sur terre et sur mer, qu'elle prête à ses alliés tous les secours qui seront en son pouvoir et voue à ses ennemis, aux adversaires de sa religion, de sa liberté, de son gouvernement et du roi qu'elle s'est donné, toute la haine qu'ils méritent! >>

Ce discours, plus passionné que ne l'étaient d'ordinaire les paroles de Guillaume III, rencontra chez son peuple un ardent écho; les chambres votèrent une levée de quarante mille matelots et de cinquante mille soldats; la Hollande avait promis quatre-vingt-dix mille hommes; mais la santé du roi d'Angleterre allait déclinant il était tombé de cheval le 4 mars et s'était cassé l'os de la clavicule; cet accident précipitait les progrès du mal qui l'accablait; lorsque son ami Keppel, qu'il avait fait comte d'Albemarle, revint, le 18 mars, de Hollande, Guillaume l'accueillit par ces mots : « Je tire vers ma fin. »

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GUILLAUME

111 RECEVANT LA NOUVELLE DE LA RECONNAISSANCE DU PRINCE DE GALLES

IV. - 42

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