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un régiment du roi, le jeune camisard se laissa séduire; il se rendit solennellement à Nimes pour voir le maréchal. « C'est un paysan du plus bas étage, écrivait Villars à Chamillard, qui n'a pas vingt-deux ans et n'en parait pas dix-huit; petit et aucune mine qui impose, qualités nécessaires pour les peuples,.mais un bon sens et une fermeté surpre nants. Je lui demandais hier comment il faisait pour contenir ses gens: «Est-il possible, disais-je, qu'à votre âge et n'ayant pas un long usage du commandement, vous n'eussiez aucune peine à ordonner souvent la mort de vos propres soldats? Non, monsieur, me dit-il, quand elle me paraissait juste. Mais de qui vous serviez-vous pour la donner? Du premier à qui je l'ordonnais, sans qu'aucun ait jamais hésité à suivre mes ordres. » Je crois, monsieur, que vous trouverez cela assez surprenant; d'ailleurs il a beaucoup d'arrangement pour ses subsistances et dispose aussi bien ses troupes pour une action que des officiers bien entendus pourraient le faire. C'est un bonheur si je leur ôte un pareil homme. »

Les gens de Cavalier échappaient à son empire; ils avaient un moment espéré qu'on leur rendrait cette liberté pour laquelle ils avaient versé leur sang. « On leur permit de faire leurs prières publiques et de chanter leurs psaumes. Cela ne fut pas plutôt connu des environs, écrit Villars, que voilà mes fous qui accourent des bourgs et châteaux voi sins, non pour se rendre, mais pour chanter avec les autres. On ferma les portes, ils sautent les murailles et forcent les gardes. On publie que j'ai accordé indéfiniment le libre exercice de la religion. » Les évêques laissaient faire le maréchal. «Bouchons-nous les oreilles, disait l'évêque de Narbonne, et finissons. » Les Camisards refusèrent d'écouter Cavalier. « Tu es fou, lui dit Roland, tu as trahi tes frères, tu devrais en mourir de honte. Va dire au maréchal que je suis résolu à rester l'épée à la main jusqu'à l'entier et complet rétablissement de l'édit de Nantes!» Les Cévénols se croyaient assurés du secours de l'Angleterre; une poignée seulement suivit Cavalier, qui resta fidèle à ses engagements; on le dirigea avec sa troupe sur l'Alsace; il se déroba à ses surveillants et se jeta en Suisse. A la tête d'un régiment de réfugiés, il servit successivement le duc de Savoie, les États généraux et l'Angleterre; il mourut à Chelsea en 1740, laissant seul parmi les Camisards un nom dans le monde.

L'insurrection persistait encore dans le Languedoc sous les ordres de Roland, plus fanatique et plus désintéressé que Cavalier; il fut trahi

et cerné dans le château de Castelnau, le 16 août 1704. Roland eut le temps de sauter hors du lit et de monter à cheval; il s'enfuyait avec ses gens par une porte de derrière lorsqu'un détachement de dragons le rejoignit; le chef camisard s'appuya contre un vieil olivier et vendit chèrement sa vie. Lorsqu'il succomba, ses lieutenants se laissèrent prendre « comme des agneaux » à côté de son cadavre. « On les destina à servir d'exemple, écrit Villars, mais la manière dont ils reçurent la mort était bien plus propre à établir leur esprit de religion dans ces tètes gàtées qu'à la détruire. Le lieutenant Maillé était un beau jeune homme d'un esprit au-dessus du commun. Il écouta son arrèt en souriant, traversa la ville de Nimes avec le mème air, priant le prètre de ne le point tourmenter; les coups qu'on lui donna ne changèrent point cet air et ne lui arrachèrent pas un eri. Les os des bras rompus, il eut encore la force de faire signe au prètre de s'éloigner, et, tant qu'il put parler, il encouragea les autres. Cela m'a fait penser que la mort la plus prompte à ces gens-là est toujours la plus convenable, et qu'il faut surtout faire porter leur sentence plutôt sur leur opiniàtreté dans la révolte que dans la religion. » Villars n'abusa pas des supplices, même à l'égard des plus obstinés; peu à peu les chefs étaient tués dans les petits combats ou mouraient obscurément de leurs blessures; les vivres devenaient rares; la campagne était dévastée, les soumissions étaient chaque jour plus nombreuses. Les principaux demandèrent tous à sortir de France. «Il ne reste plus que peu de brigands dans les hautes Cévennes, » dit Villars. Quelques soulèvements partiels rappelèrent seuls jusqu'en 1709 que le vieux levain existait encore; la guerre des Camisards était finie. Tentative unique dans l'histoire du protestantisme français depuis Richelieu, ce fut l'étrange el dangereux effort d'une population ignorante et sauvage, exaltée par la persécution, qui se crut appelée par l'esprit de Dieu à conquérir, les armes à la main, la liberté de sa foi, sous la conduite de deux patres soldats et prophètes. Seuls, les caméroniens écossais présentèrent le mème mélange d'ardeur guerrière et d'exaltation pieuse, plus sombre et plus farouche chez les hommes du Nord, plus poétique et plus prophétique chez les Cévénols, découlant en Écosse comme en Languedoc de l'oppression religieuse et de la constante lecture des livres saints. Le silence de la mort succéda partout en France aux plaintes des réformés et au fracas des armes; Louis XIV put croire que le protestantisme était mort dans ses Etats.

C'était un peu avant le moment où les derniers des camisards, Abraham Mazel et Claris, périssaient près d'Uzès (en 1710), que le roi porta le dernier coup au jansénisme en détruisant son nid primitif et son refuge suprême, la maison des religieuses de Port-Royal des Champs. Avec des trèves et des intervalles d'apparent repos, la lutte avait duré plus de soixante ans entre les jésuites et le jansénisme. M. de SaintCyran, sorti de la Bastille quelques mois après la mort de Richelieu, avait consacré les derniers jours de sa vie à écrire contre le protestantisme, d'autant plus effrayé de l'hérésie qu'il s'y sentait peut-être attiré par une affinité secrète. Il était déjà mourant lorsque parut le livre de la Fréquente communion, écrit par M. Arnauld, dernier fils et vingtième enfant de cette illustre famille des Arnauld en qui le jansénisme semblait s'être personnifié. L'auteur fut aussitôt accusé à Rome et s'ensevelit pendant vingt ans dans la retraite ; M. de Saint-Cyran travaillait encore, dictant des pensées chrétiennes et des points sur la mort: Stantem mori oportet, disait-il. Le 5 octobre 1645, il succomba tout à coup, entre les bras de ses amis. « Je jetai les yeux sur le corps qui était encore en la même posture où la mort l'avait laissé, écrit Lancelot, et je le trouvai si plein de majesté et dans une mine si grave que je ne pouvais me lasser de l'admirer, et je m'imaginais qu'il aurait encore été capable, en cet état, de donner de la crainte aux plus passionnés de ses ennemis, s'ils l'eussent vu. » C'était le coup le plus cruel que pussent recevoir les pieuses religieuses de Port-Royal. « Dominus in culo!» se contenta de dire la mère Angélique Arnauld, reportant, comme M. de Saint-Cyran lui-même, toute sa pensée et ses affections à l'éternité.

En mourant, M. de Saint-Cyran avait dit à M. Guérin, médecin du collége des Jésuites : « Monsieur, dites à vos Pères, quand je serai mort, qu'ils n'en triomphent pas, et que j'en laisse douze après moi, plus forts que moi. » Le pénétrant directeur des consciences se trompait aucun de ceux qu'il laissait derrière lui n'eût fait son œuvre; il avait inspiré la mème ardeur et la même constance aux forts et aux faibles, aux violents et aux pacifiques; il avait soufflé sa foi puissante dans les âmes les plus diverses, embrasé du même zèle les pénitents et les religieuses, les hommes arrachés à la brùlante vie du monde et les femmes élevées dès l'enfance à l'ombre du cloìtre. M. Arnauld fut un grand théologien, un infatigable disputeur, oracle et guide de ses amis dans leur lutte contre les jésuites; M. de Sacy et M. Singlin furent de sages et habiles

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