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le roi lui rendait comme son fils, prévaudraient sur le soin public que, comme roi, il doit avoir de son État et de son peuple. Mais Dieu, qui tient en sa main le cœur des princes, en disposa autrement: Sa Majesté se résolut de défendre son serviteur contre la malice de ceux qui portaient la reine à ce mauvais dessein; » il entretint longuement le cardinal, et lorsque le garde des sceaux se réveilla le lendemain matin, ce fut pour apprendre que le ministre était à Versailles auprès du roi, qui l'avait logé en une chambre au-dessous de la sienne, que Sa Majesté redemandait les sceaux et que les exempts étaient à sa porte, à lui Marillac, pour s'assurer de sa personne.

En même temps partait un courrier pour le quartier général de Foglizzo, en Piémont; les trois maréchaux de Schomberg, de la Force et de Marillac s'y trouvaient réunis. Marillac, frère du garde des sceaux, commandait ce jour-là; il attendait avec impatience la nouvelle de la disgrace du cardinal, déjà annoncée par son frère. Le maréchal de Schomberg ouvrit les dépêches; les premiers mots qui frappèrent ses yeux furent ceux-ci, écrits de la main même du roi : « Mon cousin, vous ne manquerez pas d'arrêter le maréchal de Marillac; il y va du bien de mon service et de votre justification. » Le maréchal était fort embarrassé; une grande partie des troupes étaient venues avec Marillac de l'armée de Champagne et lui étaient dévouées. Schomberg résolut, de l'avis du maréchal de la Force, en plein conseil des capitaines, de montrer l'apostille à Marillac. « Monsieur, répondit le maréchal, il n'est pas permis à un sujet de murmurer contre son maitre, ni de lui dire que les choses qu'il allègue sont fausses. Je puis protester avec vérité de n'avoir rien fait contre son service. La vérité est que mon frère le garde des sceaux et moi avons toujours été serviteurs de la reine mère; il faut qu'elle ait eu le dessous et que M. le cardinal de Richetieu l'ait emporté contre elle et ses serviteurs'. »

Ainsi arrêté au milieu même de l'armée qu'il commandait, le maréchal de Marillac fut conduit au château de Sainte-Menehould et de là à Verdun, où une chambre de justice extraordinaire instruisit son procès. Toute accusation politique en avait été écartée; le maréchal était poursuivi pour péculat et extorsion, crimes communs alors à beaucoup de généraux et toujours odieux à la nation, qui en accueillait favorablement le châtiment. « C'est une chose bien étrange, disait

Mémoires de Puy-Ségur.

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Marillac, qu'on me poursuive comme on fait; il ne s'agit en mon procès que de foin, de paille, de bois, de pierres et de chaux. Il n'y a pas de quoi fouetter un laquais. » Il y avait de quoi condamner à mort un maréchal de France. La procédure dura dix-huit mois; la commission fut transférée de Verdun à Ruel, dans la maison même du cardinal. Marillac fut condamné à une voix de majorité seulement. L'exécution eut lieu le 10 mai 1652. L'ancien garde des sceaux, Michel de Marillac, mourut de langueur à Châteaudun, trois mois après la mort de son frère.

La journée des Dupes était passée et perdue. L'attaque de la reine mère contre Richelieu avait échoué devant l'ascendant du ministre et la fidélité raisonnée du roi pour un serviteur qu'il n'aimait pas; mais la colère de Marie de Médicis n'était pas calmée et la lutte restait engagée entre elle et le cardinal. Le duc d'Orléans, qui avait perdu sa femme après un an de mariage, n'avait pas jusqu'alors embrassé le parti de sa mère; mais tout d'un coup, ému de ses griefs, il arriva chez le cardinal le 30 janvier 1631, « fort accompagné, et lui dit qu'il trouverait bien étrange le sujet qui l'amenait là; que tant qu'il avait pensé que le cardinal le servirait, il l'avait bien voulu aimer; maintenant qu'il voyait qu'il lui manquait à tout ce qu'il lui avait promis, si bien dont lui, Monsieur, s'était gouverné, n'avait rien servi qu'à faire croire que la façon au monde qu'il avait abandonné la reine sa mère, il venait done retirer la parole qu'il lui avait donnée de l'affectionner. » Au sortir de l'hôtel du cardinal, Monsieur monta en carrosse et s'en alla en diligence à Orléans, pendant que le roi, averti par Richelieu, arrivait en toute hâte de Versailles, pour assurer son ministre « de sa protection, sachant bien qu'il n'y avait personne qui lui voulût mal que pour les fidèles services qu'il lui rendait1. >>

La reine mère avait assurément connu le projet du duc d'Orléans, car elle lui avait rendu les pierreries de Madame, qu'il lui avait confiées; elle envoya néanmoins son écuyer au roi, protestant « qu'elle avait été bien étonnée quand elle avait su le partement de Monsieur, que peu s'en était fallu qu'elle ne s'en fût évanouie, et que Monsieur lui avait mandé qu'il s'en allait de la cour parce qu'il ne pouvait plus souffrir les violences que le cardinal faisait contre elle. »

« Comme le roi lui témoigna qu'il trouvait bien étrange cette retraite

Mémoires de Richelieu, t. II, p. 444.

et lui fit connaître qu'il avait beaucoup de peine à croire qu'elle n'en sùt rien, elle prit occasion de vomir feu et flammes contre le cardinal et fit un effort nouveau pour le ruiner dans l'esprit du roi, quoique auparavant elle se fut obligée par serment de n'entreprendre plus aucunes choses contre lui 1. »

Le cardinal n'avait rien juré ou ne se croyait pas plus obligé que la reine à tenir ses serments. Leurs Majestés partirent pour Compiègne; là le ministre porta l'affaire au conseil, exposant les divers partis à prendre avec une habile apparence d'impartialité, et finissant par poser la question entre sa retraite et celle de la reine mère. « Sa Majesté, sans hésiter, choisit d'elle-même, prenant la résolution de retourner à Paris et de prier sa mère de se retirer pour lors en quelqu'une de ses maisons, lui désignant particulièrement Moulins, qu'autrefois elle avait désirée du feu roi ; et afin qu'elle y fût avec plus de contentement, il lui en offrit le gouvernement et celui de toute la province. » Le lendemain, 23 février 1651, avant que la reine mère fût éveillée, son royal fils avait repris le chemin de Paris, laissant le maréchal d'Estrées à Compiègne pour expliquer à la reine son départ et pour hâter celui de sa mère; ce à quoi le maréchal ne réussit guères, car Marie de Médicis déclara que si on la voulait contraindre à partir, il faudrait l'arracher toute nue de son lit. Elle se tint renfermée dans le château, se refusant à sortir, et se plaignant du mal que la réclusion faisait à sa santé ; puis elle s'enfuit la nuit de Compiègne, accompagnée d'un seul gentilhomme, pour aller se réfugier en Flandre, d'où elle arriva bientôt à Bruxelles.

La partie du cardinal était définitivement gagnée. Marie de Médicis avait perdu tout empire sur son fils, qu'elle ne devait plus revoir.

Monsieur le duc d'Orléans avait cependant pris le chemin de la Lorraine, cherchant un refuge dans les États d'un prince habile, rusé, remuant, hostile à la France par goût comme par politique. Bientôt épris de la sœur du duc, la princesse Marguerite, Gaston d'Orléans l'épousa sans bruit, avec la dispense du cardinal de Lorraine, ce qui n'empêcha ni le duc ni le prince de nier effrontément le mariage lorsque le roi leur reprocha cette union contractée sans son aveu. Au mois de juin 1652, le duc d'Orléans rentrait en France à la tête de quelques mauvais régiments, rebut de l'armée espagnole, que lui avait

Mémoires de Richelieu, t. II, p. 465.

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