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même, le plus jeune et qui semblait le plus ardent de leurs nouveaux chefs, fut d'avis de ne point agir et de se séparer: « Si vous ne voulez pas soutenir l'assemblée, lui dit le marquis de Châteauneuf qui lui avait été envoyé pour le décider, elle saura bien se défendre sans vous. — Si l'assemblée prend des résolutions contraires à mon avis, dit Rohan piqué d'honneur, je ne me séparerai pas des intérêts de nos Églises. » Et il soumit sa raison à l'aveuglement populaire. Les ducs de la Trémoille et de Soubise, les marquis de la Force et de Châtillon le suivirent dans sa condescendance. Comme le dit M. de Sismondi, ce fut à ces cinq seigneurs et à un petit nombre de villes que se trouvèrent réduites les forces du parti qui défiait le roi de France.

Ainsi, depuis la mort d'Henri IV, le roi et la cour de France étaient bien changés les grandes questions et les grands personnages avaient disparu. Le dernier des vrais chefs de la Ligue, le frère du duc Henri de Guise, le vieux duc de Mayenne, celui dont Henri IV vainqueur ne voulait se venger qu'en le lassant à la promenade, était mort. La première femme d'llenri IV, la spirituelle et trop facile Marguerite de Valois était morte aussi, après avoir consenti à descendre du trône pour y faire place à la médiocre Marie de Médicis. Le champion catholique qu'Henri IV se félicitait de pouvoir opposer à du Plessis Mornay dans ses conférences polémiques entre les deux communions, le cardinal du Perron se mourait. La décadence était générale, et la même parmi les protestants que parmi les catholiques; Sully et Mornay se tenaient à l'écart ou n'étaient plus guère écoutés. A la place de ces personnages éminents étaient venus des intrigants ou des ambitieux subalternes, étrangers ou indifférents à la grande politique, et qui ne se préoccupaient que d'eux-mêmes et de leur fortune. Le mari de Léonore Galigaï, Concini, avait amassé beaucoup d'argent et acheté le marquisat d'Ancre; bien plus, il avait été fait maréchal de France, et il disait au comte de Bassompierre : « J'ai appris à connaître le monde, et je sais que l'homme, arrivé jusqu'à un certain point de bonheur, en descend aussi rudement qu'il s'est élevé plus haut. Quand je suis venu en France, je n'avais pas un sou vaillant, et je devais plus de huit mille écus. Mon mariage et les bonnes grâces de la reine m'ont donné beaucoup d'avancements, de charges et d'honneurs; j'ai travaillé à ma fortune et je l'ai poussée en avant tant que j'ai vu le vent favorable. Mais dès que je l'ai senti tourner, j'ai pensé à faire retraite et à jouir en paix des grands biens que nous avions acquis. C'est ma femme qui s'est

opposée à cette volonté. A chaque coup de fouet que la fortune nous donne, je continue de la presser. Dieu sait si les avertissements nous ont manqué. La mort de ma fille est le dernier, et si nous ne l'écoutons, notre chute est prochaine. » Puis il faisait naïvement le relevé de tous ses biens, montant à huit millions, avec lesquels il voulait acheter du pape l'usufruit du duché de Ferrare, et laisser encore à son fils une belle succession. Mais sa femme s'y opposait toujours; ce serait, disaitelle, lâcheté et ingratitude d'abandonner la reine : « De sorte, s'écriaitil, que je me vois perdu sans ressource; et si ce n'était que j'ai tant d'obligations à ma femme, je la quitterais pour m'en aller dans un lieu où ni les grands ni le peuple ne viendraient me chercher. »

Ce modeste langage n'empêchait pas que le maréchal d'Ancre n'eût parfois d'étranges boutades de domination arrogante. « Par Dieu, Monsieur, écrivait-il à l'un de ses amis, je me plains de vous; vous traitez de la paix sans moi; vous avez fait que la reine m'a écrit que, pour l'amour d'elle, je dois laisser la poursuite que j'ai commencée contre M. de Montbazon pour me faire payer de ce qu'il me doit. Par tous les diables, la reine et vous, que pensez-vous que je fasse? La rage me mange jusqu'aux os. » Préoccupé de la crainte qu'on n'exerçât sur le jeune roi une influence contraire à la sienne, il prétendait régler ses amusements, ses promenades, lui interdisait de sortir de Paris. Louis XIII avait dans son service personnel un jeune gentilhomme, Albert de Luynes, habile à dresser de petits oiseaux de proie, les pics grièches, alors à la mode; le roi le fit son fauconnier et vivait familierement avec lui. Jouant un jour au billard, le maréchal d'Ancre dit au roi en mettant son chapeau sur sa tête : « J'espère que Votre Majesté me permettra de me couvrir. » Le roi permit; mais il resta surpris et choqué. Son jeune page, Albert de Luynes, s'aperçut de son humeur, et pressé, lui aussi, de devenir un favori, il prit soin de la cultiver. Un complot domestique s'ourdit contre le maréchal d'Ancre. Quelle en était la portée et quels les complices? Ce n'est pas clair. Quoi qu'il en fût, le 24 avril 1617, M. de Vitry, capitaine de quartier ce jour-là dans l'armée royale qui assiégeait Soissons, fit dire à quelques-uns de ses officiers de se trouver chacun avec un pistolet dans sa poche et il alla lui-même à la porte du Louvre par où le roi devait entrer chez la reine mère. Quand le maréchal d'Ancre arriva à cette porte: «Voilà M. le maréchal, dit l'un des officiers. » Vitry mit la main sur lui, en disant : « Monsieur le maréchal, j'ai ordre du roi de vous arrêter.-Moi? dit le

maréchal surpris en essayant de résister. » L'officier fit feu sur lui; plusieurs autres en firent autant; on ne sut ou l'on ne dit pas quel était celui dont le coup l'avait frappé. « Sire, vint dire au <«< Sire, vint dire au jeune roi le colonel d'Ornano, à cette heure vous êtes roi; le maréchal d'Ancre est mort; » et le jeune roi, devant la cour réunie, répéta avec le même accent de satisfaction: « Le maréchal d'Ancre est mort. » Le baron de Vitry fut nommé maréchal de France à la place du favori qu'il venait d'assassiner. Le lendemain de l'assassinat, la foule se précipita dans l'église de Saint-Germain l'Auxerrois où le cadavre du maréchal avait été enterré; elle souleva les dalles, tira le corps de terre, le traîna sur le pavé jusqu'au pont Neuf où elle le pendit par les pieds à une potence; on le déchira ensuite par morceaux, qu'on vendit, qu'on brûla et qu'on jeta dans la Seine. Les férocités populaires étaient satisfaites; mais les haines et les envies de la cour ne l'étaient pas; elles s'attaquèrent à la veuve du maréchal, Léonore Galigaï. Elle demeurait au Louvre, et au premier bruit de l'événement, elle avait fait demander asile à la reine mère. Durement refusée, elle s'était déshabillée pour couvrir de son corps ses pierreries qu'elle avait cachées dans ses matelas. Aussitôt découverte, elle fut conduite à la Bastille et traduite devant le parlement. Elle commença par rejeter toutes les fautes sur son mari; c'était lui, dit-elle, qui avait empêché qu'elle ne se retirât en Italie et qui avait tout tenté pour pousser plus loin sa fortune. Condamnée à mort, Lécnore retrouva son courage et sa fierté. « Jamais, dit un contemporain, on ne vit personne qui eût un visage plus constant et plus résolu. » «Que de peuple pour voir une pauvre affligée!» dit-elle à l'aspect de la foule qui se pressait sur son passage. Rien n'indique que la fermeté de ses derniers moments lui ait valu plus de sympathie que ses faiblesses ne lui avaient attiré de compassion. La multitude a des heures impitoyables. Léonore Galigaï mourut laissant un fils enfant, qui fut si maltraité, qu'il résolut de refuser tout aliment, et n'accepta enfin que les confitures que la jeune reine Anne d'Autriche, mariée depuis deux ans à Louis XIII, eut la bonté de lui envoyer.

Je rencontre dans cette circonstance bien insignifiante la trace de l'un des événements importants qui marquèrent les premières années de la régence de Marie de Médicis et l'influence de ses premiers favoris. Concini et sa femme, l'un et l'autre probablement au service secret de la cour de Madrid, avaient poursuivi le mariage de Louis XIII avec l'infante Anne d'Autriche, fille ainée du roi d'Espagne Philippe III, et

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