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des villes et châteaux qui n'offraient aucune utilité pour la défense du pays.» Les petits gentilshommes, en majorité dans les états, livraient. ainsi la province au pouvoir royal, par jalousie contre les grands seigneurs. L'ordonnance, datée de Nantes du 51 juillet 1626, rendit la mesure générale dans toute la France. Les créneaux des châteaux tombèrent sous la hache des démolisseurs, et la masse du pays salua avec enthousiasme la ruine des anciens souvenirs de l'oppression féodale.

A la suite de l'abaissement systématique des grands seigneurs, mème gouverneurs de province, et de l'affaiblissement graduel des institutions provinciales, Richelieu avait besoin de créer dans toutes les parties de la France, encore si diverses d'organisation comme de mœurs, des représentants du pouvoir royal, trop modestes et trop faibles pour se passer de lui, assez capables pour appliquer ses mesures et faire respecter ses volontés. Déjà les rois de France avaient à plusieurs reprises senti la nécessité de faire surveiller dans les provinces la conduite de leurs officiers. Les enquesteurs de Saint-Louis, les chevauchées des maîtres des requêtes, les commissaires départis de Charles IX, avaient été autant d'inspecteurs temporaires et passagers, chargés d'informer le roi de l'état de ses affaires dans tout le royaume. Richelieu remplaça ces commissions momentanées par une institution fixe et régulière, et en 1637 il établit dans toutes les provinces des intendants de justice, police et finances, choisis pour la plupart dans la bourgeoisie, qui concentrèrent bientôt entre leurs mains toute l'administration et soutinrent la lutte du pouvoir royal contre les gouverneurs, les cours souveraines et les états provinciaux.

Lors de l'institution des intendants de province, la bataille de la monarchie pure était gagnée; Richelieu n'avait plus besoin d'alliés, il ne voulait que des sujets; mais au début de son ministère il avait senti le besoin de s'appuyer parfois sur la nation, et ce grand ennemi des états généraux avait deux fois convoqué l'assemblée des notables. La première eut lieu à Fontainebleau en 1625, le cardinal était alors en lutte avec la cour de Rome. «Si le roi très-chrétien, dit-il, doit veiller aux intérêts de l'Église catholique, il a d'abord à maintenir sa réputation dans le monde. Que servirait-il à un État d'être puissant, riche et populaire, s'il n'a pas la considération qui peut engager d'autres peuples à s'allier avec lui? » Ces quelques mots résumaient la politique extérieure du grand ministre protéger l'Église catholique en mainte

nant les alliances protestantes. Les notables comprirent cette sage conduite, et Richelieu reçut leur adhésion.

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Il en fut de même l'année suivante, au lendemain de la conspiration de Chalais; le cardinal convoqua l'assemblée des notables. « Nous protestons devant le Dieu vivant, disaient les lettres de convocation, que nous n'avons d'autre but et intention que son honneur et le bien de nos sujets; c'est pourquoi nous conjurons en son nom ceux que nous convoquons et très-expressément leur commandons que, sans crainte ou désir de déplaire ou complaire à personne, ils nous donnent en toute franchise et sincérité les conseils qu'ils jugeront, en leur conscience, les plus salutaires et convenables au bien de la chose publique. L'assemblée, si solennellement convoquée, ouvrit ses séances au palais des Tuileries, le 2 décembre 1626. L'état des finances occupa surtout les assistants; le cardinal indiqua lui-même les principes généraux de la réforme qu'il comptait établir: « Il n'est pas possible de toucher aux dépenses nécessaires pour la conservation de l'État, dit-il; y penser seulement serait un crime. Il faut donc retrancher les dépenses inutiles. Les règles les plus austères sont et semblent douces aux plus déréglés esprits quand elles n'ont, en effet comme en apparence, autre but que le bien public et le salut de l'État. Pour rétablir l'État en sa première splendeur, il n'est pas besoin de beaucoup d'ordonnances, mais bien de réelles exécutions. >>

L'exécution appartenait à Richelieu et il se passait volontiers de beaucoup d'ordonnances. L'assemblée était favorable à ses mesures; parmi celles qu'elle repoussa était la proposition de substituer la perte des charges et la confiscation à la peine de mort dans les matières de rébellion et conspiration. « Mieux valait, dit le cardinal, une peine modérée mais sûre, qu'un châtiment trop rigoureux pour être toujours appliqué. Ce furent les notables qui maintinrent aux mains de l'inflexible ministre l'arme terrible dont il se servit tant de fois. L'assemblée se sépara le 24 février 1627, la dernière qui fut convoquéc avant la révolution de 1789. Ce fut en réponse à ses demandes, comme à celles des états de 1614, que le garde des sceaux Michel de Marillac rédigea en 1629 l'importante ordonnance administrative qui a gardé du nom de son auteur le titre de Code Michau.

Le cardinal avait entretenu les notables d'une question qu'il avait fort à cœur, celle de la fondation d'une marine. Déjà, en disposant quelques semaines auparavant du gouvernement de Bretagne, enlevé au

duc de Vendôme, il avait détaché de cette charge celle d'amiral de Bretagne; déjà il était en mesure de racheter à M. de Montmorency sa charge de grand amiral de France, pour la supprimer et la remplacer par celle de grand maître de la navigation, qui fut personnellement attribuée à Richelieu par un édit enregistré le 18 mars 1627.

« Du pouvoir que Sa Majesté a eu pour agréable que j'eusse, écrivait-il le 20 janvier 1627, je puis dire avec vérité qu'il est si modéré qu'il est impossible qu'il le soit davantage pour avoir lieu de le servir, puisque je n'ai désiré aucuns gages ni appointements pour n'être à charge de l'État, et je puis ajouter sans vanité que l'ouverture de n'avoir point de gages est venue de moi, et que Sa Majesté faisait difficulté de le passer ainsi. »>

Les notables avaient remercié le roi de l'intention où il « était de vouloir rendre au royaume les trésors de la mer que la nature lui avait si libéralement offerts, car on ne peut sans la mer ni profiter de la mer ni soutenir la guerre. » Les ports réparés et fortifiés, les arsenaux établis sur divers points des côtes, l'organisation des régiments de marine, la fondation des écoles de pilotes, enfin la création d'une marine puissante qui, en 1642, comptait 65 vaisseaux et 22 galères, qui partirent de la rade de Barcelone après les réjouissances pour la prise de Perpignan et arrivèrent le soir même à Toulon, tels furent les fruits de l'administration de la marine par Richelieu. « Au lieu, dit le bailli de Forbin, qu'une poignée de rebelles contraignait naguères de composer nos armées navales de forces étrangères et d'implorer le secours d'Espagne, d'Angleterre, de Malte et de Hollande, nous sommes à présent en état de leur rendre la pareille s'ils persévèrent dans notre alliance ou de les vaincre lorsqu'ils en seront détachés. »

Tant de progrès sur tous les points, tant d'efforts dans toutes les directions, 85 vaisseaux en mer, cent régiments d'infanterie et 500 cornettes de cavalerie, presque constamment sur le pied de guerre, entraînaient naturellement d'énormes dépenses et de terribles charges pour le peuple. C'était le tort de Richelieu d'être plus préoccupé de son but que scrupuleux sur les moyens qu'il employait pour y parvenir. Ses principes étaient durs comme sa conduite. « La raison ne permet pas d'exempter les peuples de toutes charges, disait-il, parce qu'en perdant en tel cas la marque de leur sujétion, ils perdraient aussi la mémoire de leur condition, et que s'ils étaient libres de tributs, ils penseraient l'ètre de l'obéissance. » Paroles cruelles et singulièrement

ignorantes de la charité chrétienne comme de la dignité humaine, à côté desquelles il faut cependant placer celles-ci : « Si les subsides imposés au peuple n'étaient modérés, lors même qu'ils seraient utiles au pays, ils ne laisseraient pas d'ètre injustes. » Le ferme bon sens de ce grand esprit ne lui permettait pas de s'éloigner longtemps d'une certaine équité dure. La postérité a moins conservé le souvenir de son équité que celui de sa dureté; les hommes ont besoin de sympathie plus que de justice.

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