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LOUIS XIII, LE CARDINAL DE RICHELIEU, LES CATHOLIQUES

ET LES PROTESTANTS

Le cardinal de Richelieu a souvent été accusé d'indifférence envers l'Église catholique; les ultramontains l'appelaient le cardinal des huguenols; on se trompait en parlant ainsi, ou l'on voulait tromper; Richelieu fut toute sa vie profondément et sincèrement catholique; nonseulement aucun doute sur les doctrines fondamentales de son Église ne troublait son esprit, mais il était préoccupé de sa sécurité et de sa grandeur. Croyant convaincu, sans émotion religieuse et sans ardeur mystique, il travailla pour le catholicisme en s'assurant des alliances protestantes, et si l'indépendance de son esprit lui faisait sentir le besoin d'une réforme, ce fut toujours dans l'Église et par l'Église ellemême qu'il voulut l'accomplir.

Des âmes plus ferventes et des esprits plus pieux que n'était Richelieu, éprouvaient le même besoin. Au sortir des luttes violentes des guerres religieuses, l'Église catholique n'avait pas perdu sa foi, mais

elle avait négligé la charité et les lumières. La conversion du roi Henri IV lui avait assuré la victoire en France, mais elle était menacée de la laisser échapper de ses mains par sa propre faute. Dieu lui suscita quelques grands serviteurs qui la préservèrent de ce danger.

L'éclat oratoire et politique qu'a jeté l'Église catholique sous le règne de Louis XIV a fait oublier le grand mouvement religieux du règne de Louis XIII. Savante et mystique entre les mains du cardinal de Bérulle, humaine et charitable avec saint Vincent de Paul, hardiment sainte avec M. de Saint-Cyran, l'Église subit de toutes parts des influences vivifiantes qui la tirèrent de son dangereux engourdissement. L'effort fut tenté sur tous les points à la fois. Les prêtres étaient tombés dans une ignorance aussi périlleuse que leur tiédeur; à travers les négociations diplomatiques qu'il entreprenait au nom de Richelieu et des intrigues qu'il tramait souvent avec la reine mère contre lui, le cardinal de Bérulle fonda la congrégation de l'Oratoire, destinée à former de jeunes prêtres instruits et pieux, capables de vaquer à l'éducation des enfants comme à l'édification du peuple. « C'est un corps, disait Bossuet, où tout le monde obéit et où personne ne commande; » aucun vœu n'enchaînait les membres de cette congrégation célèbre qui donna au monde Mallebranche et Massillon. Ce fut encore sous l'inspiration du cardinal de Bérulle, renommé pour la pieuse direction des âmes, que se fonda en France l'ordre des Carmélites, jusqu'alors resserré en Espagne. Le couvent de la rue Saint-Jacques compta bientôt parmi ses pénitentes des femmes du plus haut rang.

Les travaux de Mgr de Bérulle tendaient surtout au salut des âmes individuelles; ceux de saint Vincent de Paul embrassèrent un champ plus vaste et plus chrétiennement humain. Déjà saint François de Sales avait fondé en 1610, sous la direction de madame de Chantal, l'ordre de la Visitation, chargé du soin des pauvres et des malades; il avait remis la direction de son nouvel institut à M. Vincent, comme on appelait alors le pauvre prêtre sans naissance et sans fortune qui devait être célèbre dans le monde sous le nom de saint Vincent de Paul. Cette direction ne pouvait suffire à l'ardeur de sa charité; les enfants et les malades, les ignorants, les galériens, tous ceux qui souffraient en leur corps ou dans leur âme, semblaient appeler M. Vincent à leur secours; il fonda en 1617, dans une petite paroisse de Bresse, l'association de la Charité des Servantes des pauvres, qui devint en 1655, à Paris, sous la direction de madame Legras, nièce du garde des sceaux Marillac, la

congrégation des Servantes des pauvres malades et le berceau des Sœurs de la charité : « Elles n'auront habituellement, dit saint Vincent, pour monastère que les maisons des malades, pour chapelle que l'église de leur paroisse, pour cloître que les rues de la ville ou les salles des hôpitaux, pour clôture que l'obéissance, pour grille que la crainte de Dieu, et pour voile qu'une très-sainte et exacte modestie. » Dix-huit mille filles de saint Vincent de Paul, dont quatorze mille sont Françaises, témoignent encore aujourd'hui de la prévoyante sagesse de leur fondateur; les règlements ont duré comme son œuvre et les nécessités des pauvres.

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Ce fut aux filles de la Charité que M. Vincent confia l'œuvre des enfants trouvés lorsque l'élan de sa charité se porta, en 1638, sur les pauvres abandonnés qui périssaient alors en foule à Paris. Appelant à leur secours les femmes du monde, un soir que l'argent lui manquait, il s'écria chez la duchesse d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu : «< Or sus, mesdames, la compassion et la charité vous ont fait adopter ces petites créatures pour vos enfants; vous avez été leurs mères selon la grâce, depuis que leurs mères selon la nature les ont abandonnés. Voyez maintenant si vous voulez aussi les abandonner; leur vie et leur mort sont entre vos mains, il est temps de prononcer leur arrêt et de savoir si vous ne voulez plus avoir de miséricorde pour eux. Ils vivront si vous continuez d'en prendre un charitable soin; ils mourront et périront infailliblement si vous les abandonnez. » Saint Vincent de Paul avait confiance dans la nature humaine, et partout sur ses pas naissaient les bonnes œuvres, en réponse à ses appels; la fondation des prètres de la Mission ou des Lazaristes, destinés dans l'origine à répandre dans les campagnes la connaissance de Dieu, témoigne encore en Orient, où ils portent à la fois l'Évangile et le nom de la France, de ce grand réveil de la charité chrétienne qui signala le règne de Louis XIII. La même inspiration créa le séminaire de Saint-Sulpice, par les soins de M. Olier, les frères de la Doctrine chrétienne et les Ursulines, voués à l'éducation de l'enfance, et tant d'autres établissements charitables ou pieux, nobles fruits du dévouement et du sacrifice chrétien.

Nulle part cette idée féconde du sacrifice, de l'immolation de l'homme pour Dieu et du présent en regard de l'éternité, ne fut plus austèrement comprise et pratiquée que par les disciples de Jean du Vergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Plus hardi dans sa pensée

E

que
le cardinal de Bérulle et saint Vincent de Paul, d'une nature à la
fois plus sévère et plus ardente, il s'était de bonne heure voué à l'étude
de la théologie. Lié dès sa jeunesse avec un Flamand, Jansen, connu
sous le nom de Jansenius, et devenu évêque d'Ypres, il adopta avec
passion les doctrines sur la grâce de Dieu que son ami avait puisées à
l'école de saint Augustin, et portant dans la direction des âmes cette
ardeur de zèle qui fait les conquérants, il entreprit de renouveler
l'Église par la pénitence, par la sainteté et par le sacrifice; Dieu souve-
rain, régnant sur les cœurs domptés, tel était son but suprême, et il y
marcha sans s'inquiéter des révoltes ou des souffrances, sùr de triom-
pher avec Dieu et pour lui.

Les victoires remportées sur les âmes sont de leur nature silencieuses; M. de Saint-Cyran ne s'en contentait pas; il écrivait aussi, et son livre de Petrus Aurelius, publié sous le voile de l'anonyme, excita une grande émotion par sa défense des droits des évêques contre les moines et même contre le pape. Les évêques gallicans accueillirent alors avec une vive satisfaction cet éloquent plaidoyer en faveur de leur cause. Plus tard, le clergé français découvrit dans le livre de Saint-Cyran la libre pensée cachée sous les formes dogmatiques. « En cas d'hérésie chaque chrétien peut devenir juge, » disait Petrus Aurelius. Qui serait chargé de définir l'hérésie? M. de Saint-Cyran fut condamné.

Il l'était déjà par un ennemi plus redoutable que les assemblées du clergé de France. Le cardinal de Richelieu, naturellement attiré vers la grandeur comme il le fut plus tard vers l'enfance des Pascal, avait voulu s'attacher M. de Saint-Cyran : « Messieurs, disait-il un jour en reconduisant le simple prêtre au milieu de la foule de ses courtisans, vous voyez là le plus savant homme de l'Europe. » Mais l'abbé de SaintCyran n'acceptait point d'autre joug que celui de Dieu; il resta indépendant et peut-être hostile, poursuivant, sans se préoccuper du cardinal, la grande œuvre qu'il avait entreprise. Chargé depuis deux ans de la direction spirituelle du couvent de Port-Royal, il avait trouvé chez la mère Angélique Arnauld, supérieure et réformatrice du monastère, chez sa sœur la mère Agnès et les religieuses de leur ordre, des âmes dignes de lui et capables de supporter ses austères enseignements.

Bientôt il avait vu se former, à côté de Port-Royal et dans la solitude des champs, un noyau de pénitents, émules des ermites du désert. M. le Maître, neveu de la mère Angélique, célèbre avocat du parlement de Paris, avait tout quitté « pour ne plus parler qu'à Dieu »; pénitent

rugissant, il avait attiré auprès de lui ses frères MM. de Sacy et de Séricourt, bientôt le jeune Lancelot, le savant auteur des Racines grecques; tous plongés dans les rigueurs de la vie pénitente, tous aveuglément soumis à M. de Saint-Cyran et à ses saintes exigences. La puissance du directeur sur tant d'esprits éminents devenait trop grande; Richelieu avait mieux compris que les évèques la tendance des idées

JEAN DU VERGIER DE HAURANNE, ABBÉ DE SAINT-CYRAN D'après un portrait original de Philippe de Champagne, appartenant à la famille du Vergier de Hauranne

et des écrits de M. de Saint-Cyran; «< celui-ci continuait à publier plusieurs opinions nouvelles et d'une dangereuse conséquence, » dit le père Joseph dans ses Mémoires, de sorte que le roi, averti, commanda qu'on le mit prisonnier dans le bois de Vincennes. « Cet homme-là est pire que six armées, dit le cardinal de Richelieu; si on avait enfermé Luther et Calvin quand ils commencèrent à dogmatiser, on aurait épargné aux États bien des troubles. >>

La conscience humaine et l'ardeur des âmes ne se laissent pas si facilement étouffer par la prison ou l'exil: l'abbé de Saint-Cyran resta à

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