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viennent de la nécessité d'une réforme, mais tous sont arrêtés jusqu'ici par la crainte de se singulariser parmi leurs congénères. On ne viendra à bout de la résistance latente que par une sorte de révolution dans les mœurs, qui se produira automatiquement le jour où les indigènes seront submergés par notre civilisation, et cela arrivera, quoiqu'ils en aient, dans l'espace d'une ou deux générations, malgré l'opposition à prévoir des puristes et des dévots.

Déjà, en Tunisie, les services économiques indigènes, créés administrativement en 1913, mais dont l'origine première remonte à 1908 exactement, tentent de familiariser les indigènes avec la vie écono mique moderne, aidés en cela inconsciemment par les entreprises privées de travaux, les quelques usines que les circonstances ont fait créer, huileries, minoteries, exploitations des chemins de fer, des postes, entretien des routes, etc..., auxquelles ils apportent leur main-d'œuvre.

Ils sont organisés sur les bases suivantes :

1° L'enseignement scientifique élémentaire est donné à l'école primaire;

2° Un enseignement professionnel et complémentaire est donné aussi à l'école primaire, là où la région le comporte;

3° L'apprentissage professionnel est postscolaire.

On s'est tout naturellement porté d'abord sur les centres industriels. Les services économiques indigènes s'attachent à tirer les indigènes de la vie contemplative qui a toujours été la leur et à leur inculquer l'activité et le goût du travail, dont la compensation est toute trouvée le revenu qu'apportent les salaires et l'adoucissement des conditions mêmes de l'existence.

les tapis

On s'est attaché à relever les industries d'art indigène de Kairouan, la céramique et la poterie de Nabeul, les autres industries ayant une certaine notoriété et une vertu éducative, telles que menuiserie artistique, cuirs ouvrés, cuivres martelés et ciselés, plâtres fouillés ou trucages. L'agriculture, la pêche, la navigation aussi bien que le commerce et l'enseignement féminin y ont trouvé leur compte. Un résultat précis au moins est à signaler. Jusqu'à l'ouverture des hostilités, la Tunisie exportait ses peaux et importait les cuirs; sous la pression des nécessités, les tanneries se sont développées et le pays produit maintenant à peu près tout le cuir qui lui est nécessaire.

L'enseignement agricole postscolaire, les conférences en arabe vulgaire faites les jours de marché sur des sujets pratiques, la publication de petites notes pouvant servir d'instructions et de mementos, la création, en 1914, d'une école d'agriculture indigène à Depienne, près Tunis, où sont instruits, chaque année, cinquante jeunes gens AVRIL 1919.

TOME LXII.

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des notions pratiques élémentaires, et qui a obtenu un plein succès, ont été les premières manifestations de ce service. J'ai pu voir, en outre, à Tunis au moins, des ateliers dans lesquels étaient formés des ouvriers de corps d'état dressés à l'emploi de l'outillage moderne, et, mieux encore, des ateliers où des jeunes filles et des jeunes femmes travaillaient sans voile avec des machines à coudre, ou à tricoter, à faire des vêtements, de la lingerie, des lainages pour le public, pour les magasins de la ville. Les salaires qu'apportent dans les familles les ouvriers et ouvrières, l'habileté professionnelle acquise plaident plus puissamment que toutes les conférences possibles en faveur de l'institution.

Mais il a fallu aussi parallèlement se préoccuper de former un personnel enseignant spécial pour étendre et généraliser le service. De là, tout un organisme administratif, qui fonctionne très bien aujourd'hui.

La grande industrie n'est pas née encore en Afrique on ne peut guère citer que le tabac, la minoterie et l'huilerie, comme industrialisées jusqu'ici, elle s'insinuera dans la vie économique, avec de grands moyens d'action, une machinerie puissante, par les industries alimentaires, frigorification, conserves, distillations diverses. Dans une vingtaine d'années, ce pays pourra nous envoyer de la viande, de l'huile, de la farine, du papier, mais pas avant. La transformation est déjà commencée par les huileries de Sousse et de Kabylie, le frigorifique de Maison-Carrée, les minoteries d'El-Ksour, de la Mitidja, la tonnellerie, la distillerie de Fouka, etc... Les petits ateliers familiaux à outillage restreint resteront longtemps encore la règle, comme à Kairouan, à Nabeul, à Tlemcen, à Fez, dans les souks urbains; toutefois, le développement minier du pays pourrait, à ce point de vue, apporter des transformations radicales et imprévues.

Quant au progrès moral, il semble plus spécialement d'ordre administratif. La colonisation n'est pas seulement un fait instinctif, elle est liée, par ailleurs, à une foule de concomitances ou de progrès solidaires les uns des autres qu'il faut suivre simultanément. Et ici les données du problème sont telles qu'il faut éduquer une race autochtone encore fruste — en même temps qu'il faut étendre l'emprise de la mère patrie et des races latines par l'introduction des hommes et l'apport des capitaux. L'entreprise est donc double : sociale et économique, bien qu'elle puisse se résumer, en définitive, en une simple évolution touchant la nature et les hommes, sous le contrôle et, parfois aussi, la direction des gouvernements. Car, en pratique, l'administration est toujours largement intervenue- en Algérie pour activer le peuplement français spécialement, au lieu de laisser l'initiative privée livrée à elle-même, et ses efforts ont cer

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tainement donné d'excellents résultats, tant au point de vue de l'exploitation agricole du sol, qu'en ce qui concerne la pêche maritime notamment. Ni en Tunisie, ni au Maroc, elle n'a fait acte d'ingérence autrement que par l'intervention inéluctable de ses fonctionnaires et de son armée.

La colonisation libre a été peut-être lente, mais moins qu'on ne l'a prétendu, et elle a toujours procuré au pays les capitaux qui devaient être investis dans les entreprises conçues par elle pour la mise en valeur de ces régions nouvelles. L'activité de la colonisation libre est essentiellement variable avec les conditions économiques, générales et particulières des pays qui fournissent les colons aussi bien que des contrées qui les reçoivent. La crise phylloxérique s'est répercutée en balance entre le vignoble français et la plantation des vignobles algérien et tunisien émigration dans le Languedoc, immigration en Algérie. La Tunisie du Nord a été à la mode parmi nos capitalistes, comme l'est le Maroc depuis une dizaine d'années, pour la création de grands domaines à céréales et d'élevage. La plantation des olivettes du Sud-Tunisien a correspondu également à un courant de mode créé par des hommes d'initiative servis par une propagande intelligente. Que l'on juge aujourd'hui de ces entreprises assez avancées pour qu'on puisse les apprécier, et l'on verra que, dans l'ensemble, la vigne, l'olivier et l'élevage, aussi bien que les grandes cultures de céréales, n'ont pas été un mirage et ont tenu leurs promesses. Les sociétés capitalistiques elles-mêmes ont, de leur côté, dans l'ensemble, réussi à tenir leur rôle de précurseur de la colonisation définitive sans semer des ruines ou des déceptions quelques-unes ont même fort bien réussi, soit à préparer l'arrivée des colons exploitants par le défrichement des terres vierges, soit à créer des barrages ou faire des drainages, soit, enfin, à faire des plantations comme dans le Sud-Tunisien.

Il n'est pas question ici des concessions minières qu'il faut étudier en détail pour être précis et qui sont commandées par les gisements, connus ou indéterminés, mais qui sont toujours un puissant stimulant de la colonisation, parce qu'elles appellent beaucoup de main-d'œuvre.

En toutes circonstances, d'ailleurs, le gouvernement général ou les gouvernements locaux sont qualifiés pour intervenir dans les concessions de toutes sortes, dans les travaux publics, le tracé des voies ferrées et des routes, et, mieux encore, dans la détermination des emplacements des nouveaux centres de colonisation, dont quelquesuns sont imposés par les circonstances, les chemins naturels, comme Philippeville, Casablanca, Affreville, Kénitra, et d'autres heureusement choisis, comme Bel-Abbès, Zemmora, Vialar, Saïda, Soukharas.

Il faut peu d'hommes, il est vrai, pour faire œuvre coloniale, il faut la puissance et l'intelligence de la direction. La suprématie dans l'évolution humaine restera toujours à l'idée et non à l'intérêt, la satisfaction des besoins intellectuels finit toujours par primer celle des besoins matériels. La naturalisation volontaire ou automatique agit plus rapidement lorsque l'ambiance crée la nécessité d'une nationalisation nouvelle. Toutes ces affirmations sont des faits d'expérience qui ont été démontrés par l'histoire à toutes les époques.

Mais il n'est pas sans intérêt de remarquer encore que pour les deux régions intérieures de notre domaine atlantidien, le développement des voies ferrées sera un grand et précieux stimulant en facilitant les approvisionnements et l'écoulement des produits; on ne souligne pas assez, dans les comptes rendus administratifs, qu'aucun chemin de fer de pénétration n'est en déficit après quatre ou cinq ans d'exploitation et, d'autre part, que la plupart des lignes ains! ouvertes deviennent d'excellents adjuvants pour le gouvernement lui-même ce sera sûrement le cas des lignes de Géryville et de Djelfa-Laghouat, qui sont dans le domaine des possibilités prochaines. C'est un fait bien établi par l'expérience que les voies ferrées sont les chemins habituels de la progression des colons et de leurs entreprises. Développer les voies de communication, c'est développer la colonisation ce principe n'est plus contestable aujourd'hui, pas plus en Atlantide qu'au Canada, en Australie ou en Argentine.

La Tunisie est largement desservie dès maintenant par un réseau de voies ferrées, à mailles serrées, qui doit son principal essor aux Djebel Onk et l'Ouenza. Le Maroc, en cette matière, est beaucoup à l'abondance des mines exploitées en des points divers. D'autres lignes dues aux mêmes causes sont en construction pour desservir le Djebel-Onk et l'Ouenza. Le Maroc, en cette matière, est beaucoup moins avancé pour des raisons diplomatiques et parce qu'il est tard venu dans notre orbite son réseau à voie Decauville doit disparaître complètement pour faire place à la grande voie générale d'Agadir, Casablanca, Tanger, Fez, Oran, Alger, Tunis et à son réseau secondaire d'intérêt spécialement marocain. Sur cette question du moins, tout le monde est d'accord: il faut agir le plus vite possible.

Quant au réseau des routes, il est assez avancé en Algérie et en Tunisie, moins naturellement au Maroc en raison des circonstances. Il suffit de le mentionner, ce n'est plus qu'une question de crédits et de méthode.

La seule route internationale à mentionner, présentant un intérêt pressant, est celle qui doit unir, à travers le Sahara, la Méditerranée à Dakar, point de transit qui s'impose pour l'Amérique du Sud. Son

terminus atlantidien peut être Tanger, Oran ou Alger, suivant les points de vue auxquels on se placera, mais, en tous cas, il est d'intérêt primordial d'en faire une ligne à grand trafic, à voie large, disposant d'un matériel puissant et confortable.

VI

Reste à envisager une nouvelle question, qui n'est pas la moindre pour une certaine catégorie de doctrinaires ou d'intéressés : le gouvernement de la colonie unifiée. On fait facilement et instinctivement un saut dans l'inconnu, et l'on se lance tout de suite dans la conception d'un gouvernement unifié, lui aussi, dans ses méthodes, et centralisé, lorsqu'on songe à l'organisation administrative de la nouvelle Atlantide. Nous en sommes assez généralement restés aux principes de la Révolution française, et l'on oublie aisément les quatorze siècles d'histoire qui l'ont précédée, on néglige la situation du gouvernement de l'Angleterre, la constitution de l'Allemagne ou de l'Autriche-Hongrie avant ou après la grande guerre

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Rien n'est en fait moins unifié que le gouvernement des peuples pour arriver à l'unification, il faut y tendre par des siècles de vie commune ou n'avoir à tenir compte du passé à aucun degré, ou établir un gouvernement nouveau pour des populations à mentalité, à intérêts uniques. Le maintien d'un sultan au Maroc, celui d'un bey en Tunisie, ne sauraient porter atteinte à l'homogénéité de l'Afrique du Nord, en tant que pays d'administration. Mais ces faits, d'ordre purement politique, dicteraient évidemment certaines réserves, imposeraient certains organes dans la distribution du pouvoir ou même commanderaient certains ménagements, certaines différences dans l'application des mesures reconnues utiles, car on se trouve fréquemment dans l'obligation de tenir compte des situations acquises et de ménager les transitions par des méthodes appropriées à chacun des éléments visés par les décisions nouvelles. Tout cela ressort d'une simple analyse des contingences présentes de la politique intérieure nord-africaine.

Un gouverneur général, siégeant à Alger, assisté par un Parlement local ayant le pouvoir de légiférer sur les questions atlantidiennes le statut indigène et européen des populations, les impôts, les emprunts, le budget, n'empêcheraient aucunement de garder un résident général à Tunis et un autre à Rabat, contrôlant politiquement les gouvernements locaux avec tous les égards et les honneurs que l'on peut et doit accorder à un bey et à un sultan qui continueraient à régner sous la tutelle française; les pouvoirs, les conseils locaux, régleraient également, dans leurs circonscriptions, les taxes

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