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OMME les principes de la nature ont un enchaînement néceffaire, je crois qu'avant que d'entamer les queftions qui regardent le Mouvement, il eft à propos que nous examinions ce que c'eft que la matiere, & quelle eft fon effence. Les premiers principes font toûjours les plus feconds, & ceux qu'il importe le plus d'éclaircir. On refufe quelquefois de s'y arrêter; c'eft un effet de l'impatience naturelle de l'efprit humain. Quelquefois auffi affecte-t-on de les negliger, parce qu'ils font difficiles à faifir; c'eft un détour de l'amour propre. Pour nous, prenons la voïe la plus fûre, & conduifons ici nos refléxions avec ordre.

On convient déja de ces deux principes; l'un, que tout ce qui est, eft ou fubftance ou mode; l'autre, A

que

que comme une substance eft ainfi que le mot le porte, ce qui fubfifte par foi-meme, on peut toûjours la concevoir feule, & comme ifolée; au lieu qu'une modalité n'étant qu'ane maniere d'etre d'une fubftance, l'idée qui la reprefente renferme néceffairement celle de la fubftance dont el le eft la modalité. Or voilà tout ce qu'il nous faut pour découvrir quelle eft leffence des corps; car comme il n'y a point de matiere qui ne foit étendue, il faut néceffairement que l'éten due foit un mode des corps, ou qu'elle en foit elle-même la fubftance; mais il eft certain d'un autre côté que l'éténdue peut être aperçue feule, qu'on peut penser à des efpaces, qu'onpeut le les reprefenter, fans que l'idée qu'on s'en forme tienne par elle-même à aucune autre idée : l'étenduë ne doit donc point être mife au rang des fimples modalités; c'eft donc une fubitance; c'est donc la fubstance même des corps.

Mis files corps ne font que de l'étendue, il faut que toutes leurs proprietés fe reduifent à des figures, & à des changemens de rapports de diftan

diftance; Car l'idée de l'Etenduë ne nous offre rien de plus. Ainfi nous nous trompons, quand nous croyons que la lumiere, les couleurs, les fons, les odeurs appartiennent en propre à la matiere: ce ne font que les impreffions fenfibles, nue les objets exterieurs font fur nous, & que nous leur raportons par un jugement naturel. Je dis la mê-me chofe de la pefanteur, de la force, & des tendances; ce ne font que les fentimens penibles qui nous font occafionés par les corps que nous voulons faire changer de fituation ou qui nous en font changer nousmêmes: fentimens que nôtre imagination transforme en qualités fenfibles; auffi éprouvons-nous que ces fortes de qualités fe fortifient ou s'affoibliffent felon que les parties organiques de nôtre corps ont plus ou moins de folidité, felon, que les efprits qui les animent y coulent out plus ou moins abondament.

Mais une erreur encore plus groffiere, c'eft celle où nous tombons quand de nos fentimens ainfi transformés, nout en faifons un principe actif dans la matiere.

A 2

Cette erreur

toute

toute groffiere qu'elle eft, ne laiffe pourtant pas d'être difficile à éviter : c'est que nous apercevons le mouvement fans que fon principe fe manifefte: Or nous voulons tout fçavoir & tout entendre; ainfi quand la caufe d'un effet qui nous frape ne se prefente point à nous, nous aimons mieux rifquer de la metre où elle n'eft pas, que de nous refoudre à l'ignorer.

Tâchons donc de ne nous point méprendre ici par un jugement précipité: confultons avec atention l'idée de la matiere, nous nous apercevrons bientôt qu'elle ne nous offre rien que de paffif, & que nous n'avons droit d'attribuer aux corps qui s'arrangent entre eux dans un ordre déterminé, que la même vertu que nous atribuerions à leurs images aperçues dans un miroir où nous leur verrions prendre les mêmes arrangemens; ne nous trompons point, la loi fur laquelle ces arrangemens feroient reglés, est tout ce qu'on peut raifonnablement apeller force ou vertu dans les corps: c'eft que, comme je l'ai déja dit, nous ne pouvons

trou

trouver dans la matiere que des figures & de fimples changemens de raport de distance: c'eft là à quoi fe reduifent toutes les qualités que nous fçavons fûrement lui appartenir; mais fuppofé qu'il fut poffible que quelque chofe de plus lui appartînt à nôtre infçû, du moins ferions nous fûrs que ce ne feroit rien de femblable à ce que nos fens & nôtre imagination y mettent; car prenons y garde, il n'eft nullement néceffaire de connoître toutes les qualités qu'une chose peut avoir, pour être fondé a donner l'exclufion à celles que fa nature lui refufe. Suppofons, par exemple, qu'on ne connût pas toutes les proprietés du Cercle cela empêcheroit-il qu'on ne pût s'affurer que la pensée n'aft pas du nombre de celles qui lui conviennent? nullement; pourquoi cela? c'eft que toutes les proprietés qu'une chofe peut avoir, étant fon effence même confiderée fous differens régards, il faut de neceffité qu'elles foient toutes du même genre: Or il est évident que la pensée eft d'un genre tout different de ce que nous voyons couler de l'ef

A 3

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fen

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