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Prenez le parti doucement
D'attendre le prince au passage;
Il connaîtra votre visage,
Malgré votre déguisement;
Et lors, sans tarder davantage,
Faites-lui votre compliment.

Vous pourriez aisément l'étendre,

Et parler des transports qu'en vous font éclater
Les surprenants bienfaits que, sans les mériter,
Sa libérale main sur vous daigne répandre,
Et des nouveaux efforts où s'en va vous porter
L'excès de cet honneur où vous n'osiez prétendre;
Lui dire comme vos désirs

Sont, après ses bontés qui n'ont point de pareilles,
D'employer à sa gloire, ainsi qu'à ses plaisirs,
Tout votre art et toutes vos veilles,

Et là-dessus lui promettre merveilles :
Sur ce chapitre on n'est jamais à sec;
Les Muses sont de grandes prometteuses!
Et, comme vos sœurs les causeuses,
Vous ne manquerez pas sans doute, par le bcc.
Mais les grands princes n'aiment guères
Que les compliments qui sont courts;
Et le nôtre, surtout, a bien d'autres affaires
Que d'écouter tous vos discours.

La Louange et l'encens n'est pas ce qui le touche;
Dès que vous ouvrirez la bouche

Pour lui parler de grâce et de bienfait,

Il comprendra d'abord ce que vous voulez dire,
Et se mettant doucement à sourire

D'aa air qui, sur les cœurs, fait un charmant effet,
Il passera comme un trait.

Et cela doit vous suture.
Voilà votre compliment fait.

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Que vous m'embarrassez avec votre.... grenouille,
Qui traîne à ses talons le doux mot d'.... Hypocras ;
Je hais des bouts-rimés le puéril.... futras,

Et tiens qu'il vaudrait mieux filer une.... quenouille
La gloire du bel air n'a rien qui me.... chatouille.
Vous m'assommez l'esprit avec un gros.... plâtras,
Et je tiens heureux ceux qui sont morts à...... Coutras',
Voyant tout le papier qu'en sonnets on.... barbouille.
M'accable derechef la haine du.... cagot,

Plus méchant mille fois que n'est un vieux.... magot,
Plutôt qu'un bout-rimé me fasse entrer en.... danse.
Je vous le chante clair comme un.... chardonneret,
Au bout de l'univers je fuis dans une.... manse3.
Adieu, grand princes, adioa; tanex-vous.... guilloret.

SONNET

A M. LA MOTHE-LE-VAYER, SUR LA MORY
DE SON FILS.

1664.

Aux larmes, Le Vayer, laisse tes yeux ouverts
Ton deuil est raisonnable, encor qu'il soit extrêm? •
Et, lorsque pour toujours on perd ce que tu perds,
La Sagesse, crois-moi, peut pleurer elle-même.

On se propose à tort cent préceptes divers

Pour vouloir, d'un œil sec, voir mourir ce qu'on aime;
L'effort en est barbare aux yeux de l'univers,

Et c'est brutalité plus que vertu suprême.

4. La bataille de Coutras, gagnée en 1587, sur l'armée de Henri III, par Hen f. alors roi de Navarre.

2. Manse, ancien terme de coutumes, qui signifiait le petit héritage mainmor table d'une personne de condition servile. Il vient de manere, ainsi que manoir.

3. Le grand Condé,

On sait bien que les pleurs ne ramèneront pas
Ce cher fils que t'enlève un imprévu trépas:
Mais la perte, par là, n'en est pas moins cruelle.
Ses vertus de chacun le faisaient révérer;
Il avait le cœur grand, l'esprit beau, l'âme belle;
Et ce sont des sujets à toujours le pleurer.

LETTRE D'ENVOI

DU SONNET PRÉCÉDENT.

Vous voyez bien, monsieur, que je m'écarte fort du chemin qu'on suit d'ordinaire en pareille rencontre, et que le sonnet que je vous envoie n'est rien moins qu'une consolation. Mais j'ai cru qu'il fallait en user de la sorte avec vous, et que c'est consoler un philosophe que de lui justifier ses larmes, et de mettre sa douleur en liberté. Si je n'ai pas trouvé d'assez fortes raisons pour affranchir votre tendresse des sévères leçons de la philosophie, et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d'éloquence d'un homme qui ne saurait persuader ce qu'il sait si bien faire.

MOLIÈRE.

LA GLOIRE'

DU

DOME DU VAL-DE-GRACE

1669.

Digne fruit de vingt ans de travaux somptueux,
Auguste bâtiment, temple majestueux,
Dont le dôme superbe, élevé dans la nue,
Pare du grand Paris la magnique vue,
Et, parmi tant d'objets semés de toutes parts,
Du voyageur surpris prend les premiers regards,
Fais briller à jamais, dans ta noble richesse,

La splendeur du saint vœu d'une grande princesse *,
Et porte un témoignage à la postérité

De sa magnificence et de sa piété;

Conserve à nos neveux une montre fidèle

Des exquises beautés que tu tiens de son zèle :
Mais défends bien surtout de l'injure des ans
Le chef-d'œuvre fameux de ses riches présents,
Cet éclatant morceau de savante peinture,
Dont elle a couronné ta noble architecture :
C'est le plus bel effet des grands soins qu'elle a pris,
Et ton marbre et ton or ne sont point de ce prix.
Toi qui, dans cette coupe, à ton vaste génic
Comme un ample théâtre heureusement fournie,
Est venu déployer les précieux trésors

Que le Tibre t'a vu ramasser sur ses bords;
Dis-nous, fameux Mignard, par qui te sont versées
Les charmantes beautés de tes nobles pensées,
Et dans quel fonds tu prends cette variété
Dont l'esprit est surpris, et l'œil est enchanté.

4. Ce mot de gloire, qui est le titre du poëme de Molière, signifie, en termes de peinture, la représentation du ciel ouvert, avec les personnes divines, les anges et les bienheureux. Tel est, en effet, le sujet qu'a traité Mignard dans le chef-d'œuvre que Molière va célébrer.

2. Le Val-de-Grâce fut fondé par Anne d'Autriche, en accomplissement du vœu qu'elle avait fait de bâtir une magnifique église, si Dicu mettait un terme à la longue stérilité dont elle était affligée, et que fit cesser, après vingt-deux ans, la naissance de Louis XIV.

Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles,
De tes expressions enfante les merveilles;

Quels charmes ton pinceau répand dans tous ses traits,
Quelle force il y mêle à ses plus doux attraits,

Et quel est ce pouvoir qu'au bout des doigts tu portes,
Qui sait faire à nos yeux vivre des choses mortes,
Et, d'un peu de mélange et de bruns et de clairs,
Rendre esprit la couleur, et les pierres des chairs.

Tu te tais, et prétends que ce sont des matières
Dont tu dois nous cacher les savantes lumières,
Et que ces beaux secrets, à tes travaux vendus,
Te coûtent un peu trop pour être répandus;
Mais ton pinceau s'explique, et trahit ton silence;
Malgré toi, de ton art il nous fait confidence;
Et, dans ses beaux efforts à nos yeux étalés,
Les mystères profonds nous en sont révélés.
Une pleine lumière ici nous est offerte;
Et ce dôme pompeux est une école ouverte,
Où l'ouvrage, faisant l'office de la voix,
Dicte de ton grand art les souveraines lois.
Il nous dit fortement les trois nobles parties1
Qui rendent d'un tableau les beautés assorties,
Et dont, en s'unissant, les talents relevés
Donnent à l'univers les peintres achevés.

Mais des trois, comme reine, il nous expose celle "
Que ne peut nous donner le travail, ni le zèle;
Et qui, comme un présent de la faveur des cieux,
Est du nom de divine appelée en tous lieux;
Elle, dont l'essor monte au-dessus du tonnerre,
Et sans qui l'on demeure à ramper contre terre,
Qui meut tout, règle tout, en ordonne à son choix,
Et des deux autres mène et régit les emplois.
Il nous enseigne à prendre une digne matière,
Qui donne au feu du peintre une vaste carrière,
Et puisse recevoir tous les grands ornements
Qu'enfante un beau génie en ses accouchements,
Et dont la poésie et sa sœur la peinture,
Parant l'instruction de leur docte imposture,
Composent avec art ces attraits, ces douceurs,
Qui font à leurs leçons un passage en nos cœurs;

4. L'invention, le dessin, le coloris. (Note de Molière.) 2. L'invention, première partie de la peinture. (Idem.)

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