Images de page
PDF
ePub

Et par qui, de tout temps, ces deux sœurs si pareilles
Charment, l'une des yeux, et l'autre les oreilles.
Mais il nous dit de fuir un discord apparent

Du lieu que l'on nous donne et du sujet qu'on prend;
Et de ne poin placer dans un tombeau des fêtes,
Le ciel contre nos pieds, et l'enfer sur nos têtes.
Il nous apprend à faire, avec détachement,
De groupes contrastés un noble agencement,
Qui du champ du tableau fasse un juste partage,
En conservant les bords un peu légers d'ouvrage,
N'ayant nul embarras, nul fracas vicieux
Qui rompe ce repos, si fort ami des yeux;

Mais où, sans se presser, le groupe se rassemble,
Et forme un doux concert, fasse un beau tout ensemble,
Où rien ne soit à l'œil mendié, ni redit,

Tout s'y voyant tiré d'un vaste fonds d'esprit,
Assaisonné du sel de nos gràces antiques,
Et non du fade goût des ornements gothiques,
Ces monstres odieux des siècles ignorants,
Que de la barbarie ont produit les torrents,
Quand leur cours, inondant presque toute la terre,
Fit à la politesse une mortelle guerre,

Et, de la grande Rome abattant les remparts.
Vint, avec son empire, étouffer les beaux-arts.
Il nous montre à poser avec noblesse et gråce
La première figure à la plus belle place,

Riche d'un agrément, d'un brillant de grandeur
Qui s'empare d'abord des yeux du spectateur;
Prenant un soin exact, que, dans tout son ouvrage,
Elle joue aux regards le plus beau personnage;
Et que, par aucun rôle au spectacle placé,

Le héros du tableau ne se voie effacé.

Il nous enseigne à fuir les ornements débiles
Des épisodes froids et qui sont inutiles,
A donner au sujet toute sa vérité,
A lui garder partout pleine fidélité,

Et ne se point porter à prendre de licence,
A moins qu'à des beautés elle donne naissance.
Il nous dicte amplement les leçons du dessin'
Dans la manière grecque, et dans le goût romain;

Le dessin, seconde partie de la peinture. (Note de Molière.)

'Le grand choix du beau vrai, de la belle natur
Sur les restes exquis de l'antique sculpture,
Qui, prenant d'un sujet la brillante beauté
En savait séparer la faible vérité,

Et, formant de plusieurs une beauté parfaite
Nous corrige par l'art la nature qu'on trane.
Il nous explique à fond, dans ses instructions,
L'union de la grâce et des proportions;
Les figures partout doctement dégradées,
Et leurs extrémités soigneusement gardées,
Les contrastes savants des membres agroupés,
Grands, nobles, étendus et bien développés,
Balancés sur leur centre en beautés d'attitude,
Tous formés l'un pour l'autre avec exactitude,
Et n'offrant point aux yeux ces galimatias

Où la tête n'est point de la jambe ou du bras;
Leur juste attachement aux lieux qui les font naître.
Et les muscles touchés autant qu'ils doivent l'être;
La beauté des contours observés avec soin,
Point durement traités, amples, tirés de loin,
Inégaux, ondoyants, et tenant de la flamme,
Afin de conserver plus d'action et d'âme;
Les nobles airs de tête amplement variés,
Et tous au caractère avec choix mariés;

Et c'est là qu'un grand peintre, avec pleine largesse,
D'une féconde idée étale la richesse,
Faisant briller partout de la diversité,

Et ne tombant jamais dans un air répété :

Mais un peintre commun trouve une peine extrême
A sortir dans ses airs de l'amour de soi-même;
De redites sans nombre il fatigue les yeux,
Et, plein de son image, il se peint en tous lieux.
Il nous enseigne aussi les belles draperies,
De grands plis bien jetés suffisamment nourries,
Dont l'ornement aux yeux doit conserver le nu,
Mais qui, pour le marquer, soit un peu retenu,
Qui ne s'y colle point, mais en suive la grâce,
Et, sans la serrer trop, la caresse et l'embrasse.
Il nous montre à quel air, dans quelles actions
Se distinguent à l'œil toutes les passions;

Les mouvements du cœur, peints d'une adresse extreme,
Par des gestes puisés dans la passion même,

Bien marqués pour parler, appuyés, forts et nets,
Imitant en vigueur les gestes des muets,
Qui veulent réparer la voix que la nature
Leur a voulu nier, ainsi qu'à la peinture.
Il nous étale enfin les mystères exquis
De la belle partie où triompha Zeuxis1,
Et qui, le revêtant d'une gloire immortelle,
Le fit aller de pair avec le grand Apelle :
L'union, les concerts et les tons des couleurs,
Contrastes, amitiés, ruptures et valeurs,
Qui font les grands effets, les fortes impostures,
L'achèvement de l'art, et l'âme des figures.

Il nous dit clairement dans quel choix le plus beau
On peut prendre le jour et le champ du tableau.
Les distributions et d'ombre et de lumière
Sur chacun des objets et sur la masse entière;
Leur dégradation dans l'espace de l'air
Par les tons différents de l'obscur et du clair,
Et quelle force il faut aux objets mis en place

Que l'approche distingue et le lointain efface;

Les gracieux repos que, par des soins communs,

Les bruns donnent aux clairs, comme les clairs aux bruns; Avec quel agrément d'insensible passage

Doivent ces opposés entrer en assemblage,

Par quelle douce chute ils doivent y tomber,
Et dans un milieu tendre aux yeux se dérober;
Ces fonds officieux qu'avec art on se donne,
Qui reçoivent si bien ce qu'on leur abandonne;
Par quels coups de pinceau, formant de la rondeur,
Le peintre donne au plat le relief du sculpteur;
Quel adoucissement des teintes de lumière
Fait perdre ce qui tourne et le chasse derrière,
Et comme avec un champ fuyant, vague et léger,
La fierté de l'obscur, sur la douceur du clair
Triomphant de la toile, en tire avec puissance
Les figures que veut garder sa résistance,
Et, malgré tout l'effort qu'elle oppose à ses coups,
Les détache du fond, et les amène à nous.

Il nous dit tout cela, ton admirable ouvrage :
Mais, illustre Mignard, n'en prends aucun ombrage.

4. Le coloris, troisième partie de la peinture. (Note de Molière.)

Ne crains pas que ton art, par ta main découvert,
A marcher sur tes pas tienne un chemin ouvert,
Et que de ses leçons les grands et beaux oracles
Élèvent d'autres mains à tes doctes miracles :
Il y faut des talents que ton mérite joint,

Et ce sont des secrets qui ne s'apprennent point.

On n'acquiert point, Mignard, par les soins qu'on se donne, Trois choses dont les dons brillent dans ta personne,

Les passions, la grâce et les tons de couleur

Qui des riches tableaux font l'exquise valeur;

Ce sont présents du ciel, qu'on voit peu qu'il assemble,
Et les siècles ont peine à les trouver ensemble.
C'est par là qu'à nos yeux nuls travaux enfantés
De ton noble travail n'atteindront les beautés :
Malgré tous les pinceaux que ta gloire réveille,
11 sera de nos jours la fameuse merveille,
Et des bouts de la terre en ces superbes lieux
Attirera les pas des savants curieux.

O vous, dignes objets de la noble tendresse
Qu'a fait briller pour vous cette auguste princesse,
Dont au grand Dieu naissant, au véritable Dieu,
Le zèle magnifique a consacré ce lieu ',

Purs esprits, où du ciel sont les grâces infuses,
Beaux temples des vertus, admirables recluses,
Qui, dans votre retraite, avec tant de ferveur,
Melez parfaitement la retraite du cœur,

Et, par un choix pieux hors du monde placées,
Ne détachez vers lui nulle de vos pensées,
Qu'il vous est cher d'avoir sans cesse devant vous
Ce tableau de l'objet de vos vœux les plus doux,
D'y nourrir par vos yeux les précieuses flammes
Dont si fidèlement brûlent vos belles âmes,
D'y sentir redoubler l'ardeur de vos désirs,
D'y donner à toute heure un encens de soupirs,
Et d'embrasser du cœur une image si belle
Des célestes beautés de la gloire éternelle,
Beautés qui dans leurs fers tiennent vos libertés,
Et vous font mépriser toutes autres beautés!
Et toi, qui fus jadis la maîtresse du monde,

4. L'église du Val-de-Grâce éiait consacrée à Jésus naissant et à la Vierge, s mère; on lisait sur la frise du portique :

Jesu nascenti Virginique matri.

Docte et fameuse école en raretés féconde,
Où les arts déterrés ont, par un digne effort,
Réparé les dégâts des barbares du Nord;
Source des beaux débris des siècles mémorables,
O Rome, qu'à tes soins nous sommes redevables
De nous avoir rendu, façonné de ta main,

Ce grand homme, chez toi devenu tout Romain,
Dont le pinceau célèbre, avec magnificence,
De ces riches travaux vient parer notre France,
Et dans un noble lustre y produire à nos yeux
Cette belle peinture inconnue en ces lieux,
La fresque, dont la grâce, à l'autre préférée,
Se conserve un éclat d'éternelle durée,
Mais dont la promptitude et les brusques fiertés
Veulent un grand génie à toucher ses beautés !
De l'autre qu'on connaît la traitable méthode
Aux faiblesses d'un peintre aisément s'accommode :
La paresse de l'huile, allant avec lenteur,
Du plus tardif génie attend la pesanteur;
Elle sait secourir, par le temps qu'elle donne,
Les faux pas que peut faire un pinceau qui tâtonne,
Et sur cette peinture on peut, pour faire mieux,
Revenir, quand on veut, avec de nouveaux yeux.
Cette commodité de retoucher l'ouvrage

Aux peintres chancelants est un grand avantage;
Et ce qu'on ne fait pas en vingt fois qu'on reprend,
On le peut faire en trente, on le peut faire en cent.

Mais la fresque est pressante, et veut sans complaisance

Qu'un peintre s'accommode à son impatience;

La traite à sa manière, et, d'un travail soudain,
Saisisse le moment qu'elle donne à sa main.
La sévère rigueur de ce moment qui passe
Aux erreurs d'un pinceau ne fait aucune grâce;
Avec elle il n'est point de retour à tenter,
Et tout, au premier coup, se doit exécuter.
Elle veut un esprit où se rencontre unie
La pleine connaissance avec le grand génie,
Secouru d'une main propre à le seconder,
Et maîtresse de l'art jusqu'à le gourmander,
Une main prompte à suivre un beau feu qui la guido,
Et dont, comme un éclair, la justesse rapide.
Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés,

« PrécédentContinuer »