Images de page
PDF
ePub

mais elles n'ont aucun caractère obligatoire. Dès lors, on comprend mal qu'une intervention officielle se manifeste dans le but de les supprimer, et qu'un décret soit rendu pour imposer des formules nouvelles.

Quelle serait d'abord la sanction d'un pareil décret ? La nullité des actes qui ne seraient pas conformes aux nouveaux modèles. ? Assurément non. Si l'acte contenait toutes les mentions prescrites par le Code de procédure, il ne pourrait être déclaré nul à raison de sa non conformité avec un modèle imposé par un simple décret ; pour qu'on pût déclarer un tel acte nul, il faudrait qu'une loi eût admis cette nouvelle cause de nullité. Il ne saurait donc être question de frapper de nullité les actes qui ne seraient pas conformes aux modèles donnés par un décret.

On pourrait songer à une autre sanction: l'acte serait valable, mais il ne passerait pas en taxe; l'avoué ou l'huissier récalcitrant se trouverait ainsi frappé à la bourse. La légalité de cette sanction serait contestable. Mais il y a mieux; les nouveaux tarifs, dont on dit la promulgation imminente, suppriment les droits d'actes, qui sont remplacés par un émolument global, dont le chiffre dépend de l'objet du litige; il en résulte que la sanction pécuniaire ne pourra pas s'appliquer, aucun émolument ne se trouvant attaché à l'acte.

Ainsi, voilà des modèles qu'on parle de rendre obligatoire et aucune sanction ne semble jamais rendre cette obligation efficace, La conclusion, c'est qu'il ne saurait être question d'imposer des formules nouvelles, mais seulement de les proposer comme des modèles, auxquels il serait peut-être utile de se conformer, mais qu'on serait toujours libre de ne pas suivre. Et dans ces conditions, à quoi bon un décret ?

D'autre part, puisque les formules en usage ne sont pas obligatoires, puisqu'on n'encourrait actuellement aucune nullité de procédure en les abandonnant pour faire usage de formules d'un modèle nouveau, analogues à celles dont un spécimen a été publié, pourquoi attendre un décret pour s'y conformer? Si cette réforme est utile, si elle est urgente, pourquoi ne s'accomplirait-elle pas immédiatement, sans aucune intervention officielle, et par la seule initiative privée? Que l'avocat, l'avoué ou l'huissier qui trouve ridicules ou défectueuses les anciennes formules (il n'en manque pas, paraît-il), rédige dans une forme nouvelle les assignations ou les conclusions, dont la rédaction peut lui être confiée; qu'il donne à ces actes la forme d'un discours véhément ou humoristique, d'une narration pittoresque et animée, ou d'une dissertation soutenue et documentée, suivant la nature de

l'affaire et le tempérament de l'auteur. Si l'exemple est bon, il sera certainement suivi, et la réforme s'accomplira d'ellemême.

Ainsi cette attente d'une intervention ministérielle nous semble difficile à justifier; une telle intervention nous paraît doublement inutile: inutile puisqu'elle ne pourrait réussir à imposer de nouvelles formules, qui n'auraient jamais qu'un caractère facultatif; inutile encore puisque, sans attendre cette intervention, chacun est, dès maintenant, entièrement libre de faire la réforme par sa seule autorité.

De plus, il est question depuis bien longtemps, et cela est un peu plus sérieux, c'une réforme du code de procédure. Et alors, en présence de l'éventualité de cette dernière réforme, il peut paraître singulier qu'on songe à la faire précéder d'une révision du formulaire. Les formules ne sont que la mise en action des règles de la procédure; changez ces règles, la formule devra être immédiatement modifiée. Aussi, refaire les formules, pour modifier ensuite les règles de la procédure, ce serait en quelque sorte agir comme un propriétaire qui ferait changer les papiers ou rafraîchir les peintures dans un appartement, pour, aussitôt après, faire modifier la disposition des différentes pièces qui le composent. C'est là une observation qui achève de nous faire considérer comme sans fondement le bruit qui s'est fait autour de ce projet de réforme.

Et d'ailleurs, cette réforme est-elle désirable?

On reproche à ces formules d'être écrites en une langue qui n'est pas celle du vingtième siècle; elles sont écrites, dit-on, en vieux français, et même en mauvais vieux français ; c'est un vrai jargon; le « jargon judiciaire», voilà ce qu'on veut supprimer. Ces critiques ne nous paraissent pas absolument justes ni fondées.

Le style des formules de la procédure n'est pas le style usuel, c'est vrai; les formules sont émaillées de locutions un peu spéciales, dont le premier usage remonte à une époque assurément reculée; mais c'est qu'il s'agit là de locutions techniques, comme il en existe dans la pratique de toutes les sciences et de tous les métiers. Une locution technique n'a pas d'àge; un mot n'est pas du vieux français, si l'usage s'en est perpétué d'une façon constante, alors même qu'il serait devenu spécial à une profession déterminée. Nous ne sommes donc pas en présence d'un style archaïque ou pédantesque, mais d'une langue un peu technique, et qui n'est ni plus étrange, ni plus ridicule, que celle de la médecine, par exemple, qui

a bien aussi son jargon. Les mots techniques ont une qualité incontestable c'est leur très grande précision, qualité très appréciable, dans les actes de la procédure. Une locution technique a toujours un sens très net et très précis : c'est le mot propre. Supprimez le mot technique, vous serez obligé, le plus souvent, de recourir à une périphrase, ou à un synonyme, qui n'éveilleront pas dans l'esprit l'idée nette à laquelle le mot technique correspond. De là l'utilité de toutes ces locutions dans les formules de procédure.

On prétend encore que ces formules ne sont pas claires : le justiciable, qui reçoit une assignation, ne peut se faire une idée précise de ce qu'elle contient, ni de ce qu'il doit faire. Nous parlions tout à l'heure du jargon médical; est-ce que le malade à qui un médecin délivre une ordonnance se fait toujours une idée bien nette des prescriptions de cette ordonnance? Mais il sait qu'il doit aller chez un pharmacien, qui appliquera l'ordonnance et lui dira ce qu'il y a à faire. Il suffit de même que celui qui reçoit une assignation sache qu'il doit porter cette assignation chez son conseil, huissier, agent d'affaires, avoué ou avocat, et qu'on le renseignera là sur la conduite à tenir.

D'ailleurs, n'y a-t-il pas quelque exagération à prétendre que l'individu qui reçoit une assignation ne comprend pas ce qu'on lui réclame? Et croyez-vous que celui, dont la culture intellectuelle est négligée au point qu'il ne peut comprendre une assignation ancien modèle, pourra mieux comprendre une assignation rédigée suivant les formes proposées ?

On a publié, sans en faire connaître l'auteur, un spécimen d'assignation, proposé comme modèle du genre nouveau. Ce spécimen n'ayant aucun caractère officiel, il n'est pas utile de s'appesantir en une critique détaillée. Il a généralement été accueilli avec gaîté; le préambule, notamment, «vous êtes prévenu que Monsieur Un tel vous fait un procès » a été trouvé particulièrement heureux.

Au lieu d'assigner à comparaître à huitaine franche, etc... (voir les anciennes formules), l'assignation spécimen prévient que, pour que le jugement ne soit pas rendu par défaut, il faut qu'avant huit jours on se fasse représenter par son avoué; c'est assurément moins technique et moins précis. Est-ce au moins plus facile à comprendre? l'assigné est-il plus utilement renseigné sur ce qu'il doit faire? c'est contestable. Mais ce qui ne nous paraît pas contestable, c'est que cette formule modèle contient au moins deux nullités de forme; le défaut d'indication du tribunal qui doit connaitre de la demande, et l'indication d'un délai de comparution trop court: avant huit jours, au lieu de huitaine franche. Enfin il

nous paraît que cette assignation est plus longue et plus diffuse que l'ancienne; le calcul serait facile à faire, mais nous ne le ferons pas. En voilà bien assez sur ce spécimen de provenance douteuse, qu'on nous donne comme un modèle proposé à la commission technique, mais qui, nous n'en doutons pas, ne sera jamais adopté s'il est un jour sérieusement mis en discussion.

D'ailleurs, s'il vient à lire ces lignes, que l'auteur inconnu de ce spécimen d'assignation se console; il n'est pas aussi facile qu'on pourrait le croire de remplacer les formules qui sont actuellement en usage, ces formules qu'une pratique séculaire a polies et affutées comme des armes d'un métal impérissable. Et il faut bien qu'elles aient du bon pour être ainsi restées en usage bien qu'on n'ait aucunement l'obligation de s'en servir. Routine des procéduriers? non pas, mais sentiment plus ou moins conscient de la valeur de ces formules, et de la difficulté, de l'impossibilité de les remplacer.

C'est que, lorsqu'on les regarde de près, avec réflexion, ces formules, dont on était d'abord tenté de rire, à cause de leurs airs de vieilles dames d'un autre siècle, ces formules apparaissent comme des chefs-d'œuvres de concision et de netteté. Impossible de dire autant de choses, et d'une façon aussi précise, en aussi peu de mots. Il y a bien quelques redondances, quelques inutilités, mais si peu et bien moins qu'il ne semblerait au premier abord, lorsqu'on s'arrête à réfléchir sur l'utilité de chaque mot.

Nous parlions tout à l'heure de la formule de l'assignation. La tâche ne sera pas aisée, de la remplacer par une formule plus concise ou plus claire; toutes les mentions prescrites pour la validité de cet exploit se trouvant resserrées, dans cette formule, en quelques mots précis; l'exposé des faits, sous forme d'attendus, est nécessairement présenté d'une façon serrée et sans le bavardage qui se produirait inévitablement, si les faits étaient exposés sous forme de narration. Tout au plus pourrait-on critiquer la formule un peu longue et redondante de la comparution « à l'audience et par-devant << Messieurs le Président et juges, etc... » et la formule finale de signification. Mais que ces critiques sont peu de chose en présence des qualités de concision et de netteté de cette formule.

Il en est d'ailleurs de même pour la plupart des formules de la procédure. Toutes, ou presque toutes, contiennent les mentions obligatoires, resserrées en aussi peu de mots que possible; elles disent nettement ce qu'elles ont à dire, et rien de plus. Supprimez-en quelques mentions qui n'ont plus aujourd'hui beaucoup de raison d'être, comme les « dont

acte», « à ce qu'il n'en ignore » etc., et vous aurez des formules auxquelles il sera impossible de supprimer ou de changer un seul mot sans les rendre incomplètes ou plus obscures. Et, si c'est à la suppresion de ces quelques inutilités que doit se borner la réforme, était-ce bien la peine d'en parler autant?

Si l'on veut aller plus loin et refondre complètement la formule pour en faire une formule nouvelle, on risque de faire des actes diffus, imprécis et ridicule comme l'assignation dont nous nous sommes occupés, et, de plus, émaillés comme cette assignation, d'un certain nombre de nullités. On paraît oublier, en effet, qu'en changeant les formules on doit cependant respecter le code de procédure, dont la réforme est une œuvre distincte; il y a des mentions prescrites à peine de nullité, on n'a pas le droit de les négliger pour se préoccuper seulement de donner à la formule un aspect moderne et un style académique. Avant d'être élégante, il faut que la formule soit valable. Et il n'est pas aussi facile qu'on le croit de concilier ces deux qualités. On pourra y arriver, mais non sans un travail sérieux sur chaque formule; or les formulaires sont composés de plus de douze cents formules; il y a là de quoi exercer la patience de plusieurs générations de praticiens; et quand les dernières formules auront été révisées, il est à craindre que les premières aient déjà un peu vieilli.

Laissez-nous donc nos vieilles formules accoutumées, et, dans votre réforme, restez-en à l'assignation; le spécimen qu'on nous en donne nous suffit : nous aimons encore mieux ale jargon judiciaire ».

P. COLIN,

Avocat à la Cour de Paris.

« PrécédentContinuer »