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Mais j'accorde même à ce théiste supposé la coupable et non moins folle proposition, qu'il n'y a pas moyen de justifier le caractère de la Divinité.

Quelle conclusion pratique en tirerons-nous? car c'est surtout de cela dont il s'agit. Laissez-moi, je vous prie, monter ce bel argument: Dieu est injuste, cruel, impitoyable; Dieu se plaît au malheur de ses créatures; donc.... c'est ici où j'attends les murmurateurs!

Donc apparemment il ne faut pas le prier. -Au contraire, messieurs ; et rien n'est plus évident : Donc il faut le prier et le servir avec beaucoup plus de zèle et d'anxiété que si sa miséricorde était sans bornes comme nous l'imaginons. Je voudrais vous faire une question : si vous aviez vécu sous les lois d'un prince, je ne dis pas méchant, prenez bien garde, mais seulement sévère et ombrageux, jamais tranquille sur son autorité, et ne sachant pas fermer l'oeil sur la moindre démarche de ses sujets, je serais curieux de savoir si vous auriez cru pouvoir vous donner les mêmes libertés que sous l'empire d'un autre prince d'un caractère tout opposé, heureux de la liberté générale, se rangeant toujours pour laisser passer l'homme, et ne cessant de redouter son pouvoir, afin que personne ne le redoute? Certainement non. Eh bien! la comparaison saute aux yeux et ne souffre pas de réplique. Plus Dieu nous semblera terrible, plus nous devrons redoubler de crainte religieuse envers lui, plus nos prières devront être ardentes et infatigables: car rien ne nous dit que sa bonté y suppléera. La preuve de l'existence de Dieu précédant celle de ses attributs, nous savons qu'il est avant de savoir ce qu'il est; même nous ne saurons

jamais pleinement ce qu'il est. Nous voici donc placés dans un empire dont le souverain a publié une fois pour toutes les lois qui régissent tout. Ces lois sont, en général, marquées au coin d'une sagesse et même d'une bonté frappante : quelques-unes néanmoins (je le suppose dans ce moment) paraissent dures, injustes même si l'on veut : là-dessus, je le demande à tous les mécontents, que faut-il faire? sortir de l'empire, peut-être ? impossible: il est partout, et rien n'est hors de lui. Se plaindre, se dépiter, écrire contre le souverain? c'est pour être fustigé ou mis à mort. Il n'y a pas de meilleur parti à prendre que celui de la résignation et du respect, je dirai même de l'amour; car, puisque nous partons de la supposition que le maître existe, et qu'il faut absolument servir, ne vaut-il pas mieux (quel qu'il soit) le servir par amour que sans amour?

Je ne reviendrai point sur les arguments avec lesquels nous avons réfuté, dans nos précédents entretiens, les plaintes qu'on ose élever contre la Providence, mais je crois devoir ajouter qu'il y a dans ces plaintes quelque chose d'intrinsèquement faux et même de niais, ou comme disent les Anglais, un certain non-sens qui saute aux yeux. Que signifient en effet des plaintes ou stériles ou coupables, qui ne fournissent à l'homme aucune conséquence pratique, aucune lumière capable de l'éclairer et de le perfectionner? des plaintes au contraire qui ne peuvent que lui nuire, qui sont inutiles même à l'athée, puisqu'elles n'effleurent pas la première des vérités et qu'elles prouvent même contre lui? qui sont enfin à la fois ridicules et funestes dans la bouche du théiste,

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puisqu'elles ne sauraient aboutir qu'à lui ôter l'amour en lui laissant la crainte? Pour moi je ne sais rien de si contraire aux plus simples leçons du sens commun. Mais savez-vous, messieurs, d'où vient ce débordement de doctrines insolentes qui jugent Dieu sans façon et lui demandent compte de ses décrets? Elles nous viennent de cette phalange nombreuse qu'on appelle les savants, et que nous n'avons pas su tenir dans ce siècle à leur place, qui est la seconde. Autrefois il y avait très-peu de savants, et un très-petit nombre de ce très-petit nombre était impie ; aujourd'hui on ne voit que savants : c'est un métier, c'est une foule, c'est un peuple ; et parmi eux l'exception, déjà si triste, est devenue règle. De toutes parts ils ont usurpé une influence sans bornes ; et cependant, s'il y a une chose sûre dans le monde, c'est, à mon avis, que ce n'est point à la science qu'il appartient de conduire les hommes. Rien de ce qui est nécessaire ne lui est confié : il faudrait avoir perdu l'esprit pour croire que Dieu ait chargé les académies de nous apprendre ce qu'il est et ce que nous lui devons./Il appartient aux prélats, aux nobles, aux grands officiers de l'État d'être les dépositaires et les gardiens des vérités conservatrices; d'apprendre aux nations ce qui est mal et ce qui est bien; ce qui est vrai et ce qui est faux dans l'ordre moral et spirituel : les autres n'ont droit de raisonner sur ces sortes de mapas tières. Ils ont les sciences naturelles pour s'amuser de quoi pourraient-ils se plaindre ? Quant à celui qui parle ou écrit pour ôter un dogme national au peuple, il doit être pendu comme voleur domestique. Rousseau même en est convenu, sans songer à ce qu'il

demandait pour lui (1). Pourquoi a-t-on commis l'imprudence d'accorder la parole à tout le monde ? C'est ce qui nous a perdus. Les philosophes (ou ceux qu'on a nommés de la sorte) ont tous un certain orgueil féroce et rebelle qui ne s'accommode de rien : ils détestent sans exception toutes les distinctions dont ils ne jouissent pas; il n'y a point d'autorité qui ne leur déplaise ; il n'y a rien au-dessus d'eux qu'ils ne haïssent. Laissez-les faire, ils attaqueront tout, même Dieu, parce qu'il est maître. Voyez si ce ne sont pas les mêmes hommes qui ont écrit contre les rois et contre celui qui les a établis ! Ah! si lorsque enfin la terre sera raffermie.....

LE SÉNATEUR.

Singulière bizarrerie du climat! après une journée des plus chaudes, voilà le vent qui fraîchit au point que la place n'est plus tenable. Je ne voudrais pas qu'un homme échauffé se trouvât sur cette terrasse; je ne voudrais même pas y tenir un discours trop animé. Il y aurait de quoi gagner une extinction de voix. A demain donc, mes bons amis.

(1) Contrat social.

FIN DU HUITIÈME ENTRETIEN.

NOTES DU HUITIÈME ENTRETIEN.

i.

(Page 84. Ce dogme est si plausible qu'il s'empare pour ainsi dire du bon sens et n'attend pas la révélation.)

Les livres mêmes des protestants présentent plusieurs témoignages favorables à ce dogme. Je ne me refuserai point le plaisir d'en citer un dés plus frappants, et que je n'irai point exhumer d'un in-fol. Dans les Mélanges extraits des papiers de madame Necker, l'éditeur, M. Necker, rappelle au sujet de la mort de son incomparable épouse ce mot d'une femme de campagne : « Si celle-là n'est pas reçue en paradis, >> nous sommes tous perdus. » Et il ajoute : Ah! sans doute elle y est dans ce séjour céleste; ELLE Y EST OU ELLE Y SERA, et son crédit y servira ses amis! (Observations de l'Éditeur, tom. 1, p. 13.)

On conviendra que ce texte exhale une assez forte odeur de Catholicisme, tant sur le purgatoire que sur le culte des saints; et l'on ne saurait, je crois, citer une protestation plus naturelle et plus spontanée du bon sens contre les préjugés de sectes et d'éducation.

II.

(Page 85. Ils se brouillent de nouveau parce qu'ils ne veulent que le purgatoire.)

Le docteur Beattie, en parlant du VIe livre de l'Énéide, dit qu'on y trouve une théorie sublime des récompenses et des châtiments de l'autre vie, théorie prise probablement des Pythagoriciens et des

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