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Platoniciens, qui la devaient eux-mêmes à une ancienne tradition. Il ajoute que ce système, quoique imparfait, s'accorde avec les espérances et les craintes de l'homme, et avec leurs notions naturelles du vice et de la vertu, assez pour rendre le récit du poëte intéressant et pathétique à l'excès. (On Thruth., part. III, ch. 11, in-8o, p. 221, 225.)

Le docteur, en sa qualité de protestant, ne se permet pas de parler plus clair; on voit cependant combien sa raison s'accommodait d'un système qui renfermait surtout LUGENTES CAMPOS. Le Protestantisme, qui s'est trompé sur tout, comme il le reconnaîtra bientôt, ne s'est jamais trompé d'une manière plus anti-logique et plus anti-divine que sur l'article du purgatoire.

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Les Grecs appelaient les morts les souffrants. (Oi xexp.nóres, xxμóvτeç.) Clarke, sur le 278° vers du IIIe livre de l'Iliade, et Ernesti dans son Lexique, (in KAMNQ) prétendent que cette expression est exactement synonyme du latin vitâ functus; ce qui ne peut être vrai, ce me semble, surtout à l'égard de la seconde forme xaμóvres, le vers d'Homère où se trouve cette expression remarquable indiquant, sans le moindre doute, la vie et la souffrance actuelles.

Καὶ ποταμοί, καὶ γαῖα, καὶ οἱ ὑπένερθε ΚΛΜΟΝΤΑΣ
̓Ανθρώπους τέννυσθον,

(Hom., Iliad., III, 278.)

III.

(Page 87. Puisqu'on ne saurait avoir l'idée de ce qui n'existe pas.) Mallebranche, après avoir exposé cette belle démonstration de l'existence de Dieu par l'idée que nous en avons, avec toute la force, toute la clarté, toute l'élégance imaginable, ajoute ces mots bien dignes de lui et bien dignes de nos plus sages méditations: Mais, dit-il, il est assez inutile de proposer au commun des hommes de ces démonstrations que l'on peut appeler personnelles (Mallebr., Rech. de la Vér., liv. II, chap. x1.) Que toute personne donc pour qui cette démonstration est faite s'écrie de tout son cœur : Je vous remercie de n'être pas comme un de ceux-là. Ici la prière du pharisien est permise et même ordonnée, pourvu qu'en la prononçant, la personne ne pense pas du tout à ses talents, et n'éprouve pas le plus léger mouvement de haine contre ceux-là.

VI.

(Page 95. Ils ont fait de la recherche des intentions une affaire majeure, une espèce d'arcane.)

Un de ces fous désespérés, remarquable par je ne sais quel orgueil aigre, immodéré, repoussant, qui donnerait à tout lecteur l'envie d'aller battre l'auteur s'il était vivant, s'est particulièrement distingué par le parti qu'il a tiré de ce grand sophisme. Il nous a présenté une théorie des fins qui embrasserait les ouvrages de l'art et ceux de la nature (un soulier, par exemple et une planète), et qui proposerait des règles d'analyse pour découvrir les vues d'un agent par l'inspection de son ouvrage. On vient, par exemple, d'inventer le métier à bas : vous êtes tenu de découvrir par voie d'analyse les vues de l'artiste, et tant que vous n'avez pas deviné qu'il s'agit du bas de soie, il n'y a point de fin, et, par conséquent, point d'artiste. Cette théorie est destinée à remplacer les ouvrages où elle est faiblement traitée; car la plupart des ouvrages écrits jusqu'à présent sur les causes finales, renferment des principes si hasardés, si vagues, des observations si puériles et si décousues, des réflexions si triviales et si / déclamatoires, qu'on ne doit pas être surpris qu'ils aient dégoûté

tant de personnes de ces sortes de lectures. Il se garde bien, au reste, de nommer les auteurs de ces ouvrages si puérils, si déclamatoires, etc.; car il aurait fallu nommer tout ce qu'on a jamais vu de plus grand, de plus religieux et de plus aimable dans le monde, c'est-à-dire tout ce qui lui ressemblait le moins.

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Eh bien, M. le comte, êtes-vous prêt sur cette question dont vous nous parliez hier (1)?

LE COMTE.

Je n'oublierai rien, messieurs, pour vous satisfaire, selon mes forces; mais permettez-moi d'abord de vous faire observer que toutes les sciences ont des mystères, et qu'elles présentent certains points où la théorie en apparence la plus évidente se trouve en contradiction avec l'expérience. La politique, par exemple, offre plusieurs preuves de cette vérité. Qu'y a-t-il de plus extravagant en théorie que la monarchie héréditaire ? Nous en jugeons par l'expérience; mais si l'on n'avait jamais ouï parler de gouvernement, et qu'il fallût en choisir un, on prendrait pour un fou celui qui délibérerait entre la monarchie héréditaire et l'élective.

(1) Voy. pag. 87.

Cependant nous savons, dis-je, par l'expérience, que la première est, à tout prendre, ce que l'on peut imaginer de mieux, et la seconde de plus mauvais. Quel argument ne peut-on pas accumuler pour établir que la souveraineté vient du peuple! Cependant il n'en est rien. La souveraineté est toujours prise, jamais donnée; et une seconde théorie plus profonde découvre ensuite qu'il en doit être ainsi. Qui ne dirait que la meilleure constitution politique est celle qui a été délibérée et écrite par des hommes d'État parfaitement au fait du caractère de la nation, et qui ont prévu tous les cas? néanmoins rien n'est plus faux. Le peuple le mieux constitué est celui qui a le moins écrit de lois constitutionnelles ; et toute constitution écrite est NULLE. Vous n'avez pas oublié ce jour où le professeur P.... se déchaîna si fort ici contre la vénalité des charges établies en France. Je ne crois pas en effet qu'il y ait rien de plus révoltant au premier coup d'oeil, et cependant il ne fut pas difficile de faire sentir, même au professeur, le paralogisme qui considérait la vénalité en elle-même, au lieu de la considérer seulement comme moyen d'hérédité; et j'eus le plaisir de vous convaincre qu'une magistrature héréditaire était ce qu'on pouvait imaginer de mieux en France.

Ne soyons donc pas étonnés si, dans d'autres branches de nos connaissances, en métaphysique surtout et en histoire naturelle, nous rencontrons des propositions qui scandalisent tout à fait notre raison, et qui cependant se trouvent ensuite démontrées par les raisonnements les plus solides.

Au nombre de ces propositions, il faut sans doute

ranger comme une des plus importantes celles que je me contentai d'énoncer hier: que le juste, souffrant volontairement, ne satisfait pas seulement pour luimême, mais pour le coupable, qui, de lui-même, ne pourrait s'acquitter.

Au lieu de vous parler moi-même, ou si vous voulez, avant de vous parler moi-même sur ce grand sujet, permettez, messieurs, que je vous cite deux écrivains qui l'ont traité chacun à leur manière, et qui, sans jamais s'être lus ni connus mutuellement, se sont rencontrés avec un accord surprenant.

Le premier est un gentilhomme anglais, nommé Jennyngs, mort en 1787, homme distingué sous tous les rapports, et qui s'est fait beaucoup d'honneur par un ouvrage très-court, mais tout à fait substantiel, intitulé: Examen de l'évidence intrinsèque du Christianisme. Je ne connais pas d'ouvrage plus original et plus profondément pensé. Le second est l'auteur anonyme des Considérations sur la France (1), · publiées pour la première fois en 1794. Il a été longtemps le contemporain de Jennyngs, mais sans avoir jamais entendu parler de lui ni de son livre avant l'année 1803; c'est de quoi vous pouvez être parfaitement sûrs. Je ne doute pas que vous n'entendiez avec plaisir la lecture de deux morceaux aussi singuliers par

leur accord.

LE COMTE.

Avez-vous ces deux ouvrages? Je les lirais avec

(1) Le comte de Maistre lui-même.

(Note de l'Éditeur.)

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