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Donc les mérites de l'innocent peuvent servir au coupable. Comme la rédemption n'est qu'une grande indulgence, l'indulgence, à son tour, n'est qu'une rédemption diminuée. La disproportion est immense sans doute; mais le principe est le même, et l'analogie incontestable. L'indulgence générale n'est-elle pas vaine pour celui qui ne veut pas en profiter et qui l'annulle, quant à lui, par le mauvais usage qu'il fait de sa liberté ? Il en est de même de la rédemption particulière. Et l'on dirait que l'erreur s'était mise en garde d'avance contre cette analogie évidente, en contestant le mérite des bonnes oeuvres personnelles ; mais l'épouvantable grandeur de l'homme est telle, qu'il a le pouvoir de résister à Dieu et de repousser sa grâce: elle est telle, que le dominateur souverain, et le roi des vertus, ne le traite qu'avec respect (1). Il n'agit pour lui, qu'avec lui; il ne force point sa volonté (cette expression n'a même point de sens); il faut qu'elle acquiesce; il faut que, par une humble et courageuse coopération, l'homme s'approprie cette satisfaction, autrement elle lui demeurera étrangère. Il doit prier sans doute comme s'il ne pouvait rien; mais il doit agir aussi comme s'il pouvait tout (2). Rien n'est accordé qu'à ses efforts, soit qu'il mérite par lui-même, soit qu'il s'approprie les oeuvres d'un

autre.

Vous voyez comment chaque dogme du Christianisme se rattache aux lois fondamentales du monde

(1) Cum magná reverentiâ. (Sap. XII, 18.)
(2) Louis Racine, préface du poëme de la Grâce.

spirituel il est tout aussi important d'observer qu'il n'en est pas un qui ne tende à purifier l'homme et à l'exalter.

Quel superbe tableau que celui de cette immense cité des esprits avec ses trois ordres toujours en rapport! le monde qui combat présente une main au monde qui souffre et saisit de l'autre celle du monde qui triomphe. L'action de grâce, la prière, les satisfactions, les secours, les inspirations, la foi, l'espérance et l'amour, circulent de l'un à l'autre comme des fleuves bienfaisants. Rien n'est isolé, et les esprits, comme les lames d'un faisceau aimanté, jouissent de leurs propres forces et de celles de tous les autres.

Et quelle belle loi encore que celle qui a mis deux conditions indispensables à toute indulgence ou rédemption secondaire: mérite surabondant d'un côté, bonnes œuvres prescrites et pureté de conscience de l'autre ! Sans l'oeuvre méritoire, sans l'état de grâce, point de rémission par les mérites de l'innocence. Quelle noble émulation pour la vertu ! quel avertissement et quel encouragement pour le coupable!

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« Vous pensez, disait jadis l'apôtre des Indes à ses néophytes, vous pensez à vos frères qui souffrent » dans un autre monde : vous avez la religieuse am>>bition de les soulager; mais pensez d'abord à vous» mêmes Dieu n'écoute point celui qui se présente » à lui avec une conscience souillée; avant d'entre» prendre de soustraire des âmes aux peines du » purgatoire, commencez par délivrer les vôtres de » l'enfer (1). »

:

(1) Et sanè æquum est ut alienam à purgatorio animam libera

Il n'y a pas de croyance plus noble et plus utile, et tout législateur devrait tâcher de l'établir chez lui, sans même s'informer si elle est fondée; mais je ne crois pas qu'il soit possible de montrer une seule opinion universellement utile qui ne soit pas vraie.

Les aveugles ou les rebelles peuvent donc contester tant qu'ils voudront le principe des indulgences : nous les laisserons dire, c'est celui de la réversibilité : c'est la foi de l'univers.

J'espère, messieurs, que nous avons beaucoup ajouté, dans ces deux derniers entretiens, à la masse des idées que nous avions rassemblées dans les premiers sur la grande question qui nous occupe. La pure raison nous a fourni des solutions capables seules de faire triompher la Providence, si l'on ose la juger (1). Mais le Christianisme est venu nous en présenter une nouvelle d'autant plus puissante, qu'elle repose sur une idée universelle aussi ancienne que le monde, et qui n'avait besoin que d'être rectifiée et sanctionnée par la révélation. Lors donc que le coupable nous demandera pourquoi l'innocence souffre dans ce monde, nous ne manquons pas de réponses, comme vous l'avez vu, mais nous pouvons en choisir une plus directe et plus touchante peut-être que toutes les autres. Nous pouvons répondre: Elle souffre

pour vous, si vous le voulez.

turus, priùs ab inferno liberet suam. Lettre de saint François Xavier à saint Ignace. Goa, 21 octobre 1542. (Inter epist sancti Francisci Xaverii à Tursellino et Possevino latinè versas. Wratislavia 1734, in-12, p. 16.)

(1) Ut vincas cùm judicaris. (Ps. L, 6.)

FIN DU DIXIÈME ENTRETIEN.

NOTES DU DIXIÈME ENTRETIEN.

I.

(Page 157. Ils (les saints Pères) se plaignent que le crime ose faire servir à ses excès un signe saint et mystérieux.)

Il est impossible de savoir quels textes l'interlocuteur avait eu en vue, ni même s'il s'en rappelait quelques-uns bien distinctement. Je ne puis citer sur ce point que deux passages; l'un de Clément d'Alexandrie, l'autre de saint Jean-Chrysostôme. Le premier dit (Pedag., lib. III ch. xI.) : Qu'il n'y a rien de plus criminel que de faire servir au vice un signe mystique de sa nature.

Le second est moins laconique. «Il a été donné, dit-il, pour allumer » dans nous le feu de la charité, afin que de cette manière nous nous >> aimions comme des frères, comme des pères et des enfants s'aiment » entre eux... Ainsi les âmes s'avancent l'une vers l'autre pour s'unir... » Mais je ne puis ajouter d'autres choses sur ce sujet... Vous m'enten» dez, vous qui êtes admis aux mystères.......... Et vous, qui osez pro>> noncer des paroles outrageantes ou obscènes, songez quelle bouche » vous profanez, et tremblez.... Quand l'apôtre disait aux fidèles : » Saluez-vous par le saint baiser........ c'était pour unir et confondre » leurs âmes. » Per oscula inter se copulavit. (D. Joan. Chrysost. in II, ad Cor. epist., comm. hom. xxx., inter opp. curâ Bern. de Montfaucon. Paris, MDCCXXXII, tom. X, pag. 650-631.)

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On peut encore citer Pline le naturaliste. « Il y a, dit-il, je ne sais quelle religion attachée à certaines parties du corps. Le revers de la >> main, par exemple, se présente au baiser....; mais si nous appliquons » le baiser aux yeux, nous semblons pénétrer jusqu'à l'âme et la tou

» cher. >>

Inest et aliis partibus quædam religio: sicut dextra osculis aversa appetitur.... hos (oculos) cùm osculamur, animum ipsum videmur attingere. (C. Plin. Sec. Hist. nat. curis Harduini. Paris, MDCLXXXV; in-4°, tom. II, §§ 54, 103, pages 547, 593.) (Note de l'Éditeur.)

II.

Page 157. Dieu est le lieu des esprits comme l'espace est le lieu des corps.)

Recherche de la vérité, in-4o.

Au reste, ce système de la vision en Dieu est clairement exprimé par saint Thomas, qui aurait été, quatre siècles plus tard, Mallebranche ou Bossuet, et peut-être l'un et l'autre. « Videntes Deum, omnia » simul vident in ipso: Ceux qui voient Dieu voient en même temps tout » en lui. » (D. Thom. adversùs gentes. Lib. III, cap. LIX.) Puisqu'ils vivent dans le sein de celui qui remplit tout, qui contient tout et qui entend tout. (Eccli. I, 7.) Saint Augustin s'en approche encore infiniment lorsqu'il appelle Dieu avec tant d'élégance et non moins de justesse SINUM COGITATIONIS MEÆ; le centre générateur de mes pensées. (Confess., liv. XIII, 11.) Le P. Berthier a dit, en suivant les mêmes idées « Toutes les créatures, l'ouvrage de vos mains, quoi» que très-distinguées de vous, puisqu'elles sont finies, sont toujours » en vous, et vous êtes toujours en elles. Le ciel et la terre ne vous » contiennent pas, puisque vous êtes infini; mais vous les contenez dans votre immensité. Vous êtes le lieu de tout ce qui existe, et vous » n'êtes que dans vous-même. » (Réflex. spirit., tom. III, pag. 28.) Ce système est nécessairement vrai de quelque manière; quant aux conclusions qu'on en voudra tirer, ce n'est point ici le lieu de s'en occuper.

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III.

(Page 161.... Un seul homme nous a perdus par un seul acte.) Rom. V, 17, seq.

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<< Tous les hommes doivent donc croître ensemble pour ne faire

qu'un seul corps par le Christ, qui en est la tête. Car nous ne sommes » tous que les membres de ce corps unique qui se forme et s'édifie par

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