Images de page
PDF
ePub

celle du cœur, & furpaffe par confequent de beaucoup celle des machoires. Une force qui ne paroit faite que pour broyer, fi confiderable d'ailleurs, fi conftamment établie dans toutes les par ties, remarquable fur tout dans celles que la nature a destinées pour la digeftion des alimens peut-elle ne point prouver que les plus fains & les plus naturels font ceux qui font plus friables & qui fe laiffent mieux brifer?

*******************************

CHAPITRE V.

Objections qu'on fait contre la doctrine qu'on vient d'établir.

Dimant l'une eft l'exemple de certaines préEux chofes paroîtroient s'oppofer à ce fen parations de chymie, par le moyen desquelles on fait des laits virginaux, des laits de foufre & femblables liqueurs laiteufes fans le fecours de la trituration, du moins au fens que nous la prenons icy & par là ils voudroient perfuader le monde que le chyle fe fait à peu prés de la même maniere.

L'autre eft l'opinion de ceux qui croyent que la coction des alimens fe fait par le moyen d'un levain. Le fyftéme de la fermentation que le fiecle paffé avoit fi fort mis en honneur, a donné occa fion à cette pensée. Enyvré qu'on eftoit alors des idées de ferment ou de levain, on s'imaginoit en voir par tout. On en attribuoit à toutes les parties dont on les avoit rendu les fauve-gardes ou les dieux tutelaires. Car outre les bannaux qui n'appartenoient qu'aux principaux vifceres, on en honoroit les fubalternes, & bientôt chaque glande en devoit avoir en propre. C'eftoit comme les folets de la Médecine qu'on croyoit autheurs de

tout ce qu'on ne comprenoit pas; & déja les fages en faifoient comme des bons & des mauvais genies, aufquels on fe rapportoit de tout le bien & de tout le mal qui arrivoit dans le corps humain. Pour donc établir une uniformité de doctrine, on convint de donner auffi à l'eftomac un levain qui préfideroit à la digeftion des alimens. Cette erreur en favorifoit une autre, car elle donnoit à croire que l'eftomac s'accommodoit prefque de tout. Il ne falloit pour cela que traiter d'Alkaheft ce prétendu levain, au moyen de quoy tout luy devenoit bon, c'eftoit un correctif univerfel en qui refidoient mille idées de perfection, ou comme les embryons de tout ce qui devoit fe produire de plus achevé dans le corps; du moins fans luy toutes les digeftions devenoient imparfaites, puif que c'eftoit de luy feul qu'elles devoient comme emprunter le sceau de leur perfection, & recevoir leur derniere empreinte.

Mais en premier lieu fans rien faire perdre à la chymie de ce qu'on luy doit d'eftime & de reconnoiffance, elle permettra de dire icy, qu'elle imite fouvent mieux les effets que les manieres de la nature: car fes inftrumens ne font pas les mêmes, fes diffolvans font trop dévelopez, fes feux trop actifs, du moins est-elle imparfaite en ce point, qu'elle nous fert peu à nous faire connoître la force des folides, qui dans nos corps ont tant de part à tout ce qui s'y paffe, Pour les liquides elle peut fouvent nous découvrir leurs excés & leurs vices, mais presque jamais leurs qualitez naturelles. Toute occupée qu'elle eft à dépouiller fes productions de tout ce qui paroît compofé, elle ne nous infinue que des idées de fels purifiez, d'efprits volatils, de liqueurs déphlegmées, toutes chofes plus propres à faire des maladies qu'à entretenir la fanté: car fi les liqueurs qui nous font vivre fe volatilisent, c'est moins en léparant

leurs principes qu'en les uniffant, les confondant & les temperant les uns par les autres. La tranf piration, par exemple, qu'on peut comparer à ce que les chymiftes ont de plus volatilifé & de plus rectifié, n'eft point l'effet d'une fécrétion ou d'une précipitation qui fépare le pur d'avec l'impur. C'est le fang luy-même avec ce qu'il contient, qui aprés un million de triturations mille fois réitérées à travers un tiffu prodigieux de vaiffeaux plus étroits les uns que les autres, fe diffipe enfin en vapeur par autant d'iffues qu'on conçoit de pores. Une volatilisation fi étrange fuppofe fans doute la plus parfaite des digeftions dans les fucs, qui s'eftant pû faire d'ailleurs fans le fecours des levains, eft, pour le dire en paffant, une preuve de leur inutilité. C'eft par un femblable artifice, inconnu & impoffible à la chymie, que les fucs laiteux qui font les effets des digeftions dans nos corps, fe produifent, dans l'eftomac & dans les inteftins; & fi ceux des chymiftes fe font par des manieres différentes, c'est qu'elle en a en effet peu qui conviennent à notre nature. Elle n'en eft pourtant pas plus à negliger. L'ouvrage le mieux executé doit fouvent beaucoup aux ombres qui le relevent à propos; aufli les opérations de chymie bien entendues, donneront beaucoup de relief à celles de la nature, qui en paroîtront d'autant plus merveilleufes, fi dans leur naïveté elles furpaffent tout ce que chymie a de plus recherché & de plus artificieux. En fecond lieu la doctrine des levains et déja furannée, & la médecine ayant fenti le foible de ce fyftême s'occupe à préfent d'idées plus fo lides & de principes mieux établis; mais quand bien même on accorderoit des levains à toutes les autres parties du corps, on comprendroit que l'eftomac s'en pafferoit par cela feul que plus les alimens ont de pente à fe fermenter, moins ils

la

font fürs & bienfaifans. C'eft par cette raifon que les fruits rouges, comme les cerifes, les fraifes,&c. que les melons, le lait, &c. caufent tant de fie vres, de vents, de cours de ventre, &c. On ne comprend pas d'ailleurs d'où viendroit ce prétendu levain dans l'eftomac ; car fi on le fait venir des glandes, on demandera qui l'aura produit dans ces glandes, & remontant ainfi de levain en levain, il faudroit ou remonter a l'infini, ou reconnoître enfin un premier levain indépendant de tout autre, & qui fe feroit produit fans autre levain: ce qui eftant impoffible dans les principes de ceux qui défendent ce fyftême, on doit conclure qu'ils font fans fondement & infoûtenables.

La lymphe qu'on trouve dans le fond de l'eftomac des animaux ne prouve pas mieux la préfence de ce levain. Cette liqueur eft douce ou infipide, fans odeur & apparemment fans d'autre action que celle qui eft commune à quelque liqueur que ce foit, qui eft d'humecter, d'amollir & de difpofer à pourriture. Elle n'a donc aucune des qualitez propres à ce qu'on appelle ordinairement levain; fa quantité d'ailleurs eft trop abondante, & par la convient peu ou point à l'idée de ces autheurs qui croyent qu'un levain elt quelque chofe qui fous un petit volume renferme beaucoup de force. Mais s'ils veulent bien abandonner ce principe en faveur de l'eftomac, ils n'en feront pas moins obligez de reconnoître que cette liqueur ne peut eftre mife au nombre de ces levains de nouvelle création, je veux dire de ces liqueurs qui fous un affez grand volume conferveroient la qualité & la force de levains, Car enfin, s'il eftoit de ces fortes de levains, il faudroit que leur volume de liqueur fût fuffifant

a

a

Aliquid mole minimum, virtute maximum. Vid, Ettmull, tract Parva funt magnorum morborum initią.

pour pénétrer toute la quantité de matiere qu'il y auroit à fermenter, fans quoy la fermentation feroit imparfaite ; & en ce cas la liqueur de l'eftomac feroit en trop petite quantité pour fermenter les alimens qu'on prend par jour, car elle n'eft guére que de quelques onces, & les alimens montent fouvent à plufieurs livres.

Mais fuppofons, fi l'on veut, pour un moment que cette liqueur ait tout ce qu'il luy faut pour devenir levain, on comprendra par la nature de la partie qu'elle occupe, qu'elle ne pourroit jamais en faire la fonction. C'est qu'il faut pour la fermentation un lieu de repos, & l'estomac eft prefque toûjours en mouvement, ou toûjours prêt à fe mouvoir. De ce qu'on conçoit la force extraordinaire du cœur, qui fans parler de celle des arteres, a de quoy furmonter une résistance de 3000. livres, l'on conçoit que le fang n'a rien à oppofer à une telle puiffance; que fa pente, s'il en a à fe mouvoir ou à fe fermenter, eft abforbée par cette force extraordinaire du cœur, par conféquent qu'il eft pouffé fans agir, & contraint de couler fans fermenter. Mais on comprendra de même, que le levain prétendu de l'eftomac devra encore avoir incomparablement moins de force pour agir ou fermenter, s'il eft vray, comme on le démontre, que tandis que le coeur n'a par rapport au fang que de quoy furmonter une refiftance de 3000. livres, l'eftomac eft en état, eu égard à la lymphe qu'il contient, d'en furmonter une au moins de 12951. livres. Donc la force de l'eftomac fe trouvant quadruple de celle du cœur, & la liqueur qu'il contient ne pou vant paffer pour avoir plus de difpofition que le fang à fermenter, cette liqueur auroit quatre fois moins de force pour fermenter les alimens, que le fang n'en a pour fe fermenter foy-même, Ainfi, quand bien même on accorderoit que la

« PrécédentContinuer »