Qui, de son lourd marteau martelant le bon sens, ayant remarqué, parmi les poèmes composés à l'occasion du mariage du roi, l'ode intitulée la Nymphe de la Seine, en présenta l'auteur au ministre Colbert, qui accorda à celui-ci une gratification royale. Les vers étaient composés dans le goût espagnol, qui, depuis la régence d'Anne d'Autriche, avait pris tant de faveur en France; et comme la jeune reine, épouse de Louis XIV, arrivait elle-même des bords du Tage, le poète ne pouvait apparemment mieux faire que de lui rappeler dans cet épithalame les habitudes métaphoriques et ampoulées de la langue qu'elle avait accoutumé de parler. Il lui disait donc entre autres belles choses sur son arrivée en France : Ce fut alors que les nuages Devant vous furent éclaircis, Et n'enfantèrent plus d'orages. Nos maux de votre main eurent leur guérison; Et qu'un autre que lui n'éclairât l'univers. Dix-neuf strophes écrites sur ce ton avaient ravi le bon Chapelain, auteur lui-même d'une ode à Richelieu dont l'emphase espagnole formait tout le mérite, et il n'avait point hésité à se faire le Mécène du jeune poète qui semblait vouloir marcher sur ses traces. Ce jeune poète s'appelait Jean Racine. Il était né à La Ferté-Milon, le 21 décembre 1639, de Jean Racine, contrôleur du grenier à sel de la ville, et de Jeanne Sconin, fille du procureur du roi des eaux et forêts de Villers-Cotterets sa famille, anoblie depuis quelque temps, portait un cygne dans ses armoiries. Orphelin de père et de mère dès l'âge de quatre ans, le jeune Racine, élevé d'abord par son grand-père Sconin, est ensuite envoyé au collège de Beauvais pour y apprendre le latin. La guerre de la Fronde éclate à Paris, gagne Beauvais ; les écoliers s'en mêlent, on se bat dans la cour du collège pour ou contre Mazarin, et le jeune Racine reçoit au front, au-dessus de l'œil gauche, un coup de pierre dont il portera toujours la cicatrice, en témoignage de sa bravoure. De Beauvais il est envoyé à Port-Royal, à l'école de ces illustres solitaires dont le savoir et la piété, la gloire et les mal heurs ont fait tant de bruit dans le monde au siècle de Louis XIV. Là, il se livre à l'étude de la langue de Sophocle et d'Euripide avec un succès qui charme son professeur, le docte Lancelot, l'auteur des Racines grecques mises en vers français. Un petit roman grec, Théagène et Chariclée, tombe entre ses mains; mais son professeur, qui prescrit la lecture des tragédies, défend celle des romans et lui prend le livre: Racine se procure un autre exemplaire, qui a, peu après, un sort pareil; il en achète un troisième, apprend le roman par cœur, puis le porte de lui-même à son maître. Tandis que celui-ci s'applaudit de la docilité de son écolier, Racine rêve une tragédie sur Théagène et Chariclée: dans le même temps, le démon des vers, qui s'est emparé de son esprit, lui fait tenter d'autres routes; il s'essaie au genre descriptif, et célèbre la retraite de Port-Royal dans des odes où l'on trouve les strophes suivantes, qui témoignent d'une assez mince aptitude poétique en même temps que d'une certaine indépendance de pensée au moment où s'élevaient les fastueuses constructions de Versailles : Dans le poète de quatorze ans qui écrivait ces vers il eût été difficile de deviner le grand Racine. Ils annonçaient déjà, toutefois, une oreille sensible au charme de l'harmonie mais ce n'était là un genre pas de mérite fort apprécié des solitaires de Port-Royal, et ce fut par d'autres motifs qu'ils fondèrent de sérieuses espérances sur l'intelligence de leur élève. : Après trois ans passés dans l'étude des lettres latines et grecques à Port-Royal, Racine vient à Paris faire sa logique au collège d'Harcourt. Ici, comme à Port-Royal, il fait des vers et montre peu de penchant pour la phi |