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>> Je ne connais personne, sire, dont les connaissances relatives à l'histoire de votre auguste maison égalent celles de V. M. Je me contenterai d'assembler dans ce mémoire concis, quelques exemples mémorables de cette histoire, et de choisir les plus récens et les plus connus.

» Le bonheur des français consiste si bien à réprimer sans cesse le goût des nouveautés auxquelles leur caractère les entraîne perpétuellement, qu'il n'est aucune révolution dans notre histoire, ni aucun évènement mémorable, qui ne doivent leur caractère pernicieux, aux principes dangereux introduits dans l'état par des hommes étrangers à nos mœurs, que l'ambition et l'intrigue conduisirent trop souvent jusqu'au timon des affaires de votre auguste

maison.

>> Les guerres de la ligue, sire, l'assassinat de deux monarques qui en fut le résultat, le fleuve de sang qui coulait encore sous le règne de l'auguste chef de votre branche, n'eurent d'autre principe que les projets secrets des étrangers qui s'immiscèrent dans le gouvernement. La nature n'avait pas appelé les français à leur obéir, et leur commandement contradictoire à nos maximes, éprouva les sanglantes oppositions qui désolaient la France.

» Aux guerres civiles de la ligue, succédèrent les scènes et les tragédies de la fronde. V. M. est instruite que les princes, la magistrature et la capitale se soulevèrent contre l'étranger qui, par des ruses et des moyens opposés à nos mœurs, avait gagné la confiance du gouvernement. Louis XIV, délivré de la tutèle de Mazarin, apprécia si bien la nature de cet inconvénient, qu'après avoir pris de lui les rênes du gouvernement, il n'en confia plus aucune des parties à des hommes pour lesquels les français dans leur légitime orgueil, n'auront jamais que de la répugnance.

» Mais si Louis XIV sçut se préserver du fléau et de l'influence des étrangers sur le gouvernement, le régent se laissa séduire malheureusement par les projets d'un écossais que des rois plus sages avaient déjà éconduit de leurs états. Law, bouleversant le systême de nos finances pour établir le sien, introduisant en France des idées étrangères à une administration, dont la méthode avait servi à l'accomplissement de tous les prodiges du règne de Louis XIV, est une grande leçon pour cet état. Cet avanturier est un exemple mémorable quiannoncera long-tems à la France les dangers des innovations en matière de finance, puisqu'il

porta son projet jusqu'à l'ébranlement des fortunes privées, base nécessaire et essentielle des richesses de votre majesté.

>> Ces trois révolutions arrivées en France sous l'auguste maison de Bourbon, ont donc été pratiquées par des étrangers. Un administrateur français n'est pas né avec autant d'audace. Sa famille est obligée à des égards; il tient luimême à sa famille; ses biens sont situés en France. L'étranger admis au contraire dans le gouvernement, a je ne sais quoi d'avanturier, qui déplaît aux français, et quoique la puissance du roi soit absolue, il est des intérêts de l'état de ne pas l'employer inutilement au maintien de l'ambition ou des plans d'un étranger, appelé au ministère contre le vœu des peuples. Sans doute l'autorité royale parvient avec beaucoup de prudence, et en usant avec sagesse de ses moyens, à soutenir ses agens et ses ministres, malgré les clameurs et les plaintes; mais l'incertitude et les dangers des suites de la lutte ne doivent-ils pas être calculés par un gouvernement qui veut faire de la prévoyance une de ses règles, j'ajoute même un de ses premiers devoirs.

M. Necker, se trouvant étranger aux maximes et aux mœurs de cet état, prépare, sans doute

sans le savoir et le vouloir, des évènemens dangereux à l'état actuel des choses. Votre majesté en se souvenant des tristes positions de ses ancêtres, tourmentés tantôt par la puissance d'un clergé opulent, indépendant de l'état et soumis à un souverain étranger, tantôt par la puissance usurpée des grands feudataires, jouit du calme qu'elle doit à la longue expérience de ses ancêtres et aux travaux pénibles des grands ministres qui sont parvenus à établir en France la subordination et le respect public. Il n'y a plus de clergé ni de noblesse, ni de tiers-état en France; la distinction est fictive, purement représentative et sans autorité réelle. Le monarque parle; tout est peuple; et tout obéit. La France, dans cette position, n'est-elle pas l'arbitre de ses droits au dehors, et très-florissante dans l'intérieur?

» M. Necker ne paraît pas content de cette heureuse condition. Nos maux nécessaires et les abus dérivant de cette position, sont des monstres à ses yeux: au lieu de saisir l'ensemble majestueux de cette harmonie, il ne voit que les inconvéniens et il en forme un ensemble qu'il veut se donner les plaisirs et les tons de réformer, pour se procurer la renommée d'un Solon ou d'un Lycurgue.

Votre majesté, sire, m'a ordonné de parler à cœur ouvert, je lui obéis: il s'est engagé une lutte entre le régime de la France et le régime de M. Necker. Si ses idées l'emportent sur celles qu'une longue expérience avaient consacrées; à l'exemple de Law, de Mazarin, et des princes lorrains, M. Necker avec ses plans génevois et protestans, est tout prêt pour établir en France un systême dans la finance, ou une ligue dans l'état, ou une fronde contre l'administration établie. Un systéme qui renverse l'ordre des propriétés, source des richesses de l'état ; une ligue qui soulève les trois ordres de l'état les uns contre les autres; ou une fronde qui les réunira tous les trois contre la puissance administrative qui les avait fait contens et dociles. En France, tel est le caractère des habitans, qu'il est nécessaire d'y professer la religion de l'état, pour mériter la soumission des peuples et la confiance des grands. Il faut être né d'une race distinguée, ou au moins professer les principes reçus et auxquels une longue expérience attache l'espoir des peuples, pour administrer avec fruit les affaires du roi. M. Necker au contraire a conduit son administration dans des routes si contraires à celles de ses prédécesseurs, qu'il se trouve en ce

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