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comme elles coulèrent de ceux de M. Turgot quand il apprit le rétablissement des corvées.

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Cependant alors je ne prévoyais pas tout, dit M. Necker; car lorsqu'après de pénibles victoires remportées sur sa propre sensibilité, pour établir un plus grand ordre, ou pour fonder des règles d'administration qu'on croyait salutaires, il faut être le spectateur de l'abandon de ses principes... Ah! qu'on lise au fond de ma pensée et que quelqu'un du moins me plaigne un instant; honni soit qui verrait dans ces épanchemens d'une ame sensible, le dépit ou le regret de l'ambition trompée! Qu'on observe si j'ai joui de ma place sous ces méprisans rapports. Enfermé dans mon cabinet depuis mon lever jusqu'à la fin du jour, sans intérêt personnel, sans jouir des douceurs de la reconnaissance, sans rechercher jamais aucun éclat extérieur; si j'ai aimé avec passion la place que j'occupais, c'est par des motifs dont je n'ai pas à rougir, et ce sont des sentimens de même nature qui m'émeuvent encore quand je tourné mes regards en arrière. Si l'on avait tenté, si l'on avait réussi à faire envisager comme un mouvement de vanité, la demande que j'avais faite d'entrer au conseil d'état; j'avais droit d'éloigner les reproches, j'avais cru qu'au

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milieu des attaques de toute espèce, trop hardies ou trop peu réprimées, cette marque de confiance devenait absolument nécessaire au ministre qui avait besoin à chaque instant de l'opinion. Je pensais que l'administrateur des finances, qui répond sur son honneur des ressources, devait pour le bien de l'état et pour sa propre réputation être appelé, sur-tout au bout de quelques années de ministère, aux délibérations de la guerre et de la paix, et j'envisageais comme très-important qu'il pût y mêler ses réflexions à celles des autres serviteurs du roi. Ce sont là, je l'assure, les seuls sentimens qui me guidaient. Une place dans le conseil peut dans la règle commune intéresser l'amour-propre ; mais je vais dire un mot orgueilleux: quand on s'est nourri d'une autre passion, quand on a cherché la louange et la gloire, quand on a poursuivi ces triomphes qui n'appartiennent qu'à soi, on regarde avec assez de tranquillité les soins qu'on partage. Vous qui, bien sûr que je n'y consentirais pas, m'aviez proposé de changer de religion pour applanir les obstacles que vous prépariez, ( Maurepas), de quoi m'auriez-vous crų digne après une telle bassesse? C'était plutôt la vaste administration des finances qu'il

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fallait

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fallait élever ce scrupule jusqu'au moment où elle me fut confiée. Il était incertain si je valais une exception aux règles communes. D'ailleurs le conseil d'état, le seul où je demandais d'entrer, n'est qu'une conférence en présence du roi, où les voix ne sont pas comptées, où S. M. seule décide et où il ne faut ni un brevet ni même un serment; mais quand il l'eût fallu ce serment, cinq années d'une administration morale et vertueuse n'en était-il pas un? Et quel engagement nouveau pouvait-on imposer à celui qui avait tenu avant de promettre. »

» On parvient à dépriser les plus nobles sentimens en leur donnant le nom d'exaltation: manœuvres des hommes médiocres, qui pour conserver une idée honorable de leur stature, s'efforcent de donner un air gigantesque à tout ce qui les surpasse. Les plus habiles savent employer l'arme du ridicule, sans songer au mal dont ils seraient responsables s'ils affaiblissaient dans l'esprit des rois l'impression de l'honnêteté... Mais l'exaltation qui est dangereuse n'est jamais celle des sentimens, c'est uniquement celle de l'esprit ; lorsqu'un homme marche pas à pas dans l'administration, lorsqu'il met un prix continuel aux détails; lorsqu'en s'occupant de l'avenir il veille éga

Tom. IV.

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lement sur le présent, ce qu'on appelerait en lui exaltation, s'appliquerait nécessairement à ces mouvemens de l'ame qui donnent de la vie à la pensée et dont on ne doit jamais affaiblir ni réprimer l'essor..... Les idées de grandeur qui tiennent à la politique, à l'esprit de domination, à l'amour de l'autorité, n'ont besoin que d'un caractère froid et tranquille; mais les idées sur le bonheur des hommes, la perfection de l'ordre, le goût de l'honneur et de la vertu, ne peuvent être séparés d'une sorte d'ardeur qui les entretient et les fait naître. »

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CHAPITRE XX V I I

Portrait de M. Necker par ses amis.

ON
On a vu de toutes parts dans ces mémoires

comment les ennemis de M. Necker, ont peint cet homme célèbre; mais on doit voir également comment l'a jugé le parti contraire. M. Lavater, homme de génie, que le directoire de France et celui de Suisse ne se laveront jamais d'avoir laissé militairement persécuter, M. Lavater, habile dans l'art de connaître l'homme par la physionomie, mais illuminé d'esprit et de sentiment, a fait de M. Necker en 1789 un portrait digne de toutes sortes de considérations. Il a fait ce portrait dans une. circonstance précieuse à l'histoire et à son art, dans le moment même où M, Necker était pour lui le plus grand phénomène à observer.

M. Necker avait été proscrit en France quelques jours auparavant par les amis de l'ancien régime, qui le considéraient comme principe moteur de la révolution qu'il avait constituée dans le sein même du gouvernement. C'est pour la deuxième fois qu'ils obligeaient le faible Louis XVI à le

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