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CHAPITRE V I.

Opposition de M. Necker aux dépenses de la guerre. Il demande au roi d'en connaître les détails et les développemens.

Il critique la partie de la dépense du ministère des finances. - Il approuve le crédit des états. Il appuie son opinion sur la possibilité de convertir quatre à cinq millions de rentes en cent millions de capital. Il critique les administrations antérieures à la sienne. - Principes généraux de M. Necker sur l'administration des finances.

M. Necker était à peine chargé de la direction des finances qu'il chercha à soumettre à son examen les projets de dépenses de différens ministres. C'était s'établir en quelque sorte à la tête du gouvernement et disposer des affaires d'état au moins par des mesures négatives. Il faut entendre le discours du directeur général à cet égard, il renferme des détails fort curieux sur les rapports du roi avec son ministre des finances.

>> M. de Maurepas m'ayant invité, dit M. Necker, à communiquer à V. M. mes observations sur le mémoire remis en dernier lieu par le département de la guerre, j'ai jeté rapidement quelques idées sur ce sujet.

» On y propose à V. M., d'autoriser de nouvelles augmentations de dépenses, mais les notions qu'on y donne à cet égard ne sont pas complettes.

» On y parle de dépenses dont les objets ne sont ni spécifiés, ni détaillés, mais exprimés à moitié; ainsi, si V. M. eût mis un bon à ce mémoire, elle eût permis, sans une connaissance suffisante, des dépenses très-considérables; et comme cependant, à la dépense près, chaque opération était clairement énoncée, le département de la guerre aurait eu d'après ce bon, toute l'autorité nécessaire pour aller en avant, et le paiement des dépenses que ces opérations auraient occasionnées, eût été tôt ou tard indispensable.

>> C'est donc avec une grande sagesse quê V. M. a suspendu son approbation; les affaires de cette conséquence ne peuvent pas être décidées d'après une simple esquisse, et cette observation conduit naturellement à réfléchir sur une règle d'administration, d'où peut seule

résulter l'ordre des finances de V. M., et par conséquent, le bonheur de son règne et le maintien de sa puissance.

» Il est contre toute espèce de principe que les dépenses soient déterminées séparément de l'examen des moyens nécessaires nécessaires pour y pour

voir........ En effet, s'il suffisait de faire un projet de politique et de composer le tableau d'une flote ou d'une armée, il n'est aucun souverain qui ne se procurât le moyen de conquérir le monde, car ils auraient très-facilement des ministres qui feraient ces combinaisons et formeraient ces tableaux. Mais, c'est dans le rapport des spéculations, avec les moyens d'exécution; c'est dans leur conciliation que reposent les difficultés, ainsi que la science de l'homme d'état.

>> C'est envain que les ministres du roi de Suède ou du roi de Danemarck, feraient le

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projet d'avoir une nombreuse armée ; c'est envain même que l'empereur ou le roi de Prusse, quoique maître de plus grands états, eussent voulu y parvenir, si dans le même tems ils n'eussent pas pris le parti d'y apporter la plus grande économie et de renoncer à toute autre espèce de dépense.

» V. M. plus puissante et plus riche qu'au

cun autre souverain de l'Europe, a aussi cependant des combinaisons de finances à faire, d'abord par la situation de son royaume; V. M. désire avec raison d'établir sa puissance et sur terre et sur mer, tandis que les autres souverains de l'Europe, n'ont que l'une de ces deux dépenses à faire.

» En même-tems, on voit près du tiers des revenus de V. M., consommé en intérêts de dettes. Un faste ancien dans les dépenses de la cour et dans les maisons des princes, l'esprit des finances dans les affaires d'argent, un relâchement général, un manque d'ensemble, des traitemens excessifs et multipliés, une somme incroyable de pensions et dont il n'existe aucun exemple; tous ces objets absorbent encore une grande partie des revenus de V. M.

Enfin, il est une autre sorte de force qui élève souvent une puissance du second ordre au niveau d'une première, et cette force c'est le crédit ; elle est grande sans doute puisqu'elle donne les moyens de convertir quatre ou cinq millions de rentes dans cent millions de capital; or, ce crédit s'il n'est pas détruit, est considérablement altéré. On ne peut se dissimuler qu'il a fallu de l'art et des soins pour procurer « V. M. les sommes considérables qui ont

pourvu depuis deux ans au rétablissement de sa marine; mais tout a des bornes, et il n'est guère possible en si peu de tems, d'effacer l'effet de quinze années de paix, pendant lesquelles on a plus maltraité le crédit et la confiance qu'en tems de guerre, et cela en dépensant, imposant et empruntant sans règle ni mesure et en manquant sans cesse à sa parole.

>> Cette réunion de diverses circonstances suffit pour développer à V. M., quoique le plus riche des rois de l'Europe, qu'elle ne peut se dispenser de comparer sans cesse les projets de dépense avec les ressources libres; d'autant plus qu'elle a déjà dû remarquer que chaque ministre de département ne voit que sa partie, et comme ils ne sont pas chargés d'établir des revenus, les difficultés leur sont inconnues, les malheurs des peuples ne retentissent point jusqu'à eux. N'ayant donc alors à examiner que les convenances de telle ou telle dépense, il n'est pas surprenant qu'ils y excitent toujours; car il est bien peu de dépenses qui n'eussent un côté favorable, considérées séparément des moyens à prendre pour y pourvoir.

» C'est donc le coup-d'œil de l'ensemble qui peut seul conduire à des déterminations sages et salutaires, et c'est parce qu'on a constamment

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