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lution française sur les derniers momens des Girondins et sur la mort de quelques-uns des personnages dont nous venons de transcrire les noms sont empruntés aux Mémoires d'un détenu, pour servir à l'histoire de la tyrannie de Robespierre, ouvrage composé par Honoré Riouffe. Un article de Trouvé, dans le Moniteur du 11 avril 1795 (22 germinal de l'an III), nous apprend que les mémoires de Riouffe, publiés à cette epoqne,avaient eu deux éditions consécutives. Arrêté à Bordeaux, à cause de ses liaisons avec les Girondins, l'auteur fut conduit à Paris, où il passa quatorze mois à la Conciergerie. Son livre contient des récits circonstanciés, non-seulement de ce que faisaient et disaient les prisonniers dans l'intérieur de cette prison, mais encore de leurs actes et de leurs paroles, soit en allant à l'échafaud, soit au moment de leur exécution. Si l'on demande d'où nous étions si bien instruits, dit Riouffe, qu'on sache que c'était par le moyen du bourreau, qui, pendant une année entière, n'a cessé un seul jour d'être appelé dans cette horrible demeure, et qui racontait aux geôliers ces abominables et admirables circonstanVoilà les sources de Riouffe. Il n'a écrit son livre qu'après être sorti de prison, de telle sorte que le seul témoignage direct qui sert de thème à ses compositions littéraires, celui du bourreau, ne lui est venu qu'à travers les rapports des geôliers, et que ces rapports eux-mêmes ont été long-temps confiés à son souvenir avant d'aboutir à sa plume.

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Riouffe peint ainsi la dernière nuit des Girondins :

Ils étaient tous, dit l'auteur, calmes, sans ostentation, quoiqu'aucun ne se laissât abuser par l'espérance. Leurs ames étaient à une telle hauteur, qu'il était impossible de les aborder avec les lieux communs des consolations ordinaires..... Ils furent condamnés à mort dans la nuit du 30 octobre, vieux style, vers les onze heures. Le signal qu'ils nous avaient promis nous fut donné; ce furent des chants patriotiques qui éclatèrent simultanément, et toutes leurs voix se mêlèrent pour adresser les dernières hymnes à la liberté; ils parodiaient la chanson des Marseillais de cette sorte:

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Contre nous de la tyrannie

Le couteau sanglant est levé.

» Toute cette nuit affreuse retentit de leurs chants, et s'ils les interrompaient, c'était pour s'entretenir de leur patrie, et quelquefois aussi pour une saillie de Ducos.

› C'est la première fois qu'on a massacré en masse tant d'hommes extraordinaires. Jeunesse, beauté, génie, vertus, talens, tout ce qu'il y a d'intéressant parmi les hommes fut englouti d'un seul coup. Si des cannibales avaient des représentans, ils ne commettraient point un pareil attentat.....

› Nous marchions à grands pas, l'ame triomphante de voir qu'une belle mort ne manquait pas à de si belles vies..... Mais quand ce courage, emprunté du leur, se fut refroidi, alors nous sentîmes quelle perte nous venions de faire; le désespoir devint notre partage; les places qu'ils occupaient devinrent l'objet d'une vénération religieuse, et l'aristocratie même se faisait montrer avec empressement et respect les lits où avaient couché ces grands hommes. ›

Trouvé a transcrit ce passage dans l'article dont nous parlions tout à l'heure ; seulement il a jugé à propos de supprimer la circonstance de la parodie de la Marseillaise. M. Thiers, qui a évidemment puisé dans Riouffe les faits qui suivirent le jugement des Girondins, dit que ceux-ci ont chanté l'hymne des Marseillais, cite les deux mêmes vers qui se trouvent dans le précédent extrait, mais il restitue le texte du second, L'étendard sanglant est levé, et il ne parle point de parodie. M. Thiers ajoute que les Girondins firent en commun un dernier repas, où ils furent tour à tour gais, sérieux, éloquens. Brissot, Gensonné, étaient graves et réfléchis; Vergniaud parla de la liberté expirante avec les plus nobles regrets, et de la destinée humaine avec une éloquence entraînante. Ducos répéta des vers qu'il avait faits en prison, et tous ensemble chantèrent des hymnes à la France et à la liberté. L'historien a choisi la fiction d'un dernier repas, › — afin de grouper dans le même cadre, et de mettre en scène les divers caractères que Riouffe prête aux Girondins dans divers

endroits de ses Mémoires. Ce sont des deux parts le même sens et presque les mêmes expressions. Ainsi, d'après Riouffe, Brissot était habituellement grave et réfléchi (p. 210 du premier volume de la collection de Nougaret); Gensonné était recueilli en lui-même (ibid); Vergniaud« tantôt grave et tantôt moins sérieux » faisait quelquefois jouir les prisonniers des derniers accens de cette éloquence sublime qui étaient déjà perdus pour l'univers, puisque les barbares l'empêchaient de parler. » Voilà les couleurs et les traits épars du tableau de M. Thiers. Quant à Ducos, les vers que l'historien lui fait chanter sont le pot-pourri que nous avons plus haut rapporté. Riouffe ne mentionne pas plus cette circonstance que celle d'un repas commun. A la vérité, il parle des saillies de Ducos qui interrompirent, de fois à autre, les chants des Girondins pendant leur dernière nuit, et ce sera là probablement ce qui aura donné à M. Thiers l'occasion de placer les vers de Ducos, vers sur la nature desquels il est permis au lecteur de conjecturer tout ce qu'il veut, attendu que ce point n'est nullement expliqué. Mais si la chanson dont il s'agit eût été désignée par son titre, par le premier venu de ses couplets, c'eût été se condamner à ne pouvoir écrire : « Leur dernière nuit fut sublime, » qualification, qui eût paru, en effet, fort singulière, si l'on eût cité immédiatement le potpourri de Ducos parmi les chants de cette nuit. Tout ce qui a été dit sur la manière dont les Girondins passèrent la nuit du 31 octobre au 1er novembre est un commentaire de Riouffe. Le commentaire tout-à-fait fabuleux est celui intitulé: Dernier Banquet des Girondins.

Les Girondins moururent avec courage. J. Boileau montra seul quelque faiblesse ; au reste, cette exception fut aperçue et notée à peine. On ne fut pas plus attentif à la ferme contenance de ses compagnons, à une époque où tous les condamnés pour cause politique marchaient à la mort avec une égale assurance, ou ne remarquait que ceux auxquels la guillotine inspirait une grande terreur. La mort de Custine fit sensation entre toutes celles du même genre. On ne comprenait pas qu'un

soldat pût défaillir à tel point à l'aspect de l'échafaud. Certains hébertistes et certains dantonistes firent oublier la honte de Custine.

Nous passons aux notices sur les principales condamnations qui suivirent celles des Girondins.

MARIE-OLYMPE DE GOUGES, veuve Aubry, âgée de 28 ans, native de Montauban, fut condamnée à la peine de mort, le 2 novembre (12 brumaire). Une brochure ayant pour titre : Les trois Urnes, ou le Salut de la patrie; deux placards intitulés, l'un Olympe de Gouges, défenseur de Louis Capet, l'autre, Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire, et quelques manuscrits au nombre desquels La France sauvée, ou le Tyran détrôné, furent les pièces produites contre elle par l'accusation. Dans la brochure Les trois Urnes, etc., publiée après la révolution du 31 mai, Olympe de Gouges invitait le peuple à se réunir en assemblées primaires, et à émettre son vou, soit sur le gouvernement monarchique, soit sur le gouvernement fédéraliste, soit sur la République une et indivisible. Cet appel mettait en question toutes les révolutions accomplies depuis 1789. Mais on n'eût point recherché cet écrit, si l'auteur n'eût visé à se donner une grande importance politique, et ne fût revenue à la charge par des affiches et par des placards, c'est-à-dire par le genre de publicité qui tombait directement sous les yeux du peuple, et qui excitait par conséquent toute la sollicitude des comités révolutionnaires de la capitale. Olympe de Gouges fut dénoncée par son propre afficheur. Cette femme, qui avait fondé des clubs, qui avait voulu défendre Louis XVI, et qui convoquait les assemblées primaires après le 31 mai, avoua tous ses écrits et tous ses actes; mais elle ne put les expliquer que par des phrases oratoires, et persista à dire qu'elle était et avait toujours été bonne citoyenne, qu'elle n'avait jamais intrigué. Ainsi parle le bulletin du tribunal révolutionnaire, et il ajoute : Pour sa défense, l'accusée a dit qu'elle s'était ruinée pour propager les principes de la révolution, qu'elle était la fondatrice des sociétés populaires de son sexe, etc. Pendant le

T. XXXI,

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résumé des charges fait par l'accusateur public, l'accusée, sur les faits qu'elle entendait articuler contre elle, faisait sans cesse des minauderies; tantôt elle haussait les épaules, puis elle joignait les mains, et levait les yeux vers le plafond de la salle; puis elle passait tout d'un coup dans un geste expressif, manifestant l'étonnement, puis regardant ensuite l'auditoire, elle souriait aux spectateurs, etc. On déplore, en lisant ce procès, de voir qu'il a suffi à une femme, qui ne manquait pas d'ailleurs de sentimens généreux, de se montrer imprudente et vaine, pour encourir une sentence capitale. Malheureusement il fallait alors prendre les gens, non pas selon la valeur contre-révolutionnaire qu'ils avaient, mais selon celle qu'ils se donnaient, et les juger comme ils se posaient eux-mêmes. - Avant le prononcé du jugement, Olympe-de-Gouges, interpellée de déclarer si elle avait quelques observations à faire sur l'application de la loi, répondit au tribunal : « Mes ennemis n'auront pas la gloire de voir couler mon sang; je suis enceinte, et je donnerai à la République un citoyen ou une citoyenne. › Le même jour elle fut visitée, et sa déclaration ayant été reconnue inexacte, elle fut conduite à l'échafaud. (Bulletin du trib. révol., n. 66 et 67, deuxième partie.)

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ADAM-LUX, âgé de 27 ans dix mois, député extraordinaire de la Convention germanique, séant à Mayence, natif d'Opinbourg, pays de l'électorat de Mayence, demeurant à Ostenk, vis-à-vis Mayence, logé à Paris, rue des Moulins, hôtel des Patriotes-Hollandais, fut condamné à mort le 4 novembre (14 brumaire). Envoyé à Paris, où il arriva le 30 mars 1793, pour demander la réunion de Mayence à la France, Adam Lux se lia avec Guadet et Pétion. Après l'insurrection du 31 mai, il conçut le projet d'aller se suicider à la barre de la Convention, où il devait préalablement déposer un discours dans lequel il présentait son suicide comme un acte de désespoir politique. Cette pièce, saisie dans ses papiers, et produite au procès, était une diatribe sanglante contre la Montagne; Adam Lux y disait que la dictature de Roland était le seul

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