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MÉMOIRE

A M. BOUDET, ANTONIN.

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QUI TRAVAILLE A l'histoire de feu M. DE BERNEX, ÉVÊQUE DE GENÈVE'.

Dans l'intention où l'on est de n'omettre dans l'histoire de M. de Bernex aucun des faits considérables qui peuvent servir à mettre ses vertus chrétiennes dans tout leur jour, on ne sauroit oublier la conversion de madame la baronne de Warens de La Tour, qui fut l'ouvrage de ce prélat.

Au mois de juillet de l'année 1726, le roi de Sardaigne étant à Évian, plusieurs personnes de distinction du pays de Vaud s'y rendirent pour voir la cour. Madame de Warens fut du nombre ; et cette dame qu'un pur motif de curiosité avoit amenée fut retenue par des motifs d'un genre supérieur, et qui n'en furent pas moins efficaces pour avoir été moins prévus. Ayant assisté par hasard à un des discours que ce prélat prononçoit avec ce zèle et cette onction qui portoient dans les cœurs le feu de sa charité, madame de Warens en fut émue au point, qu'on peut regarder cet instant

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M. Boudet publia la vie de cet évêque en 1750, in-12, à Paris.

comme l'époque de sa conversion. La chose cependant devoit paroître d'autant plus difficile, que cette dame, étant très éclairée, se tenoit en garde contre les séductions de l'éloquence, et n'é toit pas disposée à céder sans être pleinement convaincue. Mais quand on a l'esprit juste et le cœur droit, que peut-il manquer pour goûter la vérité, que le secours de la grace? et M. de Bernex n'étoit-il pas accoutumé à la porter dans les cœurs les plus endurcis? Madame de Warens vit le prélat; ses préjugés furent détruits; ses doutes furent dissipés; et, pénétrée des grandes vérités qui lui étoient annoncées, elle se détermina à rendre à la Foi, par un sacrifice éclatant, le prix des lumières dont elle venoit de l'éclairer.

Le bruit du dessein de madame de Warens ne tarda pas à se répandre dans le pays de Vaud. Ce fut un deuil et des alarmes universelles. Cette dame y étoit adorée, et l'amour qu'on avoit pour elle se changea en fureur contre ce qu'on appeloit ses séducteurs et ses ravisseurs. Les habitants de Vevay ne parloient pas moins que de mettre le feu à Évian, et de l'enlever à main armée au milieu même de la cour. Ce projet insensé, fruit ordinaire d'un zèle fanatique, parvint aux oreilles de sa majesté; et ce fut à cette occasion qu'elle fit à M. de Bernex cette espèce de reproche si glorieux, qu'il faisoit des conversions bien bruyantes.

Le roi fit partir sur-le-champ madame de Warens pour Annecy, escortée de quarante de ses gardes. Ce fut là où, quelque temps après, sa majesté l'assura de sa protection dans les termes les plus flatteurs, et lui assigna une pension qui doit passer pour une preuve éclatante de la piété et de la générosité de ce prince, mais qui n'ôte point à madame de Warens le mérite d'avoir abandonné de grands biens et un rang brillant dans sa patrie, pour suivre la voie du Seigneur, et se livrer sans réserve à sa providence. Il eut même la bonté de lui offrir d'augmenter cette pension de sorte qu'elle pût figurer avec tout l'éclat qu'elle souhaiteroit, et de lui procurer la situation la plus gracieuse, si elle vouloit se rendre à Turin auprès de la reine. Mais madame de Warens n'abusa point des bontés du monarque: elle alloit acquérir les plus grands biens en participant à ceux que l'Église répand sur les fidéles; et l'éclat des autres n'avoit désormais plus rien qui pût la toucher. C'est ainsi qu'elle s'en explique à M. de Bernex; et c'est sur ces maximes de détachement et de modération qu'on l'avuese conduire constamment depuis lors.

Enfin le jour arriva où M. de Bernex alloit assurer à l'Église la conquête qu'il lui avoit acquise. Il reçut publiquement l'abjuration de madame de Warens, et lui administra le sacrement de confirmation le 8 septembre 1726, jour de la Nativité

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