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d'une seule ligne; c'est autant pour son profit que pour ma commodité que j'en agis ainsi. Après avoir commencé par me persifler moi-même, j'aurai tout le temps de persifler les autres; j'ouvrirai les yeux, j'écrirai ce que je vois, et l'on trouvera que je me serai assez bien acquitté de ma tâche.

Il me reste à faire excuse d'avance aux auteurs que je pourrois maltraiter à tort, et au public, de tous les éloges injustes que je pourrois donner aux ouvrages qu'on lui présente; ce ne sera jamais volontairement que je commettrai de pareilles erreurs. Je sais que l'impartialité dans un journaliste ne sert qu'à lui faire des ennemis de tous les auteurs, pour n'avoir pas dit, au gré de chacun d'eux, assez de bien de lui, ni assez de mal de ses confrères; c'est pour cela que je veux toujours rester inconnu. Ma grande folie est de vouloir ne consulter que la raison, et ne dire que la vérité : de sorte que, suivant l'étendue de mes lumières et la disposition de mon esprit, on pourra trouver en moi, tantôt un critique plaisant et badin, tantôt un censeur sévère et bourru, non pas un satirique amer ni un puéril adulateur. Les jugements peuvent être faux, mais le juge ne sera jamais inique.

TRADUCTION

DU PREMIER LIVRE

DE L'HISTOIRE DE TACITE.

AVERTISSEMENT.

Quand j'eus le malheur de vouloir parler au public, je sentis le besoin d'apprendre à écrire, et j'osai m'essayer sur Tacite. Dans cette vue, entendant médiocrement le latin et souvent n'entendant point mon auteur, j'ai dû faire bien des contre-sens particuliers sur ses pensées : mais, si je n'en ai point fait un général sur son esprit, j'ai rempli mon but; car je ne cherchois pas à rendre les phrases de Tacite, mais son style; ni de dire ce qu'il a dit en latin, mais ce qu'il eût dit en françois.

Ce n'est donc ici qu'un travail d'écolier; j'en conviens, et je ne le donne que pour tel. Ce n'est de plus qu'un simple fragment, un essai; j'en conviens encore: un si rude jouteur m'a bientôt lassé. Mais ici les essais peuvent être admis en attendant mieux; et, avant que d'avoir une bonne traduction complète, il faut supporter encore bien des thèmes. C'est une grande entreprise qu'une pareille traduction: quiconque en sent assez la difficulté pour pouvoir la vaincre persévèrera difficilement. Tout homme en état de suivre Tacite est bientôt tenté d'aller seul.

TRADUCTION

DU PREMIER LIVRE

DE L'HISTOIRE DE TACITE'.

Je commencerai cet ouvrage par le second consulat de Galba et l'unique de Vinius. Les sept cent vingt premières années de Rome ont été décrites par divers auteurs avec l'éloquence et la liberté dont elles étoient dignes. Mais, après la bataille d'Actium, qu'il fallut se donner un maître pour avoir la paix, ces grands génies disparurent. L'ignorance des affaires d'une république devenue étrangère à ses citoyens, le goût effréné de la flatterie, la haine contre les chefs, altérèrent la vérité de mille manières; tout fut loué ou blâmé par passion, sans égard pour la postérité: mais en démêlant les vues de ces écrivains, elle se prêtera plus volontiers aux traits de l'envie, et de la satire, qui flatte la malignité par un faux air d'indépendance, qu'à la basse adulation, qui marque la servitude et rebute par sa lâcheté. Quant à moi, Galba, Vitellius, Othon, ne m'ont fait ni bien ni

D'après ce que Rousseau dit dans le huitième livre des Confessions, il fit cette traduction en 1754, pendant son voyage à Genève. MÉLANGES.

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