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TRADUCTION

DE L'APOCOLOKINTOSIS

DE SÉNÉQUE.

DE L'APOCOLOKINTOSIS

DE SÉNÉQUE,

SUR LA MORT DE L'EMPEREUR CLAUDE.

Je veux raconter aux hommes ce qui s'est passé dans les cieux le treize octobre, sous le consulat d'Asinius Marcellus et d'Acilius Aviola, dans la nouvelle année qui commence cet heureux siècle'. Je ne ferai ni tort ni grace. Mais si l'on demande comment je suis si bien instruit, premièrement je ne répondrai rien, s'il me plaît; car qui m'y pourra contraindre? ne sais-je pas que me voilà devenu libre par la mort de ce galant homme qui avoit très bien vérifié le proverbe, qu'il faut naître ou monarque ou sot?

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Que si je veux répondre, je dirai comme un

Quoique les jeux séculaires eussent été célébrés par Auguste, Claude, prétendant qu'il avoit mal calculé, les fit célébrer aussi : ce qui donna à rire au peuple, quand le crieur public annonça, dans la forme ordinaire, des jeux que nul homme vivant n'avoit vus, ni ne reverroit. Car, non seulement plusieurs personnes encore vivantes avoient vu ceux d'Auguste, mais même il y eut des histrions qui jouèrent aux uns et aux autres; et Vitellius n'avoit pas honte de dire à Claude, malgré la proclamation, Sæpè facias.

autre tout ce qui me viendra dans la tête. Demanda-t-on jamais caution à un historien juré? Cependant si j'en voulois une, je n'ai qu'à citer celui qui a vu Drusille monter au ciel; il vous dira qu'il a vu Claude y monter aussi tout clochant. Ne faut-il pas que cet homme voie, bon gré, mal gré, tout ce qui se fait là-haut? n'est-il pas inspecteur de la voie appienne par laquelle on sait qu'Auguste et Tibère sont allés se faire dieux? Mais ne l'interrogez que tête à tête: il ne dira rien en public; car après avoir juré dans le sénat qu'il avoit vu l'ascension de Drusille, indigné qu'au mépris d'une si bonne nouvelle personne ne voulût croire à ce qu'il avoit vu, il protesta en bonne forme qu'il verroit tuer un homme en pleine rue qu'il n'en diroit rien. Pour moi, je peux jurer, par le bien que je lui souhaite, qu'il m'a dit ce que je vais publier. Déja

Par un plus court chemin l'astre qui nous éclaire
Dirigeoit à nos yeux sa course journalière;
Le dieu fantasque et brun qui préside au repos
A de plus longues nuits prodiguoit ses pavots:
La blafarde Cynthie, aux dépens de son frère,
De sa triste lueur éclairoit l'hémisphère,
Et le difforme hiver obtenoit les honneurs
De la saison des fruits et du dieu des buveurs:
Le vendangeur tardif, d'une main engourdie,
Otoit encor du cep quelque grappe flétric.

Mais peut-être parlerai-je aussi clairement en

disant que c'étoit le treizième d'octobre. A l'égard de l'heure, je ne puis vous la dire exactement; mais il est à croire que là-dessus les philosophes s'accorderont mieux que les horloges '. Quoi qu'il en soit, supposons qu'il étoit entre six et sept; et puisque, non contents de décrire le commencement et la fin du jour, les poëtes, plus actifs que des manœuvres, n'en peuvent laisser en paix le milieu, voici comment dans leur langue j'exprimerois cette heure fortunée :

Déja du haut des cieux le dieu de la lumière
Avoit en deux moitiés partagé l'hémisphère,
Et pressant de la main ses coursiers déja las,
Vers l'hespérique bord accéléroit leurs pas;

quand Mercure, que la folie de Claude avoit tou-
jours amusé, voyant son ame obstruée de toutes
parts chercher vainement une issue, prit à part
une des trois Parques, et lui dit : Comment une
femme a-t-elle assez de cruauté pour voir un mi-
sérable dans des tourments si longs et si peu
peu mé-
rités? Voilà bientôt soixante-quatre ans qu'il est
en querelle avec son ame. Qu'attends-tu donc en-
core? souffre que les astrologues, qui depuis son
avénement annoncent tous les ans et tous les mois

La mort de Claude fut long-temps cachée au peuple jusqu'à ce qu'Agrippine eût pris ses mesures pour ôter l'empire à Britannicus et l'assurer à Néron; ce qui fit que le public n'en savoit exactement ni le jour ni l'heure.

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