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LETTRES A SARA'.

PREMIERE LETTRE.

Tu lis dans mon cœur, jeune Sara; tu m'as pénétré, je le sais, je le sens. Cent fois le jour ton œil curieux vient épier l'effet de tes charmes. A ton air satisfait, à tes cruelles bontés, à tes méprisantes agaceries, je vois que tu jouis en secret de ma misère; tu t'applaudis avec un souris moqueur du désespoir où tu plonges un malheureux, pour qui l'amour n'est plus qu'un opprobre. Tu te trompes, Sara; je suis à plaindre, mais je ne suis point à railler: je ne suis point digne de mépris, mais de pitié, parceque je ne m'en impose ni sur ma figure ni sur mon âge, qu'en aimant je me sens indigne de plaire, et que la fatale illusion qui m'égare m'empêche de te voir telle que tu es, sans m'empêcher de me voir tel que je suis. Tu peux m'abuser sur tout, hormis sur moi-même; tu peux me persuader tout au monde, excepté que tu puisses partager mes feux insensés. C'est le pire de mes supplices de me voir comme tu me

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On ignore le nom de la personne à qui ces quatre lettres sont adressées.

vois; tes trompeuses caresses ne sont pour moi qu'une humiliation de plus, et j'aime avec la certitude affreuse de ne pouvoir être aimé.

Sois donc contente. Hé bien oui, je t'adore; oui, je brûle pour toi de la plus cruelle des passions. Mais tente, si tu l'oses, de m'enchaîner à ton char, comme un soupirant à cheveux gris, comme un amant barbon qui veut faire l'agréable, et dans son extravagant délire, s'imagine avoir des droits sur un jeune objet. Tu n'auras pas cette gloire, ô Sara! ne t'en flatte pas: tu ne me verras point à tes pieds vouloir t'amuser avec le jargon de la galanterie, ou t'attendrir avec des propos langoureux. Tu peux m'arracher des pleurs, mais ils sont moins d'amour que de rage. Ris, si tu veux, de ma foiblesse; tu ne riras pas au moins de ma crédulité.

Je te parle avec emportement de ma passion, parceque l'humiliation est toujours cruelle, et que le dédain est dur à supporter; mais ma passion, toute folle qu'elle est, n'est point emportée; elle est à-la-fois vive et douce comme toi. Privé de tout espoir, je suis mort au bonheur; et ne vis que de ta vie. Tes plaisirs sont mes seuls plaisirs; je ne puis avoir d'autres jouissances que les tiennes, ni former d'autres vœux que tes vœux. J'aimerois mon rival même si tu l'aimois: si tu ne T'aimois pas, je voudrois qu'il pût mériter ton

amour; qu'il eût mon cœur pour t'aimer plus dignement, et te rendre plus heureuse. C'est le seul desir permis à quiconque ose aimer sans être aimable. Aime, et sois aimée, ô Sara! Vis contente et je mourrai content.

SECONDE LETTRE.

Puisque je vous ai écrit, je veux vous écrire encore: ma première faute en attire une autre. Mais je saurai m'arrêter, soyez-en sûre; et c'est la manière dont vous m'avez traité durant mon délire qui décidera de mes sentiments à votre égard quand j'en serai revenu. Vous avez beau feindre de n'avoir pas lu ma lettre, vous mentez; je le sais, vous l'avez lue. Oui, vous mentez sans me rien dire, par l'air égal avec lequel vous croyez m'en imposer. Si vous êtes la même qu'auparavant, c'est parceque vous avez été toujours fausse; et la simplicité que vous affectez avec moi me prouve que vous n'en avez jamais eu. Vous ne dissimulez ma folie que pour l'augmenter; vous n'êtes pas contente que je vous écrive, si vous ne me voyez encore à vos pieds; vous voulez me rendre aussi ridicule que je peux l'être; vous voulez me donner en spectacle à vous-même, peut-être à d'autres; et

vous ne vous croyez pas assez triomphante si je ne suis déshonoré.

Je vois tout cela, fille artificieuse, dans cette feinte modestie par laquelle vous espérez m'en imposer, dans cette feinte égalité par laquelle vous me semblez vouloir me tenter d'oublier ma faute, en paroissant vous-même n'en rien savoir. Encore une fois, vous avez lu ma lettre; je le sais, je l'ai vu. Je vous ai vue, quand j'entrois dans votre chambre, poser précipitamment le livre où je l'avois mise; je vous ai vue rougir, et marquer un moment de trouble. Trouble séducteur et cruel, qui peut-être est encore un de vos pièges, et qui m'a fait plus de mal que tous vos regards. Que devins-je à cet aspect, qui m'agite encore? Cent fois, en un instant, prêt à me précipiter aux pieds de l'orgueilleuse, que de combats, que d'efforts pour me retenir! Je sortis pourtant, je sortis palpitant de joie d'échapper à l'indigne bassesse que j'allois faire. Ce seul moment me venge de tes outrages. Sois moins fière, ô Sara! d'un penchant que je peux vaincre, puisqu'une fois en ma vie j'ai déja triomphe de toi.

Infortuné! j'impute à ta vanité des fictions de mon amour-propre. Que n'ai-je le bonheur de pouvoir croire que tu t'occupes de moi, ne fût-ce que pour me tyranniser! Mais daigner tyranniser un amant grison seroit lui faire trop d'honneur

encore. Non, tu n'as point d'autre art que ton indifférence: ton dédain fait toute ta coquetterie, tu me désoles sans songer à moi. Je suis malheureux jusqu'à ne pouvoir t'occuper au moins de mes ridicules, et tu méprises ma folie jusqu'à ne daigner pas même t'en moquer. Tu as lu ma lettre, et tu l'as oubliée; tu ne m'as point parlé de mes maux, parceque tu n'y songeois plus. Quoi! je suis donc nul pour toi! Mes fureurs, mes tourments, loin d'exciter ta pitié, n'excitent pas même ton attention! Ah! où est cette douceur que tes yeux promettent? où est ce sentiment si tendre qui paroît les animer?... Barbare!..... insensible à mon état, tu dois l'être à tout sentiment honnête. Ta figure promet une ame; elle ment, tu n'as que de la férocité... Ah, Sara! j'aurois attendu de ton bon cœur quelque consolation dans ma misère.

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TROISIÈME LETTRE.

Enfin rien ne manque plus à ma honte, et je suis aussi humilié que tu l'as voulu. Voilà donc à quoi ont abouti mon dépit, mes combats, mes résolutions, ma constance! Je serois moins avili si j'avois moins résisté. Qui, moi! j'ai fait l'amour

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