Images de page
PDF
ePub

IMITATION LIBRE

D'UNE CHANSON ITALIENNE

DE MÉTASTASE'.

Grace à tant de tromperies,

Grace à tes coquetteries,

Nice, je respire enfin.

Mon cœur, libre de sa chaîne,

Ne déguise plus sa peine;

Ce n'est plus un songe vain.

Toute ma flamme est éteinte :
Sous une colère feinte

L'amour ne se cache plus.

Qu'on te nomme en ton absence,
Qu'on t'adore en ma présence,
Mes sens n'en sont point émus.

En paix sans toi je sommeille;
Tu n'es plus, quand je m'éveille,
Le premier de mes desirs.

* M. de Nivernois a réclamé cette pièce, qui n'a été attribuée à Rousseau que par les premiers éditeurs de ses OEuvres. Jean-Jacques ne s'est jamais donné pour en être l'auteur. On ignore l'époque où elle fut composée. (Note de M. Musset-Pathay.)

Rien de ta part ne m'agite;
Je t'aborde et je te quitte
Sans regrets et sans plaisirs.

Le souvenir de tes charmes, Le souvenir de mes larmes, Ne fait nul effet sur moi. Juge enfin comme je t'aime: Avec mon rival lui-même Je pourrois parler de toi.

Sois fière, sois inhumaine, Ta fierté n'est pas moins vaine Que le seroit ta douceur. Sans être ému je t'écoute, Et tes yeux n'ont plus de route Pour pénétrer dans mon cœur.

D'un mépris, d'une caresse, Mes plaisirs ou ma tristesse Ne reçoivent plus la loi. Sans toi j'aime les bocages; L'horreur des antres sauvages Peut me déplaire avec toi.

Tu me parois encor belle;

Mais, Nice, tu n'es plus celle Dont mes sens sont enchantés.

Je vois, devenu plus sage,

Des défauts sur ton visage

Qui me sembloient des beautés.

Lorsque je brisai ma chaîne,
Dieux ! que j'éprouvai de peine!
Hélas! je crus en mourir:
Mais, quand on a du courage,
Pour se tirer d'esclavage
Que ne peut-on point souffrir?

Ainsi du piège perfide

Un oiseau simple et timide
Avec effort échappé,

Au prix des plumes qu'il laisse,

Prend des leçons de

sagesse

Pour n'être plus attrapé.

Tu crois que
Voyant que je parle encore
Des soupirs que j'ai poussés :
Mais tel, au port qu'il desire,
Le nocher aime à redire
Les périls qu'il a passés.

mon cœur t'adore,

Le guerrier couvert de gloire
Se plaît, après la victoire,
A raconter ses exploits;
Et l'esclave, exempt de peine,
Montre avec plaisir la chaîne
Qu'il a traînée autrefois.

Je m'exprime sans contrainte;
Je ne parle point par feinte,
Pour que tu m'ajoutes foi;
Et, quoi que tu puisses dire,
Je ne daigne pas m'instruire
Comment tu parles de moi.

Tes appas, beauté trop vaine,
Ne te rendront pas sans peine
Un aussi fidèle amant.

Ma perte est moins dangereuse;
Je sais qu'une autre trompeuse
Se trouve plus aisément.

ÉNIGME.

Enfant de l'art, enfant de la nature, Sans prolonger les jours j'empêche de mourir: Plus je suis vrai, plus je fais d'imposture; Et je deviens trop jeune à force de vieillir.

VERS

A MADEMOISELLE THÉODORE',

QUI NE PARLOIT JAMAIS A L'AUTEUR QUE DE MUSIQUE.

Sapho, j'entends ta voix brillante
Pousser des sons jusques aux cieux;
Ton chant nous ravit, nous enchante;

Le Maure ne chante pas mieux.

Mais quoi! toujours des chants! crois-tu que l'harmonie
Seule ait droit de borner tes soins et tes plaisirs?
Ta voix, en déployant sa douceur infinie,

Veut en vain sur ta bouche arrêter nos desirs;

Tes yeux charmants en inspirent mille autres,
Qui méritoient bien mieux d'occuper tes loisirs.
Mais tu n'es point, dis-tu, sensible à nos soupirs,
Et tes goûts ne sont point les nôtres.

Quel goût trouves-tu donc à de frivoles sons?
Ah! sans tes fiers mépris, sans tes rebuts sauvages,
Cette bouche charmante auroit d'autres usages
Bien plus délicieux que de vaines chansons.
Trop sensible au plaisir, quoi que tu puisses dire,
Parmi de froids accords tu sens peu de douceur;
Mais entre tous les biens que ton ame desire,

* Mademoiselle Théodore étoit de l'Académie Royale de musique.

« PrécédentContinuer »