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assaut de poésie avec Sénéqué, il ne se sentoit pas en état de se commettre avec le Tasse? Quoi qu'il en soit, c'est en prose qu'il a traduit l'épisode d'Olinde et Sophronie, et je me rangerois volontiers à l'avis des lecteurs qui trouveroient qu'il y a plus de poésie dans cette humble prose que dans les vers altiers des autres traducteurs. Mais si les avis sont partagés sur le mérite de cette traduction, il n'y a qu'une voix sur le mérite du joli conte de la Reine Fantasque. C'est la manière d'Hamilton avec une teinte de philosophie, comme celle de l'auteur des Lettres Persanes. Un lecteur attentif retrouvera facilement l'auteur d'Émile et du Contrat Social dans cette charmante bagatelle. Le Lévite d'Ephraïm respire la candeur et la simplicité des livres saints; toutes les beautés en sont puisées au sein d'une nature vierge encore, et qui ne fait que sortir des mains du Créateur.

Au milieu des opinions flottantes, Rousseau reste l'immuable défenseur des vrais principes; il est sagement pieux parmi les incrédules, tolérant avec les fanatiques, vengeur des prérogatives de la nature humaine, en dépit des insensés qui la dépouillent de ses plus augustes prérogatives. C'est cette doctrine qui l'arma contre le système qu'Helvétius, dont il estimoit d'ailleurs la personne et le caractère, essaya d'accréditer dans son livre de l'Esprit. Ce n'est point avec l'amertume du fanatisme ni avec le faux zèle de l'esprit de secte que Jean-Jacques juge Helvétius. Mais pourquoi cet homme né bon, sensible, s'efforce-t-il d'enlever à la vertu ses plus chères illusions, le plaisir de

s'estimer soi-même, et de répandre sur ceux qui l'entourent ce sentiment auguste et consolateur qui dégage nos actions vertueuses de toute espèce de retour sur nous-mêmes. De faux amis que le crédit et la faveur appellent, et que le premier revers éloigne; des époux qui cherchent à s'attendrir sur les suites déplorables de liaisons adultères; des fils ingrats qui comptent avec un chagrin impatient les heures d'existence des auteurs de leurs jours; des traîtres, des perfides, qui boivent dans des coupes d'or les larmes et le sang de leur patrie; des égoïstes qui se moquent de l'incendie tant que leur maison reste à l'abri des flammes; tel est l'assemblage impur, la société dangereuse que doit former le livre de l'Esprit. Égaré par son système, Helvétius n'en prévit point les déplorables conséquences; il oublia que de semblables opinions avoient perdu les états de la Grèce, que les Romains les souhaitoient à leurs ennemis, que Cicéron en foudroie les fauteurs avec toute la force de son éloquence et la vigueur de sa dialectique. Sans vertu, s'immole-t-on aux intérêts du genre humain? sans vertu, brave-t-on les persécutions et l'infortune pour le servir? voit-on sans frémir la ciguë de Socrate, la prison de Boëce, l'échafaud de Barneweld ou de Sidney. Effacez ce sentiment philanthropique, tout sentiment noble, toute idée généreuse, s'exilent de la terre; l'homme ne croit plus à la sincérité de l'homme; il redoute sa propre sensibilité comme un écueil, les mouvements qui la font naître comme des pièges; il fuit l'être qui l'aime; et, pour éviter des douleurs incertaines, se dérobe aux plus pures jouis

sances; pour lui la terre se dépouille de ses charmes, se couvre d'un crêpe funebre. Méprisez le genre humain, vous perdez toute illusion; l'amour n'a plus d'attraits, le bonheur plus de jouissances, le malheur plus de compensation. En attaquant la doctrine d'Helvétius, sous le rapport moral et métaphysique, Rousseau rendoit justice au talent de l'écrivain. Helvétius tire d'un système faux des résultats ingégieux. Rien de plus absurde que sa doctrine sur l'égalité des esprits, rien de plus philosophique que la manière dont il soutient ce paradoxe. On ne peut contester l'empire qu'il prête aux passions; elles sont le foyer qui embrase, qui alimente le génie; bien dirigées, elles font les citoyens et les héros. C'est à la sagesse du législateur qu'il appartient de leur donner une heureuse impulsion; et l'auteur du livre de l'Esprit donne à ce sujet d'importants conseils. Il sème une foule d'observations neuves, en examinant l'emploi des esprits dans les diverses classes de la société, sous les diverses formes de gouvernement. Si son système dépouille l'homme de sa dignité, il recherche à la rétablir en revendiquant ses droits civils. Il se déclare ennemi de l'oppression, et l'honnêteté de son ame l'absout de ses erreurs comme philosophe. Mais rien ne peut absoudre Jean-Jacques d'avoir fait de méchants vers, quand il pouvoit mieux employer son temps à écrire une page d'Émile ou du Contrat Social, s'il n'avoit mis la dernière main à ces deux ouvrages, qui seront éternellement les modèles d'une prose élégante, riche, forte et harmonieuse, comme les tragédies

de Racine et les vers de Boileau seront toujours les chefs-d'œuvre que ne cesseront d'étudier ceux qui aspirent à la gloire de marcher sur leurs traces. Sans partager le dédain de Montesquieu pour les vers, Rousseau ne les faisoit guère mieux que lui; mais comme Montesquieu, il éclaire les hommes, et s'est placé au premier rang des écrivains de la nation.

ÉCONOMIE POLITIQUE.

MÉLANGES.

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