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XXVI.

O nature, donne-moi ce que tu veux; reprends-moi ce que tu

veux !

XXVII.

La terre aime la pluie; l'air divin aime aussi la pluie. Le monde aime à faire ce qui doit arriver. Je dis donc au monde : J'aime ce que tu aimes.

XXVIII.

Quelqu'un me méprise : c'est son affaire. Pour moi, je prendrai garde de ne rien faire ou dire qui soit digne de mépris.

XXIX.

La bienveillance est invincible, pourvu qu'elle soit sincère, sans dissimulation et sans fard. Car que pourrait te faire le plus méchant des hommes, si tu persévérais à le traiter avec douceur? Si, dans l'occasion, tu l'exhortais paisiblement et lui donnais sans colère, alors qu'il s'efforce de te faire du mal, des leçons comme celle-ci : « Non, mon enfant ! nous sommes nés pour << autre chose. Ce n'est pas moi qui éprouverai le mal; c'est toi qui t'en fais à toi-même, mon enfant ! >>

XXX.

S'il n'y a dans le monde que confusion pure et sans modérateur, qu'il te suffise, au milieu de ce flot agité des choses, d'avoir en toi-même un esprit qui te guide. Que si le flot t'emporte avec lui, eh bien ! qu'il entraîne cette chair, ce souffle, tout le reste; il n'emportera pas l'intelligence.

XXXI.

Quoi! la lumière d'une lampe brille jusqu'au moment où elle s'éteint, et ne perd rien de son éclat; et la vérité, la justice, la tempérance qui sont en toi s'éteindraient avant toi !

Pensées, passim, trad. Pierron.

CHAPITRE HUITIÈME.

École d'Alexandrie.

PLOTIN.

Plotin naquit à Lycopolis, dans la Haute Egypte, vers le commencement du troisième siècle après Jésus-Christ. A vingt-huit ans, il vint à Alexandrie. Quelqu'un lui ayant indiqué l'école d'Ammonius encore_peu connu, il s'écria après l'avoir entendu voilà ce que je cherchais. Pour étudier la philosophie des Perses et des Indiens, à l'âge de trente-neuf ans, il s'engagea dans l'armée que l'empereur Gordien conduisait contre la Perse. Echappé non sans peine au désastre de cette expédition, il vint s'établir à Rome, où il enseigna plusieurs années sa philosophie avec le plus grand éclat, et où il mourut dans un âge avancé. En mème temps que ses doctrines, il communiquait à ses disciples enthousiastes la force et l'élévation morale dont son âme était douée. Nous avons les ouvrages de Plotin. Porphyre, son disciple, les a recueillis et divisés en six parties, comprenant chacune neuf livres. De là le nom d'Ennéades qu'il leur a donné.

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La beauté est quelque chose qui est sensible au premier aspect, que l'âme reconnaît comme intime et sympathique à sa propre essence, qu'elle accueille et s'assimile. Mais, qu'elle rencontre un objet difforme, elle recule, le répudie et le repousse comme Stranger et antipathique à sa propre nature. C'est que, l'âme tant telle qu'elle est, c'est-à-dire d'une essence supérieure à ous les autres êtres, quand elle aperçoit un objet qui a de l'afinité avec sa nature ou qui seulement en porte quelque trace, elle se réjouit, elle est transportée, elle rapproche cet objet de sa propre nature, elle pense à elle-même et à son essence intime. Quelle similitude y a-t-il donc entre le beau sensible et le beau ntelligible? car on ne saurait méconnaître cette similitude. Comment les objets sensibles peuvent-ils être beaux en même temps que les objets intelligibles? C'est parce que les objets sensibles participent à une forme.

Tant qu'un objet sans forme, mais capable par sa nature de rec voir une forme intelligible ou sensible, reste pourtant sans form et sans raison, il est laid. Ce qui demeure complétement étrang à toute raison divine est le laid absolu. En venant se joindre à matière, la raison coordonne les diverses parties qui doivent cor poser l'unité, les combine, et par leur harmonie produit quelq chose qui est un. Quand un objet est arrivé à l'unité, la beat réside en lui, et elle se communique aux parties aussi bien qu l'ensemble. Ainsi, elle se montre tantôt dans un édifice enti tantôt dans une pierre seule, dans les produits de l'art comi dans les œuvres de la nature: c'est ainsi que les corps devienne beaux par leur participation à une raison.

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PLOTIN. Ennéades, trad. Bouillet, t. I, p. 100.

Comment nous jugeons la beauté sensible en la comparant
à la beauté intérieure.

Comment ce qui est corporel peut-il avoir quelque liaison at ce qui est supérieur aux corps? Comment, par exemple, l'arc tecte peut-il juger beau un édifice placé devant ses yeux le comparant avec l'idée qu'il a en lui? N'est-ce pas parce l'objet extérieur, abstraction faite des pierres, n'est autre ch que la forme intérieure (1) divisée sans doute dans l'étend de la matière, mais toujours une, quoique se manifestant da le multiple ?...

C'est ainsi que l'homme de bien, apercevant dans un jet homme le caractère de la vertu, en est agréablement frap parce qu'il le trouve en harmonie avec le vrai type de la vel qu'il a en lui. C'est ainsi que la beauté de la couleur, quoiq simple par sa forme, soumet à son empire les ténèbres la matière, par la présence de la lumière, qui est une che incorporelle, une raison, une forme. Voilà encore pourquoi lei est supérieur en beauté à tous les autres corps ; c'est qu'il jo à l'égard des autres éléments le rôle de forme; il occupe régions les plus élevées; il est le plus subtil des corps, pai qu'il est celui qui se rapproche le plus des êtres incorporels ; c' encore le seul qui, sans se laisser pénétrer par les autres cor les pénètre tous; il leur communique la chaleur sans se refroid il possède la couleur par son essence même, et c'est lui qui

1. C'est-à-dire l'idée intérieure ou type réalisé dans l'âme.

communique aux autres; il brille, il resplendit parce qu'il est ne forme. Le corps où il ne domine pas, n'offrant qu'une teinte lécolorée, n'est plus beau. C'est ainsi, enfin, que les harmonies tachées des sons produisent les harmonies sensibles, et donnent encore à l'âme l'idée de la beauté, mais en la lui montrant dans in autre ordre de choses.

Voilà ce que nous avons à dire des beautés sensibles, qui, desendant sur la matière comme des images et des ombres, l'embellissent et ravissent par là notre admiration.

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Laissant les sens dans leur sphère inférieure, élevons-nous naintenant à la contemplation de ces beautés d'un ordre supéieur, dont les sens n'ont pas l'intuition, mais que l'âme voit et omme sans le secours des organes.

De même qu'il nous aurait été impossible de parler des beautés ensibles si nous ne les avions jamais vues ni reconnues pour elles, si nous eussions été à leur égard semblables à des hommes veugles de naissance, de même nous ne saurions rien dire ni de a beauté des arts, des sciences et des autres choses de ce genre i nous n'étions déjà en possession de ce genre de beauté; ni de 1 splendeur de la vertu si nous n'avions contemplé la face de la ustice et de la Tempérance, devant l'éclat de laquelle pâlissent étoile du soir et celle du matin. Il faut contempler ces beautés ar la faculté que notre âme a reçue pour les voir; alors, à leur spect, nous éprouverons bien plus de plaisir, d'étonnement, d'adniration, qu'en présence des beautés sensibles, parce que nous auons l'intuition des beautés véritables. Car devant ce qui est beau, es sentiments qu'on doit éprouver sont l'admiration, un doux aisissement, le désir, l'amour, un transport mêlé de plaisir. lels sont les sentiments que doivent éprouver et qu'éprouvent n effet pour les beautés invisibles presque toutes les âmes, mais elles surtout qui sont les plus aimantes : c'est ainsi que, placés n présence des beaux corps, tous les hommes les voient, mais ans être également émus; les plus vivement émus sont ceux [u'on désigne sous le nom d'amants.

Interrogeons donc sur ce qu'ils éprouvent ces hommes qui ont le l'amour pour des beautés qui ne sont pas corporelles. Que ressentez-vous en présence de nobles occupations, de bonnes mœurs.

d'habitudes de tempérance, et en général en présence d'actes € de sentiments vertueux, de tout ce qui constitue la beauté de âmes? Que ressentez-vous quand vous contemplez votre beaul intérieure? D'où viennent vos transports, votre enthousiasme D'où vient que vous souhaitez alors vous unir à vous-mêm et vous recueillir en vous isolant de votre corps? Car c'e là ce qu'éprouvent ceux qui aiment véritablement. Quel e donc cet objet qui vous cause ces émotions? Ce n'est ni m figure, ni une couleur, ni une grandeur quelconqne; c'est cet âme invisible, qui possède une sagesse également invisible, cet àme en qui on voit briller la splendeur de toutes les vertus, quar on découvre en soi ou que l'on contemple chez les autres la gra deur du caractère, la justice du cœur, la pure tempérance, valeur à la figure imposante, la dignité et la pudeur à la démarch ferme, calme, imperturbable, et par-dessus tout l'intelligenc semblable à Dieu et éclatante de lumière. Quand nous somm ravis d'admiration et d'amour pour ces objets, par quelle raise les proclamons-nous beaux? Ils existent, ils se manifestent, celui qui les verra ne pourra jamais s'empêcher de dire qui sont des êtres véritables. Or, que sont les êtres véritables ? 1 sont beaux. PLOTIN. Ennéades, trad. Bouillet, t. I, p. 101.

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Le bien, suprême principe de la beauté et de l'amour.

La raison n'est pas encore satisfaite : elle se demande pou quoi ces êtres véritables donnent à l'âme qui les possède la pr priété d'exciter l'amour, d'où provient cette auréole de lumière qu couronne pour ainsi dire toutes les vertus.

...Il nous reste donc à remonter au Bien auquel toute âme aspire Quiconque l'a vu, connaît ce qui me reste à dire, sait quelle est l beauté du bien. En effet, le bien est désirable par lui-même; 1 est le but de nos désirs. Pour l'atteindre il faut nous élever ver les régions supérieures, nous tourner vers elles et nous dépouil ler du vêtement que nous avons revêtu en descendant ici-bas comme, dans les mystères, ceux qui sont admis à pénétrer at fond du sanctuaire, après s'être purifiés, dépouillent tout vête ment et s'avancent complétement nus (1).

1. Ceux qui voulaient être initiés aux mystères d'Eleusis passaient pai différents degrés dont le premier était la purification, xa0appos. Ils se dépouillaient de leurs vêtements, comme le prouvent des vases grecs où ils sont représentés nus.

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