Images de page
PDF
ePub

de l'esprit; leur beauté n'est point dérivée, elle est primitive. Comme nous reconnaissons dans les animaux un principe pensant, semblable à celui qui nous anime, quoique d'une nature inférieure, et qu'en effet leurs facultés intellectuelles et actives les rapprochent beaucoup de notre espèce, leurs actions, leurs mouvements, leurs physionomies même ont une beauté qui relève immédiatement des attributs de l'esprit dont ils offrent l'expression.

Le monde sensible n'offre point de beauté si séduisante ou si sublime qui ne le cède à celle de l'espèce humaine, et spécialement à celle de la femme.

Lorsque Satan, dans le Paradis perdu, vient contempler les merveilles de ce monde nouvellement sorti des mains de Dieu, 'le poète le représente frappé d'admiration par la beauté du couple heureux de nos premiers pères.

Dans ce passage si connu de Milton, nous voyous l'illustre poète assigner toute la beauté de nos premiers pères à l'expression des qualités morales et intellectuelles qui brillent dans leurs formes et dans leurs attitudes...

La beauté humaine réside tout entière dans l'expression des perfections morales ou physiques qui appartiennent à notre espèce...

La beauté de la couleur propre à notre espèce... dérive en quelque degré de l'idée de santé qu'elle exprime, circonstance sans laquelle toute beauté se fane et cesse de séduire, et qui lui communique un nouveau degré de puissance et d'éclat.

La beauté de la forme est expressive aussi... Une belle âme est le plus beau trait d'une belle figure... Les plus beaux yeux du monde, animés par la malice ou la colère, épouvantent. L'âme peut produire la beauté là où manquent la couleur et la forme; elle peut produire la laideur là où elles brillent du plus ravissant éclat.

La grâce n'existe point sans les deux conditions suivantes. En premier lieu, il n'y a point de grâce sans quelque mouvement du corps, ou seulement d'une partie du corps, ou tout au moins de quelque trait du visage... Une autre condition de la grâce, c'est le naturel; sans naturel, point de grâce... Il suit de ces observations que ce qui constitue la grâce en tant qu'elle est visible, ce sont les mouvements du corps qui expriment, avec le naturel le plus parfait, les émotions et les sentiments vrais d'un caractère aimable. REID, OEuvres, V, p. 270.

DUGALD-STEWART.

Influence de l'association des idées sur l'esprit. et les hommes de génie.

Les hommes d'esprit

Parmi les relations sur lesquelles se fondent les associations d'idées, les unes s'offrent d'elles-mêmes à l'esprit, tandis que d'autres exigent au contraire, pour être aperçues, un effort d'attention. Du premier genre sont les relations de ressemblance et d'analogie, de contrariété, de voisinage, soit de temps, soit de lieu, et celles qui naissent de la coïncidence accidentelle des sons de différents mots. Ces relations lient entre elles nos pensées, lorsque nous les laissons suivre leur mouvement naturel, sans effort ou presque sans aucun effort de notre part. Du second genre sont les relations de cause et d'effet, de moyens et de fin, de prémisses et de conclusions, et quelques autres qui règlent la suite des pensées d'un philosophe, livré à une recherche qui l'occupe fortement.

Un esprit sur lequel les associations fortuites de temps et de lieu font une impression durable n'a pas les mêmes motifs pour conduire philosophiquement sa pensée que ceux chez lesquels les faits se lient principalement par les relations de cause et d'effet, ou de prémisses et de conséquence. J'ai entendu dire que les hommes de loi les plus éminents avaient marqué d'abord une sorte d'aversion pour l'étude. La raison en est probablement qu'un esprit avide de principes généraux se dégoûte d'une étude qui ne lui offre au premier aspect qu'un chaos de faits en apparence isolés et sans liaison. Mais ce goût pour l'ordre philosophique surmonte bientôt, quand il est joint à la persévérance dans le travail, les difficultés qui semblaient les plus invincibles; il introduit la règle dans ce qui n'offrait au premier coup d'œil qu'une masse indigeste et confuse, et transforme les détails arides des lois en un système intéressant et lumineux.

... En général, je pense qu'on peut établir comme une règle sûre, que les hommes qui ont une très-grande masse de connaissances toujours à leur disposition, ou qui se sont rendu leurs propres découvertes assez familières pour être toujours prêts à les exposer sans être obligés de se recueillir et de travailler avec quelque peine sur leur mémoire, sont rarement doués de beaucoup d'es

prit d'invention, rarement même d'une grande vivacité de conception. Un homme d'un génie original, avide d'exercer sur toutes choses la faculté de raisonner dont il est doué, qui ne peut se résoudre à répéter les idées d'autrui, ou même à reproduire machinalement des pensées qu'il n'a acquises qu'à l'aide de beaucoup de réflexion, paraît souvent aux observateurs superficiels s'abaisser au-dessous du niveau des esprits médiocres; et souvent, au contraire, un esprit qui n'a ni vivacité, ni capacité d'invention, fait admirer la promptitude de ses décisions, quoiqu'elle soit l'effet de sa médiocrité même.

Eléments de la philosophie de l'esprit humain, t. I, p. 253.

23

EXT. GR. PHILOS.

CHAPITRE HUITIÈME.

La Philosophie allemande.

ΚΑΝΤ.

Emmanuel Kant naquit à Koenigsberg en 1724, fit ses études dans cette ville, y devint professeur, et ne la quitta jamais. D'un caractère honorable, de mœurs austères, il passa sa vie dans l'étude. Il mourut en 1804. Ses principaux ouvrages sont : Critique de la raison pure, Riga, 1781; Critique de la raison pratique, 1788; Critique du jugement esthétique et téléologique; Prolegomenes pour toute métaphysique future; Fondements de la métaphysique des mœurs; la Religion dans les limites de la pure raison; Métaphysique des mœurs (en deux parties: 1° Métaphysique du droit, 1797; 20 Principes métaphysiques de la doctrine de la vertu); Logique, etc., sans parler d'ouvrages relatifs aux sciences mathématiques et physiques. Rosenkranz a publié en Allemagne une édition complète de ses œuvres. MM. Tissot et J. Barni en ont traduit en français les plus importantes.

[blocks in formation]

Toute science nous est impossible en dehors du champ de l'expérience. · Critique des prétentions dogmatiques en métaphysique.

Tous les principes de notre entendement (1) n'étant applicables qu'à des objets de l'expérience possible (2), il va de soi que tout raisonnement rationnel (3) qui s'applique aux choses en dehors des conditions de l'expérience, bien loin d'atteindre la vérité, ne doit nécessairement aboutir qu'à une apparence et à une illusion.

Mais le propre de cette illusion, c'est qu'elle est inévitable..., à tel point, qu'alors même que nous en apercevons déjà la fausseté, nous ne pouvons cependant nous en délivrer.... En effet, le champ de l'expérience ne nous satisfait point.... Notre raison, pour se satisfaire, doit donc nécessairement essayer de franchir les limites de l'expérience, et en conséquence se persuader infail

1. Par exemple le principe de causalité, le principe de contradiction, etc. 2. Tout ce qui est ou peut être dans l'espace et dans le temps. 3. Par exemple, les raisonnements sur la divisibilité à l'infini de la matière, sur la spiritualité de l'âme, etc.

liblement qu'elle atteindra par cette voie l'extension et l'intégralité de ses connaissances, chose qu'elle ne peut trouver dans le champ des phénomènes. Mais cette persuasion est une pure illusion, car tous les concepts et principes de notre entendement étant complétement vains en dehors des limites de notre expérience sensible, et ne pouvant absolument être alors appliqués à un objet quelconque, la raison se fait illusion à elle-même lorsqu'elle donne une valeur objective à des maximes toutes subjectives, qu'elle n'admet réellement que pour sa propre satisfaction (1).

Tous ceux de nos raisonnements qui prétendent sortir du champ de l'expérience sont illusoires et sans fondement.... Nonseulement l'idée d'un Être suprême, mais même les concepts de réalité, de substance, de causalité, ceux de nécessité dans l'existence, perdent toute signification, et ne sont plus que de vains titres de concepts, sans aucun contenu, quand on se hasarde à sortir avec eux du champ des choses sensibles....

Ainsi se résout en une attente illusoire toute connaissance que l'on cherche en dehors des limites de l'expérience possible en la demandant à la philosophie spéculative, et qui pourtant intéresse au plus haut point l'humanité. Mais qu'on ne se récrie point contre cette sévérité de la Critique: en même temps qu'elle démontre l'impossibilité de décider dogmatiquement quelque chose en dehors des limites de l'expérience, touchant un objet de l'expérience, elle rend à la raison un service qui n'est pas sans importance pour l'intérêt qui la préoccupe, en la rassurant contre toutes les assertions possibles du contraire. De deux choses l'une en effet: ou bien on doit démontrer apodictiquement (2) sa propo sition, ou bien, si cela ne réussit pas, on doit chercher les causes de cette impuissance. Or si ces causes résident dans les bornes nécessaires de notre raison, il faut que tout adversaire se soumette également à la loi qui lui ordonne de renoncer à toute affirmation dogmatique.

La psychologie rationnelle, par exemple, n'existe pas comme une doctrine positive ajoutant quelque chose à la connaissance de nous-mêmes. Mais, considérée comme simple discipline de

1. Voir, pour l'intelligence de ces passages, notre Histoire de la philosophie (art. Kant).

2. Avec une certitude absolue.

« PrécédentContinuer »