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méritant, uniquement pour ne pas se rendre secrètement méprisable à ses yeux ? L'honnête homme frappé par un grand malheur qu'il aurait pu éviter, s'il avait manqué à son devoir, n'est-il pas soutenu par la conscience d'avoir maintenu et respecté en sa personne la dignité humaine, de n'avoir point à rougir de luimême, et de pouvoir s'examiner sans crainte? Cette consolation n'est point le bonheur sans doute, elle n'en est pas même la moindre partie. Nul en effet ne souhaiterait l'occasion de l'éprouver, et peut-être ne désirerait la vie à ces conditions; mais il vit, et ne peut souffrir d'être à ses propres yeux indigne de la vie. Cette tranquillité intérieure n'est donc que négative, relativement à tout ce qui peut rendre la vie agréable; car elle vient de la conscience que nous avons d'échapper au danger de perdre quelque chose de notre valeur personnelle, après avoir perdu` tout le reste. Elle est l'effet d'un respect pour quelque chose de bien différent de la vie, et au prix duquel au contraire la vie, avec toutes ses jouissances, n'a aucune valeur.

XX.

Critique de la raison pratique, traduction Barni, p. 269.

Peut-on prouver, par des preuves purement spéculatives, la spiritualité et l'immortalité ? Critique des arguments platoniciens en faveur de la simplicité et de l'identité du moi.

La pensée est une et simple en tant que phénomène ; mais cela ne nous autorise pas à conclure que le principe de la pensée soit simple comme elle. L'unité de la pensée se forme de la diversité des intuitions, comme la direction du mouvement se forme de la diversité des impulsions. L'unité de la pensée pourrait donc se concilier avec la diversité des substances dans l'être d'où émane la pensée. Si l'unité de la pensée est l'objet de l'expérience du sens intime, il n'en est pas ainsi de l'être qui pense. Or, toute conception qui ne peut s'appliquer à une expérience demeure une illusion.

Quant à l'identité de l'âme, elle n'est pas non plus l'objet de l'expérience celle-ci ne nous montre que la continuité de la même pensée, et non la continuité du même être pensant. Or, la continuité de la pensée pourrait exister à travers plusieurs êtres successifs, comme le mouvement se propage d'un mobile à l'autre. En supposant même que le premier être transmit au second la pensée avec la conscience qui l'accompagne, que le second fît la même transmission au troisième, en y joignant les deux actes

de conscience, et ainsi de suite, on s'expliquerait la continuité non-seulement de la même pensée, mais de la même conscience. L'âme subit des changements qui ressemblent à l'accroissement et au dépérissement des plantes, et celles-ci ne sont ni unes ni identiques; l'unité et l'identité de l'âme ne sont donc pas prouvées par les preuves ordinaires.

Enfin la communication de l'âme avec des objets dans l'espace n'est pas plus que les conceptions précédentes confirmée par l'expérience : les choses que nous appelons les objets extérieurs ne sont que des phénomènes (1) en nous-mêmes, et l'espace n'est qu'une forme de notre faculté sensitive.

Ainsi s'évanouissent toutes les assertions de la psychologie rationnelle, et si l'on veut prouver la distinction de l'âme et du corps et l'immortalité de la première, il faut avoir recours, nom aux arguments spéculatifs, mais aux preuves morales, c'est-à-dire aux arguments pris de la vertu et des causes finales.

XXI.

Critique de la raison pure, I, p. 308 et suiv.

Examen d'un argument métaphysique du Phédon, reproduit par Mendelssohn. (Preuve de l'immortalité, par la simplicité de l'âme.)

Ce philosophe subtil (Mendelssohn) aperçut facilement qu'il y a un vice dans l'argument par lequel on démontre ordinairement que l'âme (si on accorde qu'elle est un être simple) ne peut périr par la décomposition, et qu'il ne démontre point nécessairement la permanence de l'âme, puisque l'on pourrait encore trouver la fin de son existence dans l'extinction. Il cherche donc, dans son Phedon, à prouver que l'âme est à l'abri de cette extinction, qui serait un véritable anéantissement, en essayant de démontrer qu'un être simple ne peut absolument périr, par la raison que, comme il ne peut pas être diminué, ni rien perdre insensiblement de son existence de manière à être enfin réduit à rien (puisqu'il ne renferme aucune partie et par conséquent aussi aucune multiplicité), il faudrait trouver un instant entre le moment où il est et celui où il ne serait plus; ce qui est impossible. Mais il ne faisait pas attention que, quand même nous accorderions à l'âme cette nature simple, comme ne contenant aucune diversité en dehors d'elle-même, par conséquent aucune quantité extérieure, on ne peut cependant pas plus lui refuser qu'à tout autre être existant.

1. C'est-à-dire des manières dont les choses nous apparaissent.

une quantité intensive, c'est-à-dire un degré de réalité par rapport à toutes ses facultés, et même en général à tout ce qui compose l'existence, degré qui peut décroître insensiblement jusqu'à l'infini, de telle sorte que la prétendue substance (la chose dont la permanence n'est pas assurée d'ailleurs) peut se réduire à rien, quoiqu'il n'y ait pas en elle décomposition, mais bien par une perte insensible de ses facultés (par conséquent par suite d'un dépérissement, s'il est permis d'employer cette expression); car la conscience elle-même a toujours un degré qui peut être diminué; par conséquent aussi la faculté d'être conscient de soi, et ainsi des autres facultés. La permanence de l'âme, comme objet du sens intime, reste donc à démontrer et même est indémontrable, quoique cette permanence dans la vie soit claire en elle-même, puisque l'être pensant (comme l'homme) est en même temps un objet des sens extérieurs; mais cela ne suffit point au psychologue rationnel, qui entreprend de prouver par les concepts seuls la permanence absolue au delà de la vie actuelle.

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Critique de la raison pure, I, p. 320 et suiv.

XXII. Preuve de l'immortalité, comme condition de notre perfectionnement indéfini.

La preuve purement spéculative d'une vie future n'a jamais exercé aucune influence sur le sens commun de l'humanité. Cette preuve ne repose que sur la pointe d'un cheveu, si bien que l'école elle-même n'a jamais pu la maintenir qu'en la faisant tourner sans fin sur elle-même comme une toupie, et qu'elle n'y saurait trouver une base solide sur laquelle on puisse élever quelque chose. Les preuves qui sont à l'usage du monde conservent au contraire toute leur valeur, et, séparées de toute espèce de prétention dogmatique, elles ne font que gagner en clarté et produire une conviction plus naturelle. Suivant l'analogie avec la nature des êtres vivants, pour lesquels la raison doit nécessairement admettre en principe qu'il n'y a pas un organe, pas une faculté, pas un penchant, rien enfin qui ne soit disposé pour un certain usage ou qui soit sans but, mais que tout au contraire est exactement proportionné à un but déterminé, suivant cette analogie, l'homme ne peut être la seule créature qui fasse exception au principe. Les dons de sa nature, non-seulement les qualités et les penchants qu'il a reçus pour en faire usage, mais surtout la loi morale qu'il porte en lui; ces dons sont tellement au-dessus

de l'utilité et des avantages qu'il peut en retirer dans cette vie, qu'il apprend de la loi morale même à estimer par-dessus tout la simple conscience de l'honnêteté des sentiments au préjudice de tous les biens et même de cette ombre qu'on appelle la gloire, et qu'il se sent intérieurement appelé à se rendre digne, par sa conduite et en foulant aux pieds tous les autres avantages, de devenir le citoyen d'un monde meilleur dont il a l'idée. Cette preuve puissante, irréfutable, si on y joint la connaissance qui s'étend sans cesse, et l'idée de l'immensité de la création, par conséquent aussi la conscience de la possibilité d'une certaine extension illimitée dans nos connaissances, ainsi que le penchant qui y correspond; cette preuve subsiste toujours, quand même on devrait renoncer à fonder sur la pure théorie la durée néces saire de notre existence.

Critique de la raison pure, trad. Tissot, t. II, p. 60.

XXIII.

Preuve de l'immortalité par la loi morale.

La réalisation du souverain bien dans le monde est l'objet né cessaire d'une volonté qui peut être déterminée par la loi morale. Mais la parfaite conformité des intentions de la volonté à la loi morale est la condition suprême du souverain bien. Elle doit donc être possible aussi bien que son objet, puisqu'elle est contenue dans l'ordre même qui prescrit de le réaliser.

Or la parfaite conformité de la volonté à la loi morale, ou la sainteté, est une perfection dont aucun être raisonnable n'est capable dans le monde sensible, à aucun moment de son existence. Et puisqu'elle n'en est pas moins exigée comme pratiquement nécessaire, il faut donc la chercher uniquement dans un progrès indéfiniment continu vers cette parfaite conformité; et, suivant les principes de la raison pure pratique, il est nécessaire d'admettre ce progrès pratique comme l'objet réel de notre volonté.

Or ce progrès indéfini n'est possible que dans la supposition d'une existence et d'une personnalité indéfiniment persistantes de l'être raisonnable (ou de ce qu'on nomme l'immortalité de l'âme). Donc le souverain bien n'est pratiquement possible que dans la supposition de l'immortalité de l'âme; par conséquent celle-ci, étant inséparablement liée à la loi morale, est un postulat de la raison pure pratique.

Critique de la raison pratique, trad. Barni, p. 328.

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L'ignorance des conditions de la vie future est nécessaire
au désintéressement.

La critique de la raison pure spéculative prouve l'extrême insuffisance de cette faculté pour résoudre, d'une manière conforme au but auquel nous devons tendre, les importants problèmes qui lui sont proposés. Il semble donc que la nature nous ait traités en marâtre, en rendant en nous insuffisante une faculté nécessaire à notre but.

Mais supposez qu'elle nous eût servis à notre souhait, et qu'elle nous eût donné en partage cette puissance d'esprit et ces lumières que nous voudrions bien posséder, ou dont quelques-uns se croient réellement en possession, qu'en résulterait-il, suivant toute apparence? A moins que toute notre nature ne fût changée en même temps, les penchants, qui ont toujours le premier mot, réclameraient d'abord leur satisfaction, et, éclairés par la réflexion, leur plus grande et leur plus durable satisfaction possible, ou ce qu'on appelle le bonheur; la loi morale parlerait ensuite, afin de retenir ces penchants dans les bornes convenables, et même afin de les soumettre tous à une fin plus élevée, indépendante elle-même de tout penchant. Mais, à la place de cette lutte que l'intention morale a maintenant à soutenir avec les penchants, et dans laquelle, après quelques défaites, l'âme acquiert peu à peu de la force morale, Dieu et l'éternité, avec leur majesté redoutable, seraient sans cesse devant nos yeux (car, ce que nous pouvons parfaitement prouver a pour nous une certitude égale à celle des choses dont nous pouvons nous assurer par nos yeux). Nous éviterions sans doute de transgresser la loi, nous ferions ce qui est ordonné; mais, comme l'intention d'après laquelle nous devons agir ne peut nous être inspirée par aucun ordre, tandis qu'ici l'aiguillon de notre activité serait devant nous, qu'il serait extérieur, et que, par conséquent, la raison ne chercherait plus seulement dans une vivante représentation de la dignité de la loi une force de résistance contre les penchants, la plupart des actions, extérieurement conformes à la loi, seraient dictées par la crainte, et presque aucune par le devoir, et elles perdraient cette valeur morale qui seule fait le prix de la personne et celui même du monde aux yeux de la suprême sagesse. La conduite de l'homme, tant que sa nature resterait comme elle est aujourd'hui, dégénérerait donc en un pur mécanisme, où, comme

EXT. GR. PHILOS.

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