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l'une la subalternité naturelle des travaux de l'autre, combinée cependant avec une inévitable supériorité de richessse, soit aussi par la répugnance instinctive de celle-ci pour l'abstraction caractéristique des recherches de la première et pour le juste orgueil qui l'anime.

Ces objections préliminaires étant écartées, rien n'empêche plus d'apercevoir d'abord, d'une manière directe, le lien fondamental qui unit spontanément, avec tant d'énergie, la puissance théologique et la puissance militaire, et qui, à une époque quelconque, a toujours été vivement senti et dignement respecté par tous les hommes d'une haute por tée qui ont réellement participé à l'une ou à l'autre, malgré l'entraînement des rivalités politiques. On conçoit, en effet, qu'aucun régime militaire ne saurait s'établir et surtout durer qu'en reposant préalablement sur une suffisante consécration théologique, sans laquelle la subordination qu'il exige ne pourrait être ni assez complète ni assez prolongée.

Chaque époque impose, à cet égard, par des voies spéciales, des exigences équivalentes à l'origine, où la restriction et la proximité du but ne prescrivent point une soumission d'esprit absolue, le peu d'énergie ordinaire de liens sociaux encore mparfaits ne permet point d'assurer un concours permanent autrement que par l'autorité religieuse dont les chefs de guerre se trouvent alors naturellement investis ; en des temps avancés, le but devient tellement vaste et lointain et la participation tellement indirecte que, malgré les habitudes de discipline déjà profondément contractées, la coopération continue resterait insuffisante et précaire si elle n'était garantie par de convenables convictions théologiques, déterminant spontanément, envers les supérieures militaires, une confiance aveugle et involontaire, d'ailleurs trop souvent confondue avec une abjecte servilité qui n'a jamais pu être qu'exceptionnelle. Sans cette intime corrélation à l'esprit théologique, il est évident que l'esprit militaire n'aurait jamais pu remplir la haute destination sociale qui lui était réservée pour l'ensemble de l'évolution humaine; aussi son principal ascendant n'a-t-il pu être pleinement réalisé que dans l'antiquité, où les deux pouvoirs se trouvaient nécessairement concentrés en général chez les mêmes chefs. Il importe d'ailleurs de noter qu'une autorité spirituelle quelconque n'aurait pu suffisamment convenir à la fondation et à la consolidation du gouvernement militaire, qui exigeait spécialement, par sa na

ture, l'indispensable concours de la philosophie théologique, et non d'aucune autre. Quels que soient, par exemple, les incontestables et éminents services que, dans les temps modernes, la philosophie naturelle a rendus à l'art de la guerre, l'esprit scientifique, par les habitudes de discussion rationnelle qu'il tend nécessairement à propager, n'en est pas moins naturellement incompatible avec l'esprit militaire: on sait assez, en effet, que cet assujettissement graduel d'un tel art aux prescriptions de la science reelle a toujours été amèrement déploré, par les guerriers les mieux caractérisés, comme constituant une décadence croissante du vrai régime militaire, à l'origine successive de chaque modification principale. L'affinité spéciale des pouvoirs temporels militaires pour les pouvoirs spirituels théologiques est donc ici, en principe, suffisamment expliquée.

On peut d'abord croire qu'une telle coordination est au fond moins indispensable, en sens inverse, à l'ascendant politique de l'esprit théologique, puisqu'il a existé des sociétés purement théocratiques, tandis qu'on n'en connaît aucune exclusivement militaire, quoique les sociétés anciennes aient dû presque toujours manifester à la fois l'une et l'autre nature, à des degrés plus ou moins également prononcés. Mais un examen plus approfondi fera constamment apercevoir l'efficacité nécessaire du régime militaire pour consolider et surtout pour étendre l'autorité théologique, ainsi développée par continuelle application politique, comme l'instinct sacerdotal l'a toujours radicalement senti...

Outre la mutuelle affinité radicale des deux éléments essentiels du système politique primitif, on peut voir que des répugnances et des sympathies communes, aussi bien que de semblables intérêts généraux, se réunissent nécessairement pour établir toujours une indispensable combinaison, non moins intime que spontanée, entre deux pouvoirs qui partout devaient concourir, dans l'ensemble de l'évolution humaine, à une même destination fondamentale, inévitable quoique provisoire...

Le dualisme fondamental de la politique moderne est, par sa nature, encore plus irrécusable que celui qui vient d'être caractérisé. Nous sommes aujourd'hui très-convenablement placés pour le mieux apprécier, précisément parce que les deux éléments ne sont pas encore investis de leur ascendant politique définitif, quoique déjà leur developpement social soit suffisamment prononcé. Quand la puissance scientifique et la puissance in

dustrielle auront pu acquérir ultérieurement tout l'essor politique qui leur est réservé, et que, par suite, leur rivalité radicale se sera pareillement prononcée, la philosophie trouvera peutêtre plus d'obstacles à leur faire reconnaître une similitude d'origine et de destination, une conformité de principes et d'intérêts, qui ne sauraient être gravement contestées, tant qu'une lutte commune contre l'ancien système politique doit spontané ment contenir d'inévitables divergences...

On ne saurait méconnaître, en général, la haute influence politique par laquelle l'essor graduel de l'industrie humaine doit naturellement seconder l'ascendant progressif de l'esprit scientifique...

Le passé politique de ces deux éléments fondamentaux du système moderne ayant dû, jusqu'ici, principalement consister dans leur commune substitution graduelle à la puissance sociale des éléments correspondants du système ancien, il faut bien que notre attention soit surtout fixée sur l'assistance nécessaire qu'ils se sont réciproquement fournie pour une telle opération préliminaire. Mais ce concours critique peut aisément faire entrevoir quelle force et quelle efficacité devront spontanément acquérir ces liens généraux, quand ce grand dualisme politique aura pu enfin recevoir le caractère directement organique qui lui manque essentiellement jusqu'ici, afin de diriger convenablement la réorganisation des sociétés modernes...

CHAPITRE DIXIÈME

La Philosophie anglaise contemporaine.

HAMILTON.

William Hamilton naquit à Glasgow en 1788. Il entra d'abord au barreau, et ne tarda pas à le quitter pour l'enseignement. Il occupa, de 1820 à 1836, la chaire de droit écossais, du droit civil et d'histoire générale à l'Université d'Edimbourg puis celle de logique et de métaphysique. On lui doit Discussions on philosophy and literature, (1852) traduits en partie sous le titre de Fragments de philosophie (par M. Peisse, 1841), recueil de dissertations. Il est mort en 1856.

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Il arrive quelquefois que nous voyons une idée s'élever immédiatement après une autre dans la conscience sans pouvoir ramener cette succession à une loi d'association. Or, en général, dans ces cas nous pouvons découvrir, par une observation attentive, que ces deux idées, bien que non associées entre elles, sont chacune associées à certaines autres idées ; de sorte que la série aurait été régulière, si ces idées intermédiaires avaient pris dans la conscience leur place entre les deux idées qui ne sont pas immédiatement associées. Supposez, par exemple, trois idées A, B, C; supposez que les idées A et C ne peuvent se suggérer l'une l'autre immédiatement, mais que l'une et l'autre sont associées à l'idée B, en sorte que A suggère naturellement B, et B naturellement C. Or, il peut arriver que nous ayons conscience de A, et immédiatement après de C. Comment expliquer cette anomalie ? on ne le peut que par le principe des modifications latentes. A suggère C, non pas immédiatement, mais par l'intermédiaire de B; mais comme B, de même que la moitié du minimum visible et du minimum audibile, ne se présente pas dans la

conscience, nous pouvons le considérer comme non existant. Il y a un fait de mécanique que vous connaissez probablement. Si des billes de billard sont placées en ligne droite, se touchant l'une l'autre, et si l'on pousse une bille contre celle qui forme la tête de la ligne, qu'arrive-t-il ? le mouvement de la bille ne se divise pas dans la rangée des billes; l'effet auquel nous aurions pu nous attendre à priori n'arrive pas, mais l'impulsion se transmet à travers les billes intermédiaires, qui restent chacune en place, à la bille située à l'autre bout de la ligne, et cette bille seule suit l'impulsion. Il semble qu'il se passe souvent quelque chose de semblable dans le cours de la pensée. Une idée suggère immédiatement une autre idée dans la conscience. La suggestion agit à travers une ou plusieurs idées qui ne se présentent pas elles-mêmes dans la conscience. Les idées qui éveillent et celles qui sont éveillées correspondent à la bille qui frappe et à celle que le mouvement détache de la file; tandis que les idées intermédiaires dont nous n'avons pas conscience, mais qui effectuent la suggestion, ressemblent aux billes intermédiaires qui restent immobiles tout en transmettant le mouvement. Il me vient à l'esprit un cas dont j'ai été récemment frappé. Je pensais au Ben Lomond, cette pensée fut immédiatement suivie de la pensée du système d'éducation prussien. Or, il n'y avait pas moyen de concevoir une connexion en ces deux idées en elles-mêmes. Cependant un peu de réflexion m'expliqua l'anomalie. La dernière fois que j'avais fait l'ascension de cette montagne, j'avais rencontré à sou sommet un Allemand, et bien que je n'eusse pas conscience des termes intermédiaires entre Ben Lomond et les écoles de Prusse, ces termes étaient indubitablement Allemand Allemagne, Prusse, et je n'eus qu'à les rétablir pour rendre évidente la connexion des extrêmes.

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HAMILTON, Lectures on Métaphysics, I, 352.

L'idée de cause et le principe de causalité.

Quand nous apprenons, qu'une chose commence à exister, nous sommes contraints par les lois de notre intelligence à croire qu'elle a une cause. Mais que veut dire cette expression: avoir une cause? Si nous analysons notre pensée, nous trouverons que cela signifie simplement que, puisque nous ne pouvons pas concevoir le commencement d'une nouvelle existence, il faut que tout ce qu'on voit apparaître ait existé auparavant sous une

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