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aimera mieux qu'un faussaire soit prophète, qu'Isaïe ou que Jérémie, ou que Daniel; ou bien chaque siècle aura porté un faussaire heureux, que tout le peuple en aura cru, et de nouveaux imposteurs, par un zèle admirable de religion, auront sans cesse ajouté aux Livres divins, après même que le canon en aura été clos, qu'ils se seront répandus avec les Juifs par toute la terre, et qu'on les aura traduits en tant de langues étrangères. N'eût-ce pas été, à force de vouloir établir la religion, la détruire par les fondements? Tout un peuple laisse-t-il donc changer si facilement ce qu'il croit être divin, soit qu'il le croie par raison ou par erreur? Quelqu'un peut-il espérer de persuader aux chrétiens, ou même aux Turcs, d'ajouter un seul chapitre ou à l'Evangile, ou à l'Alcoran ? Mais peut-être que les Juifs étaient plus dociles que les autres peuples, ou qu'ils étaient moins religieux à conserver leurs saints Livres. Quels monstres d'opinions se faut-il mettre dans l'esprit, quand on veut secouer le joug de l'autorité divine, et ne régler ses sentiments, non plus que ses mœurs, que par sa raison égarée!

CHAPITRE XXVIII.

Les difficultés qu'on forme contre l'Ecriture sont aisées à vaincre par les hommes de bon sens et de bonne foi.

Qu'on ne dise pas que la discussion de ces faits est embarrassante: car, quand elle le serait, il faudrait ou s'en rapporter à l'autorité de l'Eglise et à la tradition de tant de siècles, ou pousser l'examen jusqu'au bout, et ne pas croire qu'on en fût quitte pour dire qu'il demande plus de temps qu'on n'en veut donner à son salut. Mais au fond, sans remuer avec un travail infini les livres des deux Testaments, il ne faut que lire le livre des Psaumes, où sont recueillis tant d'anciens cantiques du peuple de Dieu, pour y voir, dans la plus divine poésie qui fut jamais, des monuments immortels de l'histoire de Moïse, de celle

des juges, de celle des rois, imprimés par le chant et par la mesure dans la mémoire des hommes. Et pour le Nouveau-Testament, les seules Epîtres de saint Paul, si vives, si originales, si fort du temps, des affaires et des mouvements qui étaient alors, et enfin d'un caractère si marqué; ces Epîtres, dis-je, reçues par les Eglises auxquelles elles étaient adressées, et de là communiquées aux autres églises, suffiraient pour convaincre les esprits bien faits, que tout est sincère et original dans les Ecritures que les apôtres nous ont laissées.

Aussi se soutiennent-elles les unes les autres avec une force invincible. Les Actes des apôtres ne font que continuer l'Evangile; leurs Epitres le supposent nécessairement: mais afin que tout soit d'accord, et les Actes, et les Epîtres, et les Evangiles réclament partout les anciens livres des Juifs (1). Saint Paul et les autres apôtres ne cessent d'alléguer ce que Moïse a dit, ce qu'il a écrit (2), ce que les prophètes ont dit et écrit après Moïse. JésusChrist appelle en témoignage la loi de Moïse, les prophètes et les Psaumes (3), comme des témoins qui déposent tous de la même vérité. S'il veut expliquer ses mystères, il commence par Moïse et par les prophètes (4); et quand il dit aux Juifs que Moïse a écrit de lui (5), il pose pour fondement ce qu'il y avait de plus constant parmi eux, et les ramène à la source même de leurs traditions.

Voyons néanmoins ce qu'on oppose à une autorité si reconnue, et au consentement de tant de siècles: car > puisque de nos jours on a bien osé publier en toutes sortes de langues des livres contre l'Ecriture, il ne faut point dissimuler ce qu'on dit pour décrier ses antiquités. Que dit-on donc pour autoriser la supposition du Pentateuque et que peut-on objecter à une tradition de trois mille ans. soutenue par sa propre force et par la suite des choses Rien de suivi, rien de positif, rien d'important: des chicanes sur des nombres, sur des lieux, ou sur des noms;

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(1) Act. III, 22, VII, 22, etc. — (2) Rom. x, 5, 19. — (3) Luc. XXIV, (4) Ibid. 27. · (5) Joan. v, 46, 47.

et de telles observations, qui, dans toute autre matière, ne passeraient tout au plus que pour de vaines curiosités, incapables de donner atteinte au fond des choses, nous sont ici alléguées comme faisant la décision de l'affaire la plus sérieuse qui fût jamais.

Il y a, dit-on, des difficultés dans l'histoire de l'Ecriture. Il y en a sans doute qui n'y seraient pas si le livre était moins ancien, ou s'il avait été supposé, comme on l'ose dire, par un homme habile et industrieux; si l'on eût été moins religieux à le donner tel qu'on le trouvait, et qu'on eût pris la liberté d'y corriger ce qui faisait de la peine. Il y a les difficultés que fait un long temps, lorsque les lieux ont changé de nom ou d'état, lorsque les dates sont oubliées, lorsque les généalogies ne sont plus connues, qu'il n'y a plus de remède aux fautes qu'une copie tant soit peu négligée introduit si aisément en de telles choses, ou que des faits échappés à la mémoire des hommes laissent de l'obscurité dans quelque partie de l'histoire. Mais enfin cette obscurité est-elle dans la suite même, ou dans le fond de l'affaire? Nullement: tout y est suivi; et ce qui reste d'obscur ne sert qu'à faire voir dans les Livres saints une antiquité plus vénérable.

Mais il y a des altérations dans le texte : les anciennes versions ne s'accordent pas; l'hébreu en divers endroits est différent de lui-même, et le texte des Samaritains, outre le mot qu'on les accuse d'y avoir changé exprès (1) en faveur de leur temple de Garizim, diffère encore en d'autres endroits de celui des Juifs. Et de là que conclura-t-on ? que les Juifs ou Esdras auront supposé le Pentateuque au retour de la captivité ? C'est justement tout le contraire qu'il faudrait conclure. Les différences du Samaritain ne servent qu'à confirmer ce que nous avons déjà établi, que leur texte est indépendant de celui des Juifs. Loin qu'on puisse s'imaginer que ces schismatiques aient pris quelque chose des Juifs et d'Esdras, nous avons vu, au contraire, que c'est en haine des Juifs et d'Esdras,

(1) Deut. XXVII, 4.

et en haine du premier et du second temple, qu'ils ont inventé leur chimère de Garizim. Qui ne voit donc qu'ils auraient plutôt accusé les impostures des Juifs que de les suivre ? Ces rebelles, qui ont méprisé Esdras et tous les prophètes des Juifs avec leur temple et Salomon qui l'avait bâti, aussi-bien que David qui en avait désigné le lieu, qu'ont-ils respecté dans leur Pentateuque, sinon une antiquité supérieure non-seulement à celle d'Esdras et des prophètes, mais encore à celle de Salomon et de David, en un mot, l'antiquité de Moïse dont les deux peuples conviennent? Combien donc est incontestable l'autorité de Moïse et du Pentateuque, que toutes les objections ne font qu'affermir!

Mais d'où viennent ces variétés des textes et des versions? D'où viennent-elles en effet, sinon de l'antiquité du livre même, qui a passé par les mains de tant de copistes depuis tant de siècles, que la langue dans laquelle il est écrit a cessé d'être commune? Mais laissons les vaines disputes, et tranchons en un mot la difficulté par le fond. Qu'on me dise s'il n'est pas constant que de toutes les versions, et de tout le texte quel qu'il soit, il en reviendra toujours les mêmes lois, les mêmes miracles, les mêmes prédictions, la même suite d'histoire, le même corps de doctrine, et enfin la même substance. En quoi nuisent après cela les diversités des textes? Que nous fallait-il davantage que ce fond inaltérable des Livres sacrés, et que pouvions-nous demander de plus à la divine Providence? Et pour ce qui est des versions, est-ce une marque de supposition ou de nouveauté, que la langue de l'Ecriture soit si ancienne qu'on en ait perdu les délicatesses, et qu'on se trouve empêché à en rendre toute l'élégance et toute la force dans la dernière rigueur ? N'estce pas plutôt une preuve de la plus grande antiquité? Et si on veut s'attacher aux petites choses, qu'on me dise si, de tant d'endroits où il y a de l'embarras, on en a jamais rétabli un seul par raisonnement ou par conjecture. On a suivi la foi des exemplaires; et comme la tradition n'a jamais permis que la saine doctrine pût être altérée,

on a cru que les autres fautes, s'il y en restait, ne serviraient qu'à prouver qu'on n'a rien ici innové par son propre esprit.

Mais enfin, et voici le fort de l'objection, n'y a-t-il pas des choses ajoutées dans le texte de Moïse, et d'où vient qu'on trouve sa mort à la fin du livre qu'on lui attribue? Quelle merveille que ceux qui ont continué son histoire aient ajouté sa fin bienheureuse au reste de ses actions, afin de faire du tout un même corps? Pour les autres additions, voyons ce que c'est. Est-ce quelque loi nouvelle, ou quelque nouvelle cérémonie, quelque dogme, quelque miracle, quelque prédiction? On n'y songe seulement pas; il n'y en a pas le moindre soupçon ni le moindre indice; c'eût été ajouter à l'œuvre de Dieu : la loi l'avait défendu (1), et le scandale qu'on eût causé eût été horrible. Quoi donc? on aura continué peut-être une généalogie commencée; on aura peut-être expliqué un nom de ville changé par le temps; à l'occasion de la manne dont le peuple a été nourri durant quarante ans, on aura marqué le temps où cessa cette nourriture céleste: et ce fait, écrit depuis dans un autre livre (2), sera demeuré par remarqué dans celui de Moïse (3), comme un fait constant et public dont tout le peuple était témoin. Quatre ou cinq remarques de cette nature faites par Josué ou par Samuel, ou par quelque autre prophète d'une pareille antiquité, parce qu'elles ne regardaient que des faits notoires, et où constamment il n'y avait point de difficulté, auront naturellement passé dans le texte; et la même tradition nous les aura apportées avec tout le reste : aussitôt tout sera perdu; Esdras sera accusé, quoique le Samaritain, où ces remarques se trouvent, nous montre qu'elles ont une antiquité non-seulement au-dessus d'Esdras, mais encore au-dessus du schisme des dix tribus! N'importe, il faut que tout retombe sur Esdras. Si ces remarques venaient de plus haut, le Pentateuque serait

(1) Deut. IV, 2, XII, 32. Voy. ci-dessus, IIe part. p. 157. — (2) Jos. V, 12. (5) Exod. XVI,

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