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Voltaire writes him about the terrible earthquake at Lisbon, which took place on November 1, 1755, and destroyed the greater part of the city. A tidal wave followed and wrecked the shipping in the river Tagus. Next, fire broke out and completed the work of destruction. Between 30,000 and 40,000 people are said to have lost their lives, and the property damage has been estimated at about $100,000,000.

Voilà, monsieur, une physique bien cruelle. On sera bien embarrassé à deviner comment les lois du mouvement opèrent des désastres si effroyables dans le meilleur des mondes possibles; 19 cent mille fourmis, notre prochain, écrasées tout d'un coup dans notre fourmilière, et la moitié périssant sans doute dans des angoisses inexprimables, au milieu des débris dont on ne peut les tirer, des familles ruinées aux bouts de l'Europe, la fortune de cent commerçants de votre patrie abimée dans les ruines de Lisbonne. Quel triste jeu de hasard que le jeu de la vie humaine! Que diront les prédicateurs, surtout si le palais de l'Inquisition est resté debout? Je me flatte qu'au moins les révérends pères inquisiteurs auront été écrasés comme les autres. Cela devrait apprendre aux hommes à ne point persécuter les hommes: car, tandis que quelques sacrés coquins brûlent quelques fanatiques, la terre engloutit les uns et les autres. Je crois que nos montagnes nous sauvent des tremblements de terre.

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The Lisbon catastrophe was the occasion of Voltaire's poem, but it is not probable that this disaster alone was the cause of the abandonment of Optimism evident here and in the novel Candide (1759).

19 Allusion to a much quoted phrase of the followers of the optimistic philosophy of Leibnitz and of Pope. Voltaire ridicules it with telling effect in Candide.

Since the Discours sur l'Homme (1738) and the novel Zadig (1747),20 an increase in pessimism, as M. Morize has pointed out, 21 may be noted in Voltaire even before the earthquake. Micromégas, which closes with a blank page instead of an explanation of the riddle of the universe, suggests that the facile explanations of Pope and Leibnitz no longer completely satisfy. The death of Mme du Châtelet in 1749, the bitter disillusionment due to the quarrel and break with Frederick, the increasing age of Voltaire himself, these are three factors to be reckoned with in explaining his change of viewpoint. The disaster at Lisbon appears as the climax, the occasion, which seals the change, rather than the first cause of it. In any case it marks a significant moment in Voltaire's career and stands therefore at a turning point in his thought. It was the occasion also for a break with his former admirer and friend, now shortly to be his greatest rival, Jean-Jacques Rousseau, who objected to Voltaire's poem as an attack upon Providence as well as upon the Optimism of Pope. The result was an exchange of letters, which marked the close of their friendly relations, and this was followed in 1759 by the appearance of Candide, which Rousseau always considered the satirical reply of Voltaire to the defense of Providence made by the great Genevan in his letter.22

PRÉFACE

Si jamais la question du mal physique a mérité l'attention de tous les hommes, c'est dans ces événements funestes qui nous rappellent à la contemplation de notre faible nature; comme les pestes générales qui ont enlevé le quart des hommes dans le monde connu, le tremblement de terre qui engloutit quatre cent mille personnes à la Chine en 1699, celui de Lima et de Collao, et en dernier lieu celui du Portugal, et du royaume de Fez. L'axiome Tout est bien paraît un peu étrange à ceux qui sont les témoins de ces désastres. Tout est arrangé, tout est ordonné, sans doute, par la Providence; mais il n'est que trop sensible que tout, depuis longtemps, n'est pas arrangé pour notre bien-être présent.

20 It should not be forgotten that some parts of Zadig were not added until many years later.

21 A. Morize, Candide, édition critique (1913), pp. xxxix-xl. M. Morize notes the pessimism of the Essai sur les Mœurs (1753-56).

22 Cf. Rousseau, Confessions (Hachette), VIII, 307-08, 387-89; Correspondance (Hachette), X, 122-34.

Lorsque l'illustre Pope donna son Essai sur l'homme, et qu'il développa dans ses vers immortels les systèmes de Leibnitz, du lord Shaftesbury, et du lord Bolingbroke, une foule de théologiens de toutes les communions attaqua ce système. On se révoltait contre cet axiome nouveau, que tout est bien, que l'homme jouit de la seule mesure du bonheur dont son être soit susceptible, etc. Il y a toujours un sens dans lequel on peut condamner un écrit, et un sens dans lequel on peut l'approuver. Il serait bien plus raisonnable de ne faire attention qu'aux beautés utiles d'un ouvrage, et de n'y point chercher un sens odieux: mais c'est une des imperfections de notre nature, d'interpréter malignement tout ce qui peut être interprété, et de vouloir décrier tout ce qui a eu du succès.

On crut donc voir dans cette proposition, Tout est bien, le renversement du fondement des idées reçues. "Si tout est bien, disait-on, il est donc faux que la nature humaine soit déchue. Si l'ordre général exige que tout soit comme il est, la nature humaine n'a donc pas été corrompue; elle n'a donc pas eu besoin de rédempteur. Si ce monde, tel qu'il est, est le meilleur des mondes possibles, on ne peut donc pas espérer un avenir plus heureux. Si tous les maux dont nous sommes accablés sont un bien général, toutes les nations policées ont donc eu tort de rechercher l'origine du mal physique et du mal moral. Si un homme mangé par les bêtes féroces fait le bien-être de ces bêtes et contribue à l'ordre du monde, si les malheurs de tous les particuliers ne sont que la suite de cet ordre général et nécessaire, nous ne sommes donc que des roues qui servent à faire jouer la grande machine; nous ne sommes pas plus précieux aux yeux de Dieu que les animaux qui nous dévorent."

Voilà les conclusions qu'on tirait du poème de M. Pope; et ces conclusions mêmes augmentaient encore la célébrité et le succès de l'ouvrage. Mais on devait l'envisager sous un autre

aspect: il fallait considérer le respect pour la Divinité, la résignation qu'on doit à ses ordres suprêmes, la saine morale, la tolérance, qui sont l'âme de cet excellent écrit. C'est ce que le public a fait; et l'ouvrage, ayant été traduit par des hommes dignes de le traduire, a triomphé d'autant plus des critiques qu'elles roulaient sur des matières plus délicates.

C'est le propre des censures violentes d'accréditer les opinions qu'elles attaquent. On crie contre un livre parce qu'il réussit, on lui impute des erreurs: qu'arrive-t-il? les hommes, revoltés contre ces cris, prennent pour des vérités les erreurs mêmes que ces critiques ont cru apercevoir. La censure élève des fantômes pour les combattre, et les lecteurs indignés embrassent ces fantômes.

Les critiques ont dit: "Leibnitz, Pope, enseignent le fatalisme"; et les partisans de Leibnitz et de Pope ont dit: "Si Leibnitz et Pope enseignent le fatalisme, ils ont donc raison, et c'est à cette fatalité invincible qu'il faut croire."

Pope avait dit Tout est bien en un sens qui était très recevable; et ils le disent aujourd'hui en un sens qui peut être combattu.

L'auteur du poème sur le Désastre de Lisbonne ne combat point l'illustre Pope, qu'il a toujours admiré et aimé; il pense comme lui sur presque tous les points: mais, pénétré des malheurs des hommes, il s'élève contre les abus qu'on peut faire de cet ancien axiome, Tout est bien. Il adopte cette triste et plus ancienne vérité reconnue de tous les hommes, qu'il y a du mal sur la terre; il avoue que le mot Tout est bien, pris dans un sens absolu et sans l'espérance d'un avenir, n'est qu'une insulte aux douleurs de notre vie.

Si, lorsque Lisbonne, Méquinez, Tétuan, et tant d'autres villes, furent englouties avec un si grand nombre de leurs habitants au mois de novembre, 1755, des philosophes avaient crié aux malheureux qui échappaient à peine des ruines: "Tout est bien; les héritiers des morts augmenteront leurs

fortunes; les maçons gagneront de l'argent à rebâtir des maisons; les bêtes se nourriront des cadavres enterrés dans les débris: c'est l'effet nécessaire des causes nécessaires; votre mal particulier n'est rien, vous contribuez au bien général"; un tel discours certainement eût été aussi cruel que le tremblement de terre a été funeste. Et voilà ce que dit l'auteur du poème sur le Désastre de Lisbonne.

Il avoue donc avec toute la terre qu'il y a du mal sur la terre, ainsi que du bien; il avoue qu'aucun philosophe n'a pu jamais expliquer l'origine du mal moral et du mal physique; il avoue que Bayle,23 le plus grand dialectitien qui ait jamais écrit, n'a fait qu'apprendre à douter, et qu'il se combat lui-même; il avoue qu'il y a autant de faiblesse dans les lumières de l'homme que de misères dans sa vie. Il expose tous les systèmes en peu de mots. Il dit que la révélation seule peut dénouer ce grand nœud, que tous les philosophes ont embrouillé; il dit que l'espérance d'un développement de notre être, dans un nouvel ordre de choses, peut seule consoler des malheurs présents, et que la bonté de la Providence est le seul asile auquel l'homme puisse recourir dans les ténèbres de sa raison, et dans les calamités de sa nature faible et mortelle.

P. S. Il est toujours malheureusement nécessaire d'avertir qu'il faut distinguer les objections que se fait un auteur de ses réponses aux objections, et ne pas prendre ce qu'il réfute pour ce qu'il adopte.

O malheureux mortels! ô terre déplorable!

O de tous les mortels assemblage effroyable!
D'inutiles douleurs éternel entretien !

Philosophes trompés qui criez: "Tout est bien";

23 Pierre Bayle (1647-1706), 'author of a Dictionnaire historique et critique, 1697, which was an arsenal of rational and skeptical thought drawn upon liberally by all the leaders of the eighteenth century.

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