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bien su qu'un champignon est l'ouvrage d'une sagesse infinie aussi bien que tous les mondes; alors ceux qui pensent ont adoré, là où leurs devanciers avaient blasphémé. Les physiciens sont devenus les hérauts de la Providence: un catéchiste annonce Dieu à des enfants, et un Newton le démontre aux sages.

Bien des gens demandent si le théisme, considéré à part, et sans aucune autre cérémonie religieuse, est en effet une religion? La réponse est aisée: celui qui ne reconnaît qu'un Dieu créateur, celui qui ne considère en Dieu qu'un être infiniment puissant, et qui ne voit dans ses créatures que des machines admirables, n'est pas plus religieux envers lui qu'un Européen qui admirerait le roi de la Chine n'est pour cela sujet de ce prince. Mais celui qui pense que Dieu a daigné mettre un rapport entre lui et les hommes, qu'il les a faits libres, capables du bien et du mal, et qu'il leur a donné à tous ce bon sens qui est l'instinct de l'homme, et sur lequel est fondée la loi naturelle, celui-là sans doute a une religion, et une religion beaucoup meilleure que toutes les sectes qui sont hors de notre Église: car toutes ces sectes sont fausses, et la loi naturelle est vraie. Notre religion révélée n'est même et ne pouvait être que cette loi naturelle perfectionnée. Ainsi le théisme est le bon sens qui n'est pas encore instruit de la révélation, et les autres religions sont le bon sens perverti par la superstition.

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Toutes les sectes sont différentes, parce qu'elles viennent des hommes; la morale est partout la même, parce qu'elle vient de Dieu.

On demande pourquoi, de cinq ou six cents sectes, il n'y en a guère eu qui n'aient fait répandre du sang, et que les théistes, qui sont partout si nombreux, n'ont jamais causé le moindre

23 Here and in the following sentence, Voltaire prudently pays his respects to revelation and to the orthodox Church in a way which most eighteenth-century writers found necessary at one time or another, in order not to be too much molested by the established powers.

tumulte? C'est que ce sont des philosophes. Or des philosophes peuvent faire de mauvais raisonnements, mais ils ne font jamais d'intrigues. Aussi ceux qui persécutent un philosophe, sous prétexte que ses opinions peuvent être dangereuses au public, sont aussi absurdes que ceux qui craindraient que l'étude de l'algèbre ne fît enchérir le pain au marché; il faut plaindre un être pensant qui s'égare; le persécuter est insensé et horrible.24 Nous sommes tous frères; si quelqu'un de mes frères, plein du respect et de l'amour filial, animé de la charité la plus fraternelle, ne salue pas notre père commun avec les mêmes cérémonies que moi, dois-je l'égorger et lui arracher le cœur?

Qu'est-ce qu'un vrai théiste? C'est celui qui dit à Dieu: Je vous adore, et je vous sers; c'est celui qui dit au Turc, au Chinois, à l'Indien, et au Russe: Je vous aime.25

(Moland, XX, 505-507.)

THÉISTE 20

Le théiste est un homme fermement persuadé de l'existence d'un Être suprême aussi bon que puissant, qui a formé tous les êtres étendus, végétants, sentants, et réfléchissants; qui perpétue leur espèce, qui punit sans cruauté les crimes, et récompense avec bonté les actions vertueuses.

Le théiste ne sait pas comment Dieu punit, comment il favorise, comment il pardonne: car il n'est pas assez téméraire pour se flatter de connaître comment Dieu agit; mais il sait

24 Voltaire doubtless is over-optimistic about the tolerance of the philosophic party to which he belonged. His own antipathy to Rousseau in later years is well known, and it manifested itself by pamphlets and attacks which amounted to persecution. Liberals may be just as intolerant of conservatives, as conservatives of liberals. Sainte-Beuve relates how a meeting in behalf of tolerance during the first half of the nineteenth century broke up in a fight. Human weaknesses are not easily vanquished by reason.

25 Voltaire but restates once again the Golden Rule. This paragraph was not added till 1756.

26 1765.

que Dieu agit, et qu'il est juste. Les difficultés contre la Providence ne l'ébranlent point dans sa foi, parce qu'elles ne sont que de grandes difficultés, et non pas des preuves; il est soumis à cette Providence, quoiqu'il n'en aperçoive que quelques effets et quelques dehors; et, jugeant des choses qu'il ne voit pas par les choses qu'il voit, il pense que cette Providence s'étend dans tous les lieux et dans tous les siècles.

Réuni dans ce principe avec le reste de l'univers, il n'embrasse aucune des sectes qui toutes se contredisent. Sa religion est la plus ancienne et la plus étendue: car l'adoration simple d'un Dieu a précédé tous les systèmes du monde. parle une langue que tous les peuples entendent, pendant qu'ils ne s'entendent pas entre eux. Il a des frères depuis Pékin jusqu'à la Cayenne, et il compte tous les sages pour ses frères. Il croit que la religion ne consiste ni dans les opinions d'une métaphysique inintelligible, ni dans de vains appareils, mais dans l'adoration et dans la justice. Faire le bien, voilà son culte; être soumis à Dieu, voilà sa doctrine. Le mahométan lui crie: "Prends garde à toi, si tu ne fait pas le pèlerinage de la Mecque!-Malheur à toi, lui dit un récollet," si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame de Lorette." 28 Il rit de Lorette et de la Mecque; mais il secourt l'indigent et il défend l'opprimé.

(Moland, XX, 507–508.)

A M. DAMILAVILLE

Au château de Ferney, ler mars (1765). Damilaville (1721-1768) was one of the minor writers of the eighteenth century and an intimate friend of Voltaire, Diderot, D'Alembert, and other members of the philosophic party. During the latter part

27 Un récollet. Nom de religieux réformés de l'ordre de SaintFrançois, ainsi nommés de ce que, par esprit de récollection, ils demandèrent au pape Clément VII, en 1531, la permission de se retirer dans des couvents particuliers, pour y observer à la lettre la règle de leur patriarche. (Littré)

28 Loreto, celebrated place of pilgrimage in the province of Ancona near the east or Adriatic coast of Italy.

of Voltaire's life, while he was waging his hottest fight against superstition and intolerance, the two men were in very close correspondence in regard to the progress and the plans of the campaign. Perhaps there is no one to whom Voltaire writes more frequently at this time. The following long letter is given because of the details on the cases of Calas, on account of whom the Traité sur la tolérance was written, and of Sirven, 29 whom the Parlement de Toulouse-the same that had condemned Calas-had sentenced to death in 1764 on a charge of having killed his daughter to prevent her from changing from Protestantism to Catholicism. Sirven had escaped by flight and thus saved his life. Voltaire, after five years of effort, at length secured his vindication also.

J'ai dévoré, mon cher ami, le nouveau Mémoire de M. de Beaumont 30 sur l'innocence des Calas; je l'ai admiré, j'ai répandu des larmes, mais il ne m'a rien appris; il y a longtemps que j'étais convaincu; et j'avais eu le bonheur de fournir les premières preuves.

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Vous voulez savoir comment cette réclamation de toute l'Europe contre le meurtre juridique du malheureux Calas, roué à Toulouse, a pu venir d'un petit coin de terre ignoré, 31 entre les Alpes et le mont Jura, à cent lieues du théâtre où se passa cette scène épouvantable.

Rien ne fera peut-être mieux voir la chaîne insensible qui lie tous les événements de ce malheureux monde.

Sur la fin de mars 1762, un voyageur qui avait passé par le Languedoc,32 et qui vint dans ma retraite à deux lieues de Genève, m'apprit le supplice de Calas, et m'assura qu'il était innocent. Je lui répondis que son crime n'était pas vraisemblable, mais qu'il était moins vraisemblable encore que des juges eussent, sans aucun intérêt, fait périr un innocent par le supplice de la roue.

J'appris le lendemain qu'un des enfants de ce malheureux

29 Sirven, pronounced as though ending in -in.

30 Beaumont, a lawyer and member of the Parlement de Paris, who defended the Calas family in the second trial, in which they were vindicated.

31 That is, from Ferney, Voltaire's final home.

32 Languedoc, the name of an ancient province of France bordering upon the Mediterranean and west of the Rhone. Its capital was Toulouse.

père s'était réfugié en Suisse, assez près de ma chaumière. Sa fuite me fit présumer que la famille était coupable. Cependant je fis réflexion que le père avait été condamné au supplice comme ayant seul assassiné son fils pour la religion, et que ce père était mort âgé de soixante-neuf ans. Je ne me souviens pas d'avoir jamais lu qu'aucun vieillard eût été possédé d'un si horrible fanatisme. J'avais toujours remarqué que cette rage n'attaquait d'ordinaire que la jeunesse, dont l'imagination ardente, tumultueuse, et faible, s'enflamme par la superstition. Les fanatiques des Cévennes 33 étaient des fous de vingt à trente ans, stylés à prophétiser dès l'enfance. Presque tous les convulsionnaires 34 que j'avais vus à Paris en très grand nombre étaient de petites filles et de jeunes garçons. Les vieillards chez les moines sont moins emportés, et moins susceptibles des fureurs du zèle que ceux qui sortent du noviciat. Les fameux assassins, armés par le fanatisme, ont tous été de jeunes gens, de même que tous ceux qui ont prétendu être possédés; jamais on n'a vu exorciser un vieillard. Cette idée me fit douter d'un crime qui d'ailleurs n'est guère dans la nature. J'en ignorais les circonstances.

Je fis venir le jeune Calas chez moi. Je m'attendais à voir un énergumène tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant simple, ingénu, de la physionomie la plus douce et la plus intéressante, et qui, en me parlant, faisait des efforts inutiles pour retenir ses larmes. Il me dit qu'il était à Nîmes en apprentissage chez un fabricant, lorsque la voix publique lui avait appris qu'on allait condamner dans Toulouse toute sa famille au supplice; que presque tout le Languedoc la croyait coupable, et que, pour se dérober à des opprobres si affreux, il était venu se cacher en Suisse.

Je lui demandai si son père et sa mère étaient d'un carac

33 Cf. supra, p. 350, n.

34 Convulsionnaires, Jansenist fanatics of the eighteenth century, who went into convulsions during their religious fervor.

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