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Il paraissait âgé de plus de soixante ans, quoiqu'il

en eût environ cinquante.

(LA RECHERCHE DE L'ABSOLU.)

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JÉSUS-CHRIST EN FLANDRE.

A MARCELINE DESBORDES-VALMORE,

A vous, fille de la Flandre, et qui en etcs une aes gloires modernes, cette naive irudition des Flandres.

DE BALZAG.

A une époque assez indéterminée de l'histoire brabançonne, les relations entre l'île de Cadzant et les côtes de la Flandre étaient entretenues par une barque destinée au passage des voyageurs. Capitale de l'île, Midelbourg, plus tard si célèbre dans les annales du protestantisme, comptait à peine deux ou trois cents feux. La riche Ostende était un havre inconnu, flanqué d'une bourgade chétivement peuplée par quelques pêcheurs, par de pauvres négociants et par des corsaires impunis. Néanmoins le bourg d'Ostende, composé d'une vingtaine de maisons et de trois cents cabanes, chaumines ou taudis construits avec des débris de navires naufragés jouissait d'un gouverneur, d'une milice, de fourches patibulaires, d'un couvent, d'un bourgmestre, enfin de tous les organes d'une civilisation avancée. Qui régnait alors en Brabant, en Flandre, en Belgique? Sur ce point, la tradition est muette. Avouons-le? cette histoire se ressent étrangement du vague, de l'incertitude, du merveilleux que les orateurs favoris des veillées flamandes se sont amusés maintes fois à répandre dans leurs gloses aussi diverses de poésie que contradictoires par les détails. Dite d'âge en âge, répétée de foyer en foyer par les aïeules, par les conteurs de jour et de nuit, cette chronique a reçu de chaque siècle une teinte diffé

COM. HUM. T. XIV.

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rente. Semblable à ces monuments arrangés suivant le caprice des architectures de chaque époque, mais dont les masses noires et frustes plaisent aux poètes, elle ferait le désespoir des commentateurs, des éplucheurs de mots, de faits et de dates. Le rarrateur y croit, comme tous les esprits superstitieux de la Flandre y ont cru, sans en être ni plus doctes ni plus infirmes. Seulement, dans l'impossibilité de mettre en harmonie toutes les versions, voici le fait dépouillé peut-être de sa naïveté romanesque impossible à reproduire, mais avec ses hardiesses que l'histoire désavoue, avec sa moralité que la religion approuve, son fantastique, fleur d'imagination, son sens caché dont peut s'accommoder le sage. A chacun sa pâture et le soin de trier le bon grain de l'ivraie.

La barque qui servait à passer les voyageurs de l'île de Cadzant à Ostende allait quitter le village. Avant de détacher la chaîne de fer qui retenait sa chaloupe à une pierre de la petite jetée où l'on s'embarquait, le patron donna du cor à plusieurs reprises, afin d'appeler les retardataires, car ce voyage était son dernier. La nuit approchait, les derniers feux du soleil couchant permettaient à peine d'apercevoir les côtes de Flandre et de distinguer dans l'île les passagers attardés, errant soit le long des murs en terre dont les champs étaient environnés, soit parmi les hauts joncs des marais. La barque était pleine, un cri s'éleva :

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En ce moment, un homme apparut à quelques pas de la jetée; le pilote, qui ne l'avait entendu ni venir, ni marcher, fut assez surpris de le voir. Ce voyageur semblait s'être levé de terre tout à comp, comme un paysan qui se serait couché dans un champ en attendant l'heure du départ et que la trompette aurait réveillé. Était-ce un voleur? était-ce quelque homme de douane ou de police ? Quand il arriva sur la jetée où la barque était amarrée, sept personnes placées debout à l'arrière de la chaloupe s'empressèrent de s'asseoir sur les bancs, afin de s'y trouver seules et de ne pas laisser l'étranger se mettre avec elles. Ce fut une pensée instinctive et rapide, une de ces pensées d'aristocratie qui viennent au cœur des gens riches. Quatre de ces personnages appartenaient à la plus haute noblesse des Flandres. D'abord un jeune cavalier, accompagné de deux beaux lévriers et portant sur ses cheveux longs une toque ornée de pierreries, faisait retentir ses éperons dorés et frisait de temps en temps sa moustache avec imper

tinence, en jetant des regards dédaigneux au reste de l'équipage. Une altière demoiselle tenait un faucon sur son poing, et ne parlait qu'à sa mère ou à un ecclésiastique du haut rang, leur parent sans doute. Ces personnes faisaient grand bruit et conversaient ensemble, comme si elles eussent été seules dans la barque. Néanmoins, auprès d'elles se trouvait un homme très-important dans le pays, un gros bourgeois de Bruges, enveloppé dans un grand manteau. Son domestique, armé jusqu'aux dents, avait mis près de lui deux sacs pleins d'argent. A côté d'eux se trouvait encore un homme de science, docteur à l'université de Louvain, flanqué de son clerc. Ces gens, qui se méprisaient les uns les autres, étaient séparés de l'avant par le banc des rameurs.

Lorsque le passager en retard mit le pied dans la barque, il jeta un regard rapide sur l'arrière, n'y vit pas de place, et alla en demander une à ceux qui se trouvaient sur l'avant du bateau. Ceuxlà étaient de pauvres gens. A l'aspect d'un homme à tête nue, dont l'habit et le haut-de-chausses en camelot brun, dont le rabat en toile de lin empesé n'avaient aucun ornement, qui ne tenait à la main ni toque ni chapeau, sans bourse ni épée à la ceinture, tous le prirent pour un bourgmestre sûr de son autorité, bourgmestre bon homme et doux comme quelques-uns de ces vieux Flamands dont la nature et le caractère ingénus nous ont été si bien conservés par les peintres du pays. Les pauvres passagers accueillirent alors l'inconnu par des démonstrations respectueuses qui excitèrent des railleries chuchotées entre les gens de l'arrière. Un vieux soldat, homme peine et de fatigue, donna sa place sur le banc à l'étranger, s'assit au bord de la barque, et s'y maintint en équilibre par la manière dont il appuya ses pieds contre une de ces traverses de bois qui semblables aux arêtes d'un poisson servent à lier les planches des bateaux. Une jeune femme, mère d'un petit enfant, et qui paraissait appartenir à la classe ouvrière d'Ostende, se recula pour faire assez de place au nouveau venu. Ce mouvement n'accusa ni servilité, ni dédain. Ce fut un de ces témoignages d'obligeance par lesquels les pauvres gens, habitués à connaître le prix d'un service et les délices de la fraternité, révèlent la franchise et le naturel de leurs âmes, si naïves dans l'expression de leurs qualités et de leurs défauts; aussi l'étranger les remercia-t-il par un geste plein de noblesse. Puis il s'assit entre cette jeune mère et le vieux soldat. Derrière lui se trouvaient un paysan

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